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Vingt fois pendant cette nuit je me réveillai en sursaut, en proie à des terreurs inouïes; mais rien ne justifiait ces terreurs que la situation dans laquelle je me trouvais; rien n'indiquait de mauvaises intentions contre moi: on dormait, au contraire, tout semblait dormir au château, et nul autre bruit que le cri des oiseaux de marais n'interrompait le silence de la nuit.

Le jour parut; le jour, tout en enlevant au paysage ce caractère effrayant que lui donne l'obscurité, me confirma dans mes craintes de la nuit: toute fuite était impossible sans un secours extérieur, et d'où nous pouvait venir ce secours?

Vers les neuf heures, on frappa à notre porte: je passai dans la chambre de Gertrude, en lui disant qu'elle pouvait permettre d'ouvrir.

Ceux qui frappaient et que je pouvais voir par l'ouverture de la porte de communication étaient nos serviteurs de la veille; ils venaient enlever le souper, auquel nous n'avions pas touché, et apporter le déjeuner.

Gertrude leur fit quelques questions, auxquelles ils sortirent sans avoir répondu.

Je rentrai alors; tout m'était expliqué par notre séjour au château de Beaugé et par le prétendu respect qui nous entourait. M. le duc d'Anjou m'avait vue à la fête donnée par M. de Monsoreau; M. le duc d'Anjou était devenu amoureux de moi; mon père avait été prévenu, et avait voulu me soustraire aux poursuites dont j'allais sans doute être l'objet; il m'avait éloignée de Méridor; mais, trahi, soit par un serviteur infidèle, soit par un hasard malheureux, sa précaution avait été inutile, et j'étais tombée aux mains de l'homme auquel il avait tenté vainement de me soustraire.

Je m'arrêtai à cette idée, la seule qui fût vraisemblable, et en réalité la seule qui fût vraie.

Sur les prières de Gertrude, je bus une tasse de lait et mangeai un peu de pain.

La matinée s'écoula à faire des plans de fuite insensés. Et cependant, à cent pas devant nous, amarrée dans les roseaux, nous pouvions voir une barque toute garnie de ses avirons. Certes, si cette barque eût été à notre portée, mes forces, exaltées par la terreur, jointes aux forces naturelles de Gertrude, eussent suffi pour nous tirer de captivité.

Pendant cette matinée, rien ne nous troubla. On nous servit le dîner comme on nous avait servi le déjeuner; je tombais de faiblesse. Je me mis à table, servie par Gertrude seulement; car, dès que nos gardiens avaient déposé nos repas, ils se retiraient. Mais tout à coup, en brisant mon pain, je mis à jour un petit billet.

Je l'ouvris précipitamment; il contenait cette seule ligne:

«Un ami veille sur vous. Demain vous aurez, de ses nouvelles et de celles de votre père.»

On comprend quelle fut ma joie: mon cœur battait à rompre ma poitrine. Je montrai le billet à Gertrude. Le reste de la journée se passa à attendre et à espérer.

La seconde nuit s'écoula aussi tranquille que la première; puis vint l'heure du déjeuner, attendue avec tant d'impatience; car je ne doutais point que je ne trouvasse dans mon pain un nouveau billet. Je ne me trompais pas; le billet était conçu en ses termes:

«La personne qui vous a enlevée arrive au château de Beaugé ce soir à dix heures; mais, à neuf, l'ami qui veille sur vous sera sous vos fenêtres avec une lettre de votre père, qui vous commandera la confiance, que sans cette lettre vous ne lui accorderiez peut-être pas.

«Brûlez ce billet.»

Je lus et relus cette lettre, puis je la jetai au feu, selon la recommandation qu'elle contenait. L'écriture m'était complètement inconnue, et, je l'avoue, j'ignorais d'où elle pouvait, venir.

Nous nous perdîmes en conjectures, Gertrude et moi; cent fois pendant la matinée nous allâmes à la fenêtre pour regarder si nous n'apercevions personne sur les rives de l'étang et dans les profondeurs de la forêt; tout était solitaire.

Une heure après le dîner, on frappa à notre porte; c'était la première fois qu'il arrivait que l'on tentât d'entrer chez nous à d'autres heures qu'à celles de nos repas; cependant, comme nous n'avions aucun moyen de nous enfermer en dedans, force nous fut de laisser entrer.

C'était l'homme qui nous avait parlé à la porte de la litière et dans la cour du château. Je ne pus le reconnaître au visage, puisqu'il était masqué lorsqu'il nous parla; mais, aux premières paroles qu'il prononça, je le reconnus à la voix.

Il me présenta une lettre.

– De quelle part venez-vous, monsieur? lui demandai-je.

– Que mademoiselle se donne la peine de lire, me répondit-il, et elle verra.

– Mais je ne veux pas lire cette lettre, ne sachant pas de qui elle vient.

– Mademoiselle est la maîtresse de faire ce qu'elle voudra. J'avais ordre de lui remettre cette lettre; je dépose cette lettre à ses pieds; si elle daigne la ramasser, elle la ramassera.

Et, en effet, le serviteur, qui paraissait un écuyer, plaça la lettre sur le tabouret où je reposais mes pieds et sortit.

– Que faire? demandai-je à Gertrude.

– Si j'osais donner un conseil à mademoiselle, ce serait de lire cette lettre. Peut-être contient-elle l'annonce de quelque danger auquel, prévenues par elle, nous pourrons nous soustraire.

Le conseil était si raisonnable, que je revins sur la résolution prise d'abord et que j'ouvris la lettre.

Diane, à ce moment, interrompit son récit, se leva, ouvrit un petit meuble du genre de ceux auquel nous avons conservé le nom italien de stippo, et d'un portefeuille de soie tira une lettre.

Bussy jeta un coup d'œil sur l'adresse.

«À la belle Diane de Méridor,» lut-il.

Puis, regardant la jeune femme:

– Cette adresse, dit-il, est de la main du duc d'Anjou.

– Ah! répondit-elle avec un soupir; il ne m'avait donc pas trompée!

Puis, comme Bussy hésitait à ouvrir la lettre:

– Lisez, dit-elle, le hasard vous a poussé du premier coup au plus intime de ma vie, je ne dois plus avoir de secrets pour vous.

Bussy obéit et lut:

«Un malheureux prince, que votre beauté divine a frappé au cœur, viendra vous faire ce soir, à dix heures, ses excuses de sa conduite à votre égard, conduite qui, lui-même le sent bien, n'a d'autre excuse que l'amour invincible qu'il éprouve pour vous.

«FRANÇOIS.»

– Ainsi cette lettre était bien du duc d'Anjou? demanda Diane.

– Hélas! oui, répondit Bussy, c'est son écriture et son seing.

Diane soupira.

– Serait-il moins coupable que je ne le croyais? murmura-t-elle.