– Qui, le prince? demanda Bussy.
– Non, lui, le comte de Monsoreau.
Ce fut Bussy qui soupira à son tour.
– Continuez, madame, dit-il, et nous jugerons le prince et le comte.
– Cette lettre, que je n'avais alors aucun motif de ne pas croire réelle, puisqu'elle s'accordait si bien avec mes propres craintes, m'indiquait, comme l'avait prévu Gertrude, le danger auquel j'étais exposée, et me rendait d'autant plus précieuse l'intervention de cet ami inconnu qui m'offrait son secours au nom de mon père. Je n'eus donc plus d'espoir qu'en lui.
Nos investigations recommençaient; mes regards et ceux de Gertrude, plongeant à travers les vitres, ne quittaient point l'étang et cette partie de la forêt qui faisait face à nos fenêtres. Dans toute l'étendue que nos regards pouvaient embrasser, nous ne vîmes rien qui parût se rapporter à nos espérances et les seconder.
La nuit arriva; mais, comme nous étions au mois de janvier, la nuit venait vite; quatre ou cinq heures nous séparaient donc encore du moment décisif: nous attendîmes avec anxiété.
Il faisait une de ces belles gelées d'hiver pendant lesquelles, si ce n'était le froid, on se croirait ou vers la fin du printemps ou vers le commencement de l'automne: le ciel brillait, tout parsemé de mille étoiles, et, dans un coin de ce ciel, la lune, pareille à un croissant, éclairait le paysage de sa lueur argentée; nous ouvrîmes la fenêtre de la chambre de Gertrude, qui devait, dans tous les cas, être moins rigoureusement observée que la mienne.
Vers sept heures, une légère vapeur monta de l'étang; mais, pareille à un voile de gaze transparente, cette vapeur n'empêchait pas de voir, ou plutôt nos yeux, s'habituant à l'obscurité, étaient parvenus à percer cette vapeur.
Comme rien ne nous aidait à mesurer le temps, nous n'aurions pas pu dire quelle heure il était, lorsqu'il nous sembla, sur la lisière du bois, voir à travers cette transparente obscurité se mouvoir des ombres. Ces ombres paraissaient s'approcher avec précaution, gagnant les arbres, qui, rendant les ténèbres plus épaisses, semblaient les protéger. Peut-être eussions-nous cru, au reste, que ces ombres n'étaient qu'un jeu de notre vue fatiguée, lorsque le hennissement d'un cheval traversa l'espace et arriva jusqu'à nous.
– Ce sont nos amis, murmura Gertrude.
– Ou le prince! répondis-je.
– Oh! le prince, dit-elle, le prince ne se cacherait pas.
Cette réflexion si simple dissipa mes soupçons et me rassura.
Nous redoublâmes d'attention.
Un homme s'avança seul; il me semblait qu'il quittait un autre groupe d'hommes, lequel était resté à l'abri sous un bouquet d'arbres.
Cet homme marcha droit à la barque, la détacha du pieu où elle était amarrée, descendit dedans, et la barque, glissant sur l'eau, s'avança silencieusement de notre côté.
À mesure qu'elle s'avançait, mes yeux faisaient des efforts plus violents pour percer l'obscurité.
Il me sembla d'abord reconnaître la grande taille, puis les traits sombres et fortement accusés du comte de Monsoreau; enfin, lorsqu'il fut à dix pas de nous, je ne conservai plus aucun doute.
Je craignais maintenant presque autant le secours que le danger.
Je restai muette et immobile, rangée dans l'angle de la fenêtre, de sorte qu'il ne pouvait me voir. Arrivé au pied du mur, il arrêta sa barque à un anneau, et je vis apparaître sa tête à la hauteur de l'appui de la croisée.
Je ne pus retenir un léger cri.
– Ah! pardon; dit le comte de Monsoreau, je croyais que vous m'attendiez.
– C'est-à-dire que j'attendais quelqu'un, monsieur, répondis-je, mais j'ignorais que ce quelqu'un fût vous.
Un sourire amer passa sur le visage du comte.
– Qui donc, excepté moi et son père, veille sur l'honneur de Diane de Méridor?
– Vous m'avez dit, monsieur, dans la lettre que vous m'avez écrite, que vous veniez au nom de mon père.
– Oui, mademoiselle; et, comme j'ai prévu que vous douteriez de la mission que j'ai reçue, voici un billet du baron.
Et le comte me tendit un papier.
Nous n'avions allumé ni bougies ni candélabres, pour être plus libres de faire dans l'obscurité tout ce que commanderaient les circonstances. Je passai de la chambre de Gertrude dans la mienne. Je m'agenouillai devant le feu, et, à la lueur de la flamme du foyer, je lus:
«Ma chère Diane, M. le comte de Monsoreau peut seul t'arracher au danger que tu cours, et ce danger est immense. Fie-toi donc entièrement à lui comme au meilleur ami que le ciel nous puisse envoyer.
«Il te dira plus tard ce que du fond de mon cœur je désirerais que tu fisses pour acquitter la dette que nous allons contracter envers lui.
«Ton père, qui te supplie de le croire, et d'avoir pitié de toi et de lui,
«BARON DE MÉRIDOR.»
Rien de positif n'existait dans mon esprit contre M. de Monsoreau; la répulsion qu'il m'inspirait était bien plutôt instinctive que raisonnée. Je n'avais à lui reprocher que la mort d'une biche, et c'était un crime bien léger pour un chasseur.
J'allai donc à lui.
– Eh bien? demanda-t-il.
– Monsieur, j'ai lu la lettre de mon père; il me dit que vous êtes prêt à me conduire hors d'ici, mais il ne me dit pas où vous me conduisez.
– Je vous conduis où le baron vous attend, mademoiselle.
– Et où m'attend-il?
– Au château de Méridor.
– Ainsi je vais revoir mon père?
– Dans deux heures.
– Oh! monsieur, si vous dites vrai…
Je m'arrêtai; le comte attendait visiblement la fin de ma phrase.
– Comptez sur toute ma reconnaissance, ajoutai-je d'une voix tremblante et affaiblie, car je devinais quelle chose il pouvait attendre de cette reconnaissance que je n'avais pas la force de lui exprimer.
– Alors, mademoiselle, dit le comte, vous êtes prête à me suivre?
Je regardai Gertrude avec inquiétude; il était facile de voir que cette sombre figure du comte ne la rassurait pas plus que moi.
– Réfléchissez que chaque minute qui s'envole est précieuse pour vous au delà de ce que vous pouvez imaginer, dit-il. Je suis en retard d'une demi-heure à peu près; il va être dix heures bientôt, et n'avez-vous point reçu l'avis qu'à dix heures le prince serait au château de Beaugé?
– Hélas! oui, répondis-je.
– Le prince une fois ici, je ne puis plus rien pour vous que risquer sans espoir ma vie, que je risque en ce moment avec la certitude de vous sauver.
– Pourquoi mon père n'est-il donc pas venu?