Saint-Luc préféra ce dernier rôle, et s'approcha du roi et de Chicot, qui étaient aux prises.
Pendant ce temps, Quélus emmenait ses quatre amis dans l'embrasure d'une fenêtre.
– Eh bien, demanda d'Épernon, voyons, que veux-tu dire? J'étais en train de faire la cour à la femme de Joyeuse, et je te préviens que si ton récit n'est pas des plus intéressants, je ne te pardonne pas.
– Je veux vous dire, messieurs, répondit Quélus, qu'après le bal je pars immédiatement pour la chasse.
– Bon, dit d'O, pour quelle chasse?
– Pour la chasse au sanglier.
– Quelle lubie te passe par la tête d'aller, du froid qui court, te faire éventrer dans quelque taillis?
– N'importe! j'y vais.
– Seul?
– Non pas, avec Maugiron et Schomberg. Nous chassons pour le roi.
– Ah! oui, je comprends, dirent ensemble Schomberg et Maugiron.
– Le roi veut qu'on lui serve demain une hure de sanglier à son déjeuner.
– Avec un collet renversé à l'italienne, dit Maugiron, faisant allusion au simple col rabattu qu'en opposition avec les fraises des mignons portait Bussy.
– Ah! ah! dit d'Épernon, bon! j'en suis alors.
– De quoi donc s'agit-il? demanda d'O; je n'y suis pas du tout, moi.
– Eh! regarde autour de toi, mon mignon.
– Bon! je regarde.
– Y a-t-il quelqu'un qui t'ait ri au nez?
– Bussy, ce me semble.
– Eh bien! ne te paraît-il pas que c'est là un sanglier dont la hure serait agréable au roi?
– Tu crois que le roi… dit d'O.
– C'est lui qui la demande, répondis Quélus.
– Eh bien, soit, en chasse; mais comment chasserons-nous?
– À l'affût, c'est plus sûr.
Bussy remarqua la conférence, et, ne doutant pas qu'il ne fût question de lui, il s'approcha en ricanant avec ses amis.
– Regarde donc, Entraguet, regarde donc, Ribeirac, dit-il, comme les voilà groupés; c'est touchant: on dirait Euryale et Nisus, Damon et Pithias, Castor et… Mais où est donc Pollux?
– Pollux se marie, dit Antraguet, de sorte que voilà Castor dépareillé.
– Que peuvent-ils faire là? demanda Bussy en les regardant insolemment.
– Gageons, dit Ribeirac, qu'ils complotent quelque nouvel amidon.
– Non, messieurs, dit en souriant Quélus, nous parlons chasse.
– Vraiment, seigneur Cupidon, dit Bussy; il fait bien froid pour chasser. Cela vous gercera la peau.
– Monsieur, répondit Maugiron avec la même politesse, nous avons des gants très chauds et des pourpoints doublés de fourrures.
– Ah! cela me rassure, dit Bussy; est-ce bientôt que vous chassez?
– Mais, cette nuit, peut-être, dit Schomberg.
– Il n'y a pas de peut-être; cette nuit sûrement, ajouta Maugiron.
– En ce cas, je vais prévenir le roi, dit Bussy; que dirait Sa Majesté si demain, à son réveil, elle allait trouver ses amis enrhumés?
– Ne vous donnez pas la peine de prévenir le roi, monsieur, dit Quélus; Sa Majesté sait que nous chassons.
– L'alouette? fit Bussy avec une mine interrogatrice des plus impertinentes.
– Non, monsieur, dit Quélus, nous chassons le sanglier. Il nous faut absolument une hure.
– Et l'animal?… demanda Antraguet.
– Est détourné, dit Schomberg.
– Mais encore faut-il savoir où il passera, demanda Livarot.
– Nous tâcherons de nous renseigner, dit d'O. Chassez-vous avec nous, monsieur de Bussy?
– Non, répondit celui-ci, continuant la conversation sur le même mode. Non, en vérité, je suis empêché. Demain il faut que je sois chez M. d'Anjou pour la réception de M. de Monsoreau, à qui Monseigneur, comme vous le savez, a fait accorder la place de grand veneur.
– Mais cette nuit? demanda Quélus.
– Ah! cette nuit, je ne puis encore: j'ai un rendez-vous dans une mystérieuse maison du faubourg Saint-Antoine.
– Ah! ah! fit d'Épernon, est-ce que la reine Margot serait incognito à Paris, monsieur de Bussy? car nous avons appris que vous aviez hérité de la Mole.
– Oui; mais depuis quelque temps j'ai renoncé à l'héritage, et c'est d'une autre personne qu'il s'agit.
– Et cette personne vous attend rue du faubourg Saint-Antoine? demanda d'O.
– Justement; je vous demanderai même un conseil, monsieur de Quélus.
– Dites; quoique je ne sois point avocat, je me pique de ne pas les donner mauvais, surtout à mes amis.
– On dit les rues de Paris peu sûres; le faubourg Saint-Antoine est un quartier fort isolé. Quel chemin me conseillez-vous de prendre?
– Dame! dit Quélus, comme le batelier du Louvre passera sans doute la nuit à nous attendre, à votre place, monsieur, je prendrais le petit bac du Pré-aux-Clercs, je me ferais descendre à la tour du coin, je suivrais le quai jusqu'au Grand-Châtelet, et par la rue de la Tixeranderie, je gagnerais le faubourg Saint-Antoine. Une fois au bout de la rue Saint-Antoine, si vous passez l'hôtel des Tournelles sans accident, il est probable que vous arriverez sain et sauf à la mystérieuse maison dont vous nous parliez tout à l'heure.
– Merci de l'itinéraire, monsieur de Quélus, dit Bussy. Vous dites le bac au Pré-aux-Clercs, la tour du coin, le quai jusqu'au Grand-Châtelet, la rue de la Tixeranderie et la rue Saint-Antoine. On ne s'en écartera pas d'une ligne, soyez tranquille.
Et, saluant les cinq amis, il se retira en disant tout haut à Balzac d'Entragues:
– Décidément, Antraguet, il n'y a rien à faire avec ces gens-là, allons-nous-en.
Livarot et Ribeirac se mirent à rire, suivant Bussy et d'Entragues, qui s'éloignèrent, mais qui, en s'éloignant, se retournèrent plusieurs fois.
Les mignons demeurèrent calmes; ils paraissaient décidés à ne rien comprendre.
Comme Bussy allait franchir le dernier salon où se trouvait madame de Saint-Luc, qui ne perdait pas des yeux son mari, Saint-Luc lui fit un signe, montrant de l'œil le favori du duc d'Anjou, qui s'éloignait. Jeanne comprit avec cette perspicacité qui est le privilège des femmes, et, courant au gentilhomme, elle lui barra le passage.
– Oh! monsieur de Bussy, dit elle, il n'est bruit que d'un sonnet que vous avez fait, à ce qu'on assure.
– Contre le roi, madame? demanda Bussy.