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Pendant la soirée, nous nous remîmes, Gertrude et moi, à notre observatoire. Cette fois, nous vîmes distinctement deux hommes qui examinaient la maison. Plusieurs fois ils s'approchèrent de la porte; toute lumière intérieure était éteinte; ils ne purent nous voir.

Vers onze heures ils s'éloignèrent.

Le lendemain, Gertrude, en sortant, retrouva le même jeune homme à la même place; il vint de nouveau à elle, et l'interrogea comme il avait fait la veille. Ce jour-là Gertrude fut moins sévère et échangea quelques mots avec lui.

Le jour suivant, Gertrude fut plus communicative; elle lui dit que j'étais la veuve d'un conseiller, qui, restée sans fortune, vivait fort retirée; il voulut insister pour en savoir davantage, mais il fallut qu'il se contentât, pour l'heure, de ces renseignements.

Le jour d'après Aurilly parut avoir conçu quelques doutes sur la véracité du récit de la veille; il parla de l'Anjou, de Beaugé, et prononça le mot de Méridor.

Gertrude répondit que tous ces noms lui étaient parfaitement inconnus.

Alors il avoua qu'il était au duc d'Anjou, que le duc d'Anjou m'avait vue et était amoureux de moi; puis, à la suite de cet aveu, vinrent des offres magnifiques pour elle et pour moi: pour elle, si elle voulait introduire le prince près de moi; pour moi, si je le voulais recevoir.

Chaque soir, M. de Monsoreau venait, et chaque soir je lui disais où nous en étions. Il restait alors depuis huit heures jusqu'à minuit; mais il était évident que son inquiétude était grande.

Le samedi soir je le vis arriver plus pâle et plus agité que de coutume.

– Écoutez, me dit-il, il faut tout promettre pour mardi ou mercredi.

– Tout promettre, et pourquoi? m'écriai-je.

– Parce que M. le duc d'Anjou est décidé à tout, qu'il est bien en ce moment avec le roi, et qu'il n'y a rien, par conséquent, à attendre du roi.

– Mais d'ici à mercredi doit-il donc se passer quelque événement qui viendra à notre aide?

– Peut-être. J'attends de jour en jour cette circonstance qui doit mettre le prince dans ma dépendance. Je la pousse, je la hâte, non seulement de mes vœux, mais de mes actions. Demain il faut que je vous quitte, que j'aille à Montereau.

– Il le faut? répondis-je avec une espèce de terreur mêlée d'une certaine joie.

– Oui; j'ai là un rendez-vous indispensable pour hâter cette circonstance dont je vous parlais.

– Et si nous sommes dans la même situation, que faudra-t-il donc faire, mon Dieu?

– Que voulez-vous que je fasse contre un prince, madame, quand je n'ai aucun droit de vous protéger? Il faudra céder à la mauvaise fortune…

– Oh! mon père! mon père! m'écriai-je.

Le comte me regarda fixement.

– Oh! monsieur!

– Qu'avez-vous donc à me reprocher?

– Oh! rien: au contraire.

– Mais n'ai-je pas été dévoué comme un ami, respectueux comme un frère?

– Vous vous êtes en tout point conduit en galant homme.

– N'avais-je pas votre promesse?

– Oui.

– Vous l'ai-je une seule fois rappelée?

– Non.

– Et, cependant, quand les circonstances sont telles, que vous vous trouvez placée entre une position honorable et une position honteuse, vous préférez d'être la maîtresse du duc d'Anjou à être la femme du comte de Monsoreau.

– Je ne dis pas cela, monsieur.

– Mais, alors, décidez-vous donc.

– Je suis décidée.

– À être la comtesse de Monsoreau?

– Plutôt que la maîtresse du duc d'Anjou.

– Plutôt que la maîtresse du duc d'Anjou: l'alternative est flatteuse.

Je me tus.

– N'importe, dit le comte, vous entendez? Que Gertrude gagne jusqu'à mardi, et mardi nous verrons.

Le lendemain, Gertrude sortit comme d'habitude, mais elle ne vit point Aurilly. À son retour, nous fûmes plus inquiètes de son absence que nous ne l'eussions été de sa présence. Gertrude sortit de nouveau sans nécessité de sortir, pour le rencontrer seulement; mais elle ne le rencontra point. Une troisième sortie fut aussi inutile que les deux premières.

J'envoyai Gertrude chez M. de Monsoreau, il était parti, et on ne savait point où il était.

Nous étions seules et isolées; nous nous sentîmes faibles: pour la première fois je compris mon injustice envers le comte.

– Oh! madame, s'écria Bussy, ne vous hâtez donc pas de revenir ainsi à cet homme; il y a quelque chose dans toute sa conduite que nous ne savons pas, mais que nous saurons.

Le soir vint, accompagné de terreurs profondes; j'étais décidée à tout plutôt que de tomber vivante aux mains du duc d'Anjou. Je m'étais munie de ce poignard, et j'avais résolu de me frapper aux yeux du prince, au moment où lui ou de ses gens essayeraient de porter la main sur moi. Nous nous barricadâmes dans nos chambres. Par une négligence incroyable, la porte de la rue n'avait pas de verrou intérieur. Nous cachâmes la lampe et nous nous plaçâmes à notre observatoire.

Tout fut tranquille jusqu'à onze heures du soir; à onze heures, cinq hommes débouchèrent par la rue Saint-Antoine, parurent tenir conseil, et s'en allèrent s'embusquer dans l'angle du mur de l'hôtel des Tournelles.

Nous commençâmes à trembler; ces hommes étaient probablement là pour nous. Cependant ils se tinrent immobiles; un quart d'heure à peu près s'écoula.

Au bout d'un quart d'heure nous vîmes paraître deux autres hommes au coin de la rue Saint-Paul. La lune, qui glissait entre les nuages, permit à Gertrude de reconnaître Aurilly dans l'un de ces deux hommes.

– Hélas! mademoiselle, ce sont eux, murmura la pauvre fille.

– Oui, répondis-je toute frissonnante de terreur, et les cinq autres sont là pour leur prêter secours.

– Mais il faudra qu'ils enfoncent la porte, dit Gertrude, et, au bruit, les voisins accourront.

– Pourquoi veux-tu que les voisins accourent? Nous connaissent-ils et ont-ils quelque motif de se faire une mauvaise affaire pour nous défendre? Hélas! en réalité, Gertrude, nous n'avons de véritable défenseur que le comte.

– Eh bien, pourquoi refusez-vous donc toujours d'être comtesse?

Je poussai un soupir.

XVI Ce que c'était que Diane de Méridor. – Le mariage.

Pendant ce temps, les deux hommes qui avaient paru au coin de la rue Saint-Paul s'étaient glissés le long des maisons et se tenaient sous nos fenêtres. Nous entr'ouvrîmes doucement la croisée.