Je m'effrayai; mais le docteur me rassura. Tout était pour le mieux, me dit-il, et il n'y avait plus qu'à vous laisser dormir.
Gertrude lui couvrit de nouveau les yeux d'un mouchoir, et le reconduisit jusqu'à la porte de la rue Beautreillis.
Seulement elle crut s'apercevoir qu'il comptait les pas.
– En effet, madame, dit Bussy, il les avait comptés.
– Cette supposition nous effraya. Ce jeune homme pouvait nous trahir. Nous résolûmes de faire disparaître toute trace de l'hospitalité que nous vous avions donnée; mais d'abord l'important était de vous faire disparaître, vous.
Je rappelai tout mon courage; il était deux heures du matin, les rues étaient désertes. Gertrude répondit de vous soulever; elle y parvint, je l'aidai, et nous vous emportâmes jusque sur les talus des fossés du Temple. Puis nous revînmes tout épouvantées de cette hardiesse qui nous avait fait sortir, deux femmes seules, à une heure où les hommes eux-mêmes sortent accompagnés.
Dieu veillait sur nous. Nous ne rencontrâmes personne, et rentrâmes sans avoir été vues.
En rentrant, je succombai sous le poids de mon émotion, et je m'évanouis.
– Oh! madame! madame! dit Bussy en joignant les mains, comment reconnaîtrai-je jamais ce que vous avez fait pour moi?
Il se fit un instant de silence, pendant lequel Bussy regardait ardemment Diane. La jeune femme, le coude appuyé sur une table, avait laissé retomber sa tête dans sa main.
Au milieu de ce silence, on entendit vibrer l'horloge de l'église Sainte-Catherine.
– Deux heures! dit Diane en tressaillant. Deux heures, et vous ici!
– Oh! madame, supplia Bussy, ne me renvoyez pas sans m'avoir tout dit. Ne me renvoyez pas sans m'avoir indiqué par quels moyens je puis vous être utile. Supposez que Dieu vous ait donné un frère, et dites à ce frère ce qu'il peut faire pour sa sœur.
– Hélas! plus rien maintenant, dit la jeune femme, il est trop tard.
– Qu'arriva-t-il le lendemain? demanda Bussy; que fîtes-vous pendant cette journée où je ne pensai qu'à vous, sans être sûr cependant que vous n'étiez pas un rêve de mon délire, une vision de ma fièvre?
– Pendant cette journée, reprit Diane, Gertrude sortit et rencontra Aurilly. Aurilly était plus pressant que jamais: il ne dit pas un mot de ce qui s'était passé la veille; mais il demanda au nom de son maître une entrevue.
Gertrude parut consentir, mais elle demanda jusqu'au mercredi suivant, c'est-à-dire jusque aujourd'hui, pour me décider.
Aurilly promit que son maître se ferait violence jusque-là.
Nous avions donc trois jours devant nous.
Le soir M. de Monsoreau revint.
Nous lui racontâmes tout, excepté ce qui avait rapport à vous. Nous lui dîmes que la veille le duc avait ouvert la porte avec une fausse clef, mais qu'au moment même où il allait entrer il avait été chargé par cinq gentilshommes, au milieu desquels étaient MM. d'Épernon et de Quélus. J'avais entendu prononcer ces deux noms, et je les lui répétai.
– Oui, oui, dit le comte, j'ai déjà entendu parler de cela; ainsi il a une fausse clef. Je m'en doutais.
– Ne pourrait-on changer la serrure? demandai-je.
– Il en fera faire une autre, dit le comte.
– Poser des verrous à la porte?
– Il viendra avec dix hommes, et enfoncera portes et verrous.
– Mais cet événement qui devait vous donner, m'avez-vous dit, tout pouvoir sur le duc?
– Est retardé indéfiniment peut-être.
Je restai muette, et, la sueur au front, je ne me dissimulai plus qu'il n'y avait d'autre moyen d'échapper au duc d'Anjou que de devenir la femme du comte.
– Monsieur, lui dis-je, le duc, par l'organe de son confident, s'est engagé à attendre jusqu'à mercredi soir; moi, je vous demande jusqu'à mardi.
– Mardi soir, à la même heure, madame, dit le comte, je serai ici.
Et, sans ajouter une parole, il se leva et sortit.
Je le suivis des jeux; mais, au lieu de s'éloigner, il alla à son tour se placer dans cet angle sombre du mur des Tournelles et parut décidé à veiller sur moi toute la nuit.
Chaque preuve de dévouement que me donnait cet homme était comme un nouveau coup de poignard pour mon cœur.
Les deux jours s'écoulèrent avec la rapidité d'un instant; rien ne troubla notre solitude. Maintenant, ce que je souffris pendant ces deux jours, en entendant se succéder le vol rapide des heures, est impossible à décrire.
Quand la nuit de la seconde journée vint, j'étais atterrée; tout sentiment semblait petit à petit se retirer de moi. J'étais froide, muette, insensible en apparence, comme une statue: mon cœur seul battait, le reste de mon corps semblait avoir cessé de vivre.
Gertrude se tenait à la fenêtre. Moi, assise où je suis, de temps en temps seulement je passais mon mouchoir sur mon front mouillé de sueur.
Tout à coup Gertrude étendit la main de mon côté; mais ce geste, qui autrefois m'eût fait bondir, me trouva impassible.
– Madame! dit-elle.
– Eh bien? demandai-je.
– Quatre hommes… je vois quatre hommes… Ils s'approchent de ce côté… ils ouvrent la porte… ils entrent.
– Qu'ils entrent! répondis-je sans faire un mouvement.
– Mais ces quatre hommes, c'est sans doute le duc d'Anjou, Aurilly et les deux hommes de leur suite.
Je tirai, pour toute réponse, mon poignard et le plaçai près de moi sur la table.
– Oh! laissez-moi voir du moins, dit Gertrude, en s'élançant vers la porte.
– Vois, répondis-je.
Un instant après, Gertrude rentra.
– Mademoiselle, dit-elle, c'est M. le comte.
Je remis mon poignard dans ma poitrine sans prononcer une seule parole. Seulement je tournai la tête du côté du comte.
Sans doute il fut effrayé de ma pâleur.
– Que me dit Gertrude? s'écria-t-il, que vous m'avez pris pour le duc, et que, si c'eût été le duc, vous vous fussiez tuée?
C'était la première fois que je le voyais ému.
Cette émotion était-elle réelle ou factice?
– Gertrude a eu tort de vous dire cela, monsieur, répondis-je; du moment où ce n'est pas le duc, tout est bien.
Il se fit un instant de silence.
– Vous savez que je ne suis pas venu seul, dit le comte.
– Gertrude a vu quatre hommes.
– Vous doutez-vous qui ils sont?
– Je présume que l'un est prêtre, et que les deux autres sont nos témoins.