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Et Chicot mit la main à son front; ce qui prouve que dès ce temps on reconnaissait la tête pour le siège de la mémoire.

– Voyons, Quélus, dit d'Épernon, tu verras que, grâce à toi, nous allons laisser échapper le nom de famille.

– Ne craints rien, dit Chicot, je le tiens, à M. de Guise je dirais: par les cornes; mais à toi, Henri, je me contenterai de dire: par tes oreilles.

– Voyons le nom, voyons le nom! dirent tous les jeunes gens.

– Nous avons d'abord, dans ce qui nous reste de lettres, un H majuscule; prends l'H, Nogaret.

D'Épernon obéit.

– Puis un e, puis un r, puis là-bas, dans Valois, un o ; puis, comme tu sépares le prénom du nom par ce que les grammairiens appellent particule, je mets la main sur un d et sur un e, ce qui va nous faire, avec l's qui termine le nom de la race, ce qui va nous faire… épelle, d'Épernon, H, é, r, o, d, e, s.

– Hérodes, dit d'Épernon.

– Vilain Hérodes! s'écria le roi.

– Juste, dit Chicot; et voilà ce que tu signes tous les jours, mon fils. Oh!

Et Chicot se renversa en donnant tous les signes d'une pudibonde horreur.

– Monsieur Chicot, vous passez les bornes, dit Henri.

– Moi, dit Chicot, je dis ce qui est, pas autre chose; mais voilà bien les rois: avertissez-les, ils se fâchent.

– Voilà une belle généalogie! dit Henri.

– Ne la renie pas, mon fils, dit Chicot; ventre de biche! c'est la bonne pour un roi qui, deux ou trois fois par mois, a besoin des juifs.

– Il est dit, s'écria le roi, que ce maroufle-là n'aura pas le dernier. Messieurs, taisez-vous; de cette façon-là, du moins, personne ne lui donnera la réplique.

Il se fit à l'instant même le plus profond silence. Et ce silence, que Chicot, fort attentif au chemin que l'on parcourait, ne paraissait aucunement disposé à rompre, durait depuis quelques minutes, lorsque, au delà de la place Maubert, à l'angle de la rue des Noyers, on vit Chicot s'élancer tout à coup hors de la litière, écarter les gardes, et aller s'agenouiller à l'angle d'une maison d'assez bonne apparence, et qui avançait sur la rue un balcon de bois sculpté sur un entablement de poutrelles peintes.

– Hé! païen, cria le roi, si tu as à t'agenouiller, agenouille-toi au moins devant la croix qui fait le milieu de la rue Sainte-Geneviève, et non pas devant cette maison; renferme-t-elle donc quelque église, ou cache-t-elle quelque reposoir?

Mais Chicot ne répondait point; il s'était jeté à deux genoux sur le pavé, et disait tout haut cette prière, dont, en prêtant l'oreille, le roi ne perdait pas un mot:

«Bon Dieu! Dieu juste! voici, je la reconnais bien, et toute ma vie je la reconnaîtrai, voici la maison où Chicot a souffert, sinon pour toi, mon Dieu, mais du moins pour une de tes créatures; Chicot ne t'a jamais demandé qu'il arrivât malheur à M. de Mayenne, auteur de son martyre, ni à maître Nicolas David, instrument de son supplice. Non, Seigneur, Chicot a su attendre, car Chicot est patient, quoiqu'il ne soit pas éternel, et voilà six bonnes années, dont une année bissextile, que Chicot entasse les intérêts du petit compte ouvert entre lui et MM. de Mayenne et Nicolas David; or, à dix du cent, qui est le taux légal, puisque c'est le taux auquel le roi emprunte, en sept ans les intérêts cumulés doublent le capital. Fais donc, grand Dieu! Dieu juste! que la patience de Chicot dure un an encore, afin que les cinquante coups d'étrivières que Chicot a reçus dans cette maison par les ordres de cet assassin de prince lorrain et de ce spadassin d'avocat normand, et qui ont tiré du corps de Chicot une pinte de sang, s'élèvent à deux pintes et à cent coups d'étrivières, et pour chacun d'eux; de telle façon que M. de Mayenne, tout gros qu'il soit, et Nicolas David, tout long qu'il est, n'aient plus assez de sang ni de peau pour payer Chicot, et qu'ils en soient réduits à faire banqueroute de quinze ou vingt pour cent, en expirant sous le quatre-vingtième ou quatre-vingt-cinquième coup de verge.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il!»

– Amen! dit le roi.

Chicot baisa la terre, et, au suprême ébahissement de tous les spectateurs, qui ne comprenaient rien à cette scène, il revint prendre sa place dans la litière.

– Ah ça! dit le roi, à qui son rang, dénué depuis trois ans de tant de prérogatives qu'il avait laissé prendre aux autres, donnait au moins le droit d'être instruit le premier, ah ça! maître Chicot, pourquoi cette longue et singulière litanie, pourquoi tous ces coups dans la poitrine, pourquoi enfin toutes ces momeries devant une maison d'apparence si profane?

– Sire, répliqua Chicot, c'est que Chicot est comme le renard, Chicot flaire et baise longtemps les pierres où il a laissé de son sang, jusqu'à ce que, contre ces pierres, il écrase la tête de ceux qui l'ont versé.

– Sire! s'écria Quélus, je parierais: Chicot a prononcé, comme Votre Majesté a pu l'entendre, dans sa prière le nom du duc de Mayenne; je parierais donc que cette prière a rapport à la bastonnade dont nous parlions tout à l'heure.

– Pariez, seigneur Jacques de Lévis, comte de Quélus, dit Chicot; pariez et vous gagnerez.

– Ainsi donc?… dit le roi.

– Justement, sire, reprit Chicot: dans cette maison Chicot avait une maîtresse, bonne et charmante créature, une demoiselle, ma foi. Une nuit qu'il la venait voir, certain prince jaloux fit entourer la maison, fit prendre Chicot et le fit bâtonner si rudement, que Chicot passa à travers la fenêtre, et que, le temps lui manquant pour l'ouvrir, il sauta du haut de ce petit balcon dans la rue. Or, comme c'est un miracle que Chicot ne se soit pas tué, chaque fois que Chicot passe devant cette maison, il s'agenouille, prie, et, dans sa prière, remercie le Seigneur de l'avoir tiré d'un si mauvais pas.

– Ah! pauvre Chicot! et vous qui le condamniez, sire; c'est cependant, ce me semble, agir en bon chrétien que de faire ce qu'il fait.

– Tu as donc été bien rossé, mon pauvre Chicot?

– Oh! merveilleusement, sire; mais pas encore autant qu'il l'aurait voulu.

– Comment cela?

– Non, en vérité, je n'eusse point été fâché de recevoir quelques estocades.

– Pour tes péchés?

– Non, pour ceux de M. de Mayenne.

– Ah! je comprends: ton intention est de rendre à César…

– À César, non pas; ne confondons point, sire; César, c'est le grand général, c'est le guerrier vaillant, c'est le frère aîné, celui qui veut être roi de France; non, celui-là est en compte avec Henri de Valois, et c'est toi que ce compte regarde, mon fils; paye tes dettes, Henri, je payerai les miennes.