– Amen! répondirent d'une seule voix tous les assistants.
– Amen! reprit une espèce d'écho qui semblait venir des profondeurs de l'église.
Le duc de Guise, faisant, comme nous l'avons dit, les fonctions de connétable, monta les trois marches de l'autel, et en avant du tabernacle déposa son épée, que le cardinal bénit.
Le cardinal alors la tira du fourreau, et, la prenant par la lame, la présenta au roi, qui la prit par la poignée.
– Sire, dit-il, prenez cette épée, qui vous est donnée avec la bénédiction du Seigneur, afin que par elle et par la force de l'Esprit-Saint, vous puissiez résister à tous vos ennemis, protéger et défendre la sainte Église et le royaume qui vous est confié. Prenez cette épée, afin que, par son secours, vous exerciez la justice, vous protégiez les veuves et les orphelins, vous répariez les désordres; afin que, vous couvrant de gloire par toutes les vertus, vous méritiez de régner avec celui dont vous êtes l'image sur la terre, et qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles.
Le duc baissa l'épée de manière que la pointe touchât le sol, et, après l'avoir offerte à Dieu, la rendit au duc de Guise.
L'enfant de chœur apporta un coussin qu'il déposa devant le duc d'Anjou, qui s'agenouilla.
Puis le cardinal ouvrit le petit coffret de vermeil, et, avec la pointe d'une aiguille d'or, il en tira une parcelle d'huile sainte, qu'il étendit sur la patène.
Alors, la patène à la main gauche, il dit sur le duc deux oraisons.
Puis, prenant le saint-chrême avec le pouce, il traça une croix sur le sommet de la tête du duc, en disant:
– Ungo te in regem de oleo sanctificato, in nomme Patris et Filii et Spiritus sancti.
Presque aussitôt l'enfant de chœur essuya l'onction avec un mouchoir brodé d'or.
En ce moment le cardinal prit la couronne à deux mains et l'abaissa vers la tête du prince, mais sans la poser. Aussitôt le duc de Guise et le duc de Mayenne s'approchèrent, et de chaque côté soutinrent la couronne.
Enfin le cardinal, ne la soutenant plus que de la main gauche, dit en bénissant le prince de la main droite:
«Dieu te couronne de la couronne de gloire et de justice.»
Puis, la posant sur la tête du prince:
«Reçois cette couronne, dit-il, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.»
Le duc d'Anjou, blême et frissonnant, sentit la couronne se poser sur sa tête, et instinctivement il y porta la main.
La sonnette de l'enfant de chœur retentit alors, et fit courber le front de tous les assistants.
Mais ils se relevèrent bientôt, brandissant les épées et criant: – Vive le roi François III!
– Sire, dit le cardinal au duc d'Anjou, vous régnez dès aujourd'hui sur la France; car vous êtes sacré par le pape Grégoire XIII lui-même, dont je suis le représentant.
– Ventre de biche! dit Chicot, quel malheur que je n'aie pas les écrouelles!
– Messieurs, dit le duc d'Anjou se relevant fier et majestueux, je n'oublierai jamais les noms des trente gentilshommes qui m'ont, les premiers, jugé digne de régner sur eux; et maintenant adieu, messieurs, que Dieu vous ait en sa sainte et digne garde!
Le cardinal s'inclina, ainsi que le duc de Guise; mais Chicot, qui les voyait de côté, s'aperçut que, tandis que le duc de Mayenne reconduisait le nouveau roi, les deux princes lorrains échangeaient un ironique sourire.
– Ouais! dit le Gascon; qu'est-ce que cela signifie encore, et à quoi sert le jeu si tout le monde triche?
Pendant ce temps, le duc d'Anjou avait regagné l'escalier de la crypte, et bientôt il disparut dans les ténèbres de l'église souterraine, où, l'un après l'autre, tous les assistants le suivirent, à l'exception des trois frères, qui rentrèrent dans la sacristie, tandis que le frère portier éteignait les cierges de l'autel.
L'enfant de chœur referma la crypte derrière eux, et l'église se trouva éclairée par cette lampe, qui, seule inextinguible, semblait un symbole inconnu du vulgaire, et parlant seulement aux élus de quelque mystérieuse initiation.
XXI Comment Chicot, croyant faire un cours d'histoire, fit un cours de généalogie.
Chicot se leva dans son confessionnal pour déroidir ses jambes engourdies. Il avait tout lieu de penser que cette séance était la dernière; et, comme il était près de deux heures du matin, il avait hâte de faire ses dispositions pour le reste de la nuit.
Mais, à son grand étonnement, lorsqu'ils eurent entendu la clef de la crypte grincer deux fois dans la serrure, les trois princes lorrains sortirent de la sacristie; seulement, cette fois, ils avaient jeté le froc et repris leurs costumes habituels.
En même temps, et en les voyant reparaître, l'enfant de chœur partit d'un si franc et si joyeux éclat de rire, que la contagion gagna Chicot, et qu'il se mit à rire aussi, sans savoir pourquoi.
Le duc de Mayenne s'approcha vivement de l'escalier.
– Ne riez pas si bruyamment, ma sœur, dit-il, ils sont à peine sortis et pourraient vous entendre.
– Sa sœur! fit Chicot, marchant de surprise en surprise; est-ce que par hasard ce moinillon serait une femme?
En effet, le novice rejeta son capuchon en arrière, et découvrit la plus spirituelle et la plus charmante tête de femme que jamais Léonard de Vinci ait transportée sur la toile, lui qui cependant a peint la Joconde.
C'étaient des yeux noirs, pétillants de malice, mais qui, lorsqu'ils venaient à dilater leurs pupilles, élargissaient leur disque d'ébène, et prenaient une expression presque terrible à force d'être sérieuse.
C'était une petite bouche merveille et fine, un nez dessiné avec une correction rigoureuse; c'était enfin un menton arrondi, terminant l'ovale parfait d'un visage un peu pâle, sur lequel ressortait, comme deux arcs d'ébène, un double sourcil parfaitement dessiné.
C'était la sœur de MM. de Guise, madame de Montpensier, dangereuse sirène, adroite à dissimuler, sous la robe épaisse du petit moine, l'imperfection tant reprochée d'une épaule un peu plus haute que l'autre, et la courbe inélégante de sa jambe droite, qui la faisait boiter légèrement.
Grâce à ces imperfections, l'âme d'un démon était venue se loger dans ce corps, à qui Dieu avait donné la tête d'un ange.
Chicot la reconnut pour l'avoir vue venir vingt fois faire la cour à la reine Louise de Vaudemont, sa cousine, et un grand mystère lui fut révélé par cette présence et par celle de ses trois frères, obstinés à rester après tout le monde.