Выбрать главу

Le duc prit le parchemin des mains de Nicolas David.

– Qu'est-ce que cela? demanda-t-il.

– L'arbre généalogique de la maison de Lorraine.

– Dont la souche est?

– Charlemagne, monseigneur.

– Charlemagne! s'écrièrent les trois frères avec un air d'incrédulité qui, néanmoins, n'était pas exempt d'une certaine satisfaction; c'est impossible. Le premier duc de Lorraine était contemporain de Charlemagne, mais il s'appelait Ranier, et n'était nullement parent de ce grand empereur.

– Attendez donc, monseigneur, dit Nicolas. Vous comprenez bien que je n'ai point été chercher une de ces questions que l'on tranche par un simple démenti et que le premier juge d'armes met à néant. Ce qu'il vous faut, à vous, c'est un bon procès qui dure longtemps, qui occupe le parlement et le peuple, pendant lequel vous puissiez séduire, non pas le peuple, il est à vous, mais le parlement. Voyez donc, monseigneur, c'est bien cela: Ranier, premier duc de Lorraine, contemporain de Charlemagne.

Guilbert, son fils, contemporain de Louis le Débonnaire.

Henri, fils de Guilbert, contemporain de Charles le Chauve.

– Mais!… dit le duc de Guise.

– Un peu de patience, monseigneur, nous y voilà. Écoutez bien. Bonne…

– Oui, dit le duc, fille de Ricin, second fils de Ranier.

– Bien, reprit l'avocat; à qui mariée?

– Bonne?

– Oui.

– À Charles de Lorraine, fils de Louis IV, roi de France.

– À Charles de Lorraine, fils de Louis IV, roi de France, répéta David. Maintenant ajoutez: frère de Lothaire, spolié de la couronne de France par l'usurpateur Hugues Capet, sur Louis V.

– Oh! oh! firent ensemble le duc de Mayenne et le cardinal.

– Continuez, dit le Balafré, il y a une lueur là dedans.

– Or Charles de Lorraine héritait de son frère à l'extinction de sa race. Or la race de Lothaire est éteinte; donc, messieurs, vous êtes les seuls et vrais héritiers de la couronne de France.

– Mordieu! fit Chicot, l'animal est encore plus venimeux que je ne croyais.

– Que dites-vous de cela, mon frère? demandèrent à la fois le cardinal et le duc de Mayenne.

– Je dis, répondit le Balafré, que malheureusement il existe en France une loi qu'on appelle la loi salique et qui met toutes nos prétentions à néant.

– Voilà où je vous attendais, monseigneur, s'écria David avec l'orgueil de l'amour-propre satisfait; quel est le premier exemple de la loi salique?

– L'avènement au trône de Philippe de Valois, au préjudice d'Édouard d'Angleterre.

– Quelle est la date de cet avènement?

Le Balafré chercha dans ses souvenirs.

– 1328, dit sans hésiter le cardinal de Lorraine.

– C'est-à-dire trois cent quarante et un ans après l'usurpation de Hugues Capet, deux cent quarante ans après l'extinction de la race de Lothaire. Donc, depuis deux cent quarante ans vos ancêtres avaient des droits à la couronne lorsque la loi salique fut inventée. Or, chacun sait cela, la loi n'a pas d'effet rétroactif.

– Vous êtes un habile homme, maître Nicolas David, dit le Balafré en regardant l'avocat avec une admiration qui n'était pas exempte d'un certain mépris.

– C'est fort ingénieux, fit le cardinal.

– C'est fort beau, dit Mayenne.

– C'est admirable, dit la duchesse, me voilà princesse royale. Je ne veux plus pour mari qu'un empereur d'Allemagne.

– Mon Dieu, Seigneur, dit Chicot, tu sais que je ne t'ai jamais fait qu'une prière: Ne nos inducas in tentationem et libéra nos ab advocatis.

Le duc de Guise seul était demeuré pensif au milieu de l'enthousiasme général.

– Et dire que de pareils subterfuges sont nécessaires à un homme de ma taille! murmura-t-il. Penser qu'avant d'obéir les peuples regardent des parchemins comme celui-ci, au lieu de lire la noblesse de l'homme dans les éclairs de ses yeux ou de son épée.

– Vous avez raison, Henri, dix fois raison, et, si l'on se contentait de regarder au visage, vous seriez roi parmi les rois, puisque les autres princes, dit-on, paraissent peuple auprès de vous. Mais l'essentiel pour monter au trône, c'est, comme l'a dit maître Nicolas David, un bon procès; et, quand nous y serons arrivés, c'est, comme vous l'avez dit vous-même, que le blason de notre maison ne dépare pas trop les blasons suspendus au-dessus des autres trônes de l'Europe.

– Alors, cette généalogie est bonne, continua en soupirant Henri de Guise, et voici les deux cents écus d'or que m'a demandés pour vous mon frère de Mayenne, – maître Nicolas David!

– Et en voici deux cents autres, dit le cardinal à l'avocat, dont les yeux pétillaient d'aise en enfouissant l'or dans ses larges braies, pour la nouvelle mission dont nous allons vous charger.

– Parlez, monseigneur, je suis tout entier aux ordres de Votre Éminence.

– Nous ne pouvons vous charger de porter vous-même à Rome, à notre saint père Grégoire XIII, cette généalogie, à laquelle il faut qu'il donne son approbation. Vous êtes trop petit compagnon pour vous faire ouvrir les portes du Vatican.

– Hélas! dit Nicolas David, j'ai grand cœur, c'est vrai, mais je suis de pauvre naissance. Ah! si seulement j'avais été simple gentilhomme!

– Veux-tu te taire, truand! dit Chicot.

– Mais vous ne l'êtes pas, continua le cardinal, et c'est un malheur. Nous sommes donc forcés de charger de cette mission Pierre de Gondy.

– Permettez, mon frère, dit la duchesse redevenue sérieuse: les Gondy sont gens d'esprit, sans doute, mais sur qui nous n'avons aucune prise, aucun recours. Leur ambition seule nous répond d'eux, et ils peuvent trouver à satisfaire leur ambition aussi bien avec le roi Henri qu'avec la maison de Guise.

– Ma sœur a raison, Louis, dit le duc de Mayenne avec sa brutalité ordinaire, et nous ne pouvons pas nous fier à Pierre de Gondy comme nous nous fions à Nicolas David, qui est notre homme et que nous pouvons faire pendre quand il nous plaira.

Cette naïveté du duc, lancée à brûle-pourpoint au visage de l'avocat, produisit sur le malheureux légiste le plus étrange effet; il éclata d'un rire convulsif qui dénotait la plus grande frayeur.

– Mon frère Charles plaisante, dit Henri de Guise à l'avocat pâlissant, et l'on sait que vous êtes notre fidèle; vous l'avez prouvé en mainte affaire.

– Et notamment dans la mienne, pensa Chicot en montrant le poing à son ennemi, ou plutôt à ses deux ennemis.