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– Au château de Méridor, madame, dit-il quand il eut repris assez de force pour prononcer ce nom. Qu'est-ce que cela, je vous prie?

– La terre d'une de mes bonnes amies, répondit Jeanne.

– D'une de vos bonnes amies…, et, continua Bussy, qui est à sa terre?

– Sans doute, répondit madame de Saint-Luc, qui ignorait complètement les événements arrivés à Méridor depuis deux mois: n'avez vous donc jamais entendu parler du baron de Méridor, un des plus riches barons poitevins et…

– Et… répéta Bussy, voyant que Jeanne s'arrêtait.

– Et de sa fille Diane de Méridor, la plus belle fille de baron qu'on ait jamais vue?

– Non, madame, répliqua Bussy, presque suffoqué par l'émotion.

Et tout bas le beau gentilhomme, tandis que Jeanne regardait encore son mari avec une singulière expression, le beau gentilhomme, disons-nous, se demandait par quel singulier bonheur, sur cette route, sans à-propos, sans logique, il trouvait des gens pour lui parler de Diane de Méridor, pour faire écho à la seule pensée qu'il eût dans le cœur.

Était-ce une surprise? ce n'était point probable; était-ce un piège? c'était presque impossible. Saint-Luc n'était déjà plus à Paris lorsqu'il était entré chez madame de Monsoreau, et lorsqu'il avait appris que madame de Monsoreau s'appelait Diane de Méridor.

– Et ce château est-il bien loin encore, madame? demanda Bussy.

– À sept lieues, je crois, et j'offrirais de parier que c'est là et non pas à votre petit village reluisant au soleil, dans lequel, au reste, je n'ai eu aucune confiance, que nous coucherons ce soir. Vous venez, n'est-ce pas?

– Oui, madame.

– Allons, dit Jeanne, c'est déjà un pas fait vers le bonheur que je vous proposais.

Bussy s'inclina et continua de marcher près des deux jeunes époux, qui, grâce aux obligations qu'ils lui avaient, firent charmante mine. Pendant quelque temps chacun garda le silence. Enfin Bussy, qui avait bien des choses à apprendre, se hasarda de questionner. C'était le privilège de sa position, et il paraissait au reste résolu d'en user.

– Et ce baron de Méridor dont vous me parliez, demanda-t-il, le plus riche des Poitevins, quel homme est-ce?

– Un parfait gentilhomme, un preux des anciens jours, un chevalier qui, s'il eût vécu au temps du roi Arthus, eût certes obtenu une place à la table ronde.

– Et, demanda Bussy en comprimant les muscles de son visage et l'émotion de sa voix, à qui a-t-il marié sa fille?

– Marié sa fille!

– Je le demande.

– Diane, mariée!

– Qu'y aurait-il d'extraordinaire à cela?

– Rien; mais Diane n'est point mariée: certainement, j'eusse été la première prévenue de ce mariage.

Le cœur de Bussy se gonfla, et un soupir douloureux brisa le passage de sa gorge étranglée.

– Alors, demanda-t-il, mademoiselle de Méridor est au château avec son père?

– Nous l'espérons bien, répondit Saint-Luc, appuyant sur cette réponse, pour montrer à sa femme qu'il l'avait comprise, et qu'il partageait ses idées et s'associait à ses plans.

Il se fît un moment de silence, pendant lequel chacun poursuivait sa pensée.

– Ah! s'écria tout à coup Jeanne en se haussant sur ses étriers, voici les tourelles du château. Tenez, tenez, voyez-vous, monsieur de Bussy, au milieu de ces grands bois sans feuilles, mais qui, dans un mois, seront si beaux; tenez, voyez-vous le toit d'ardoises?

– Oh! oui, certainement, dit Bussy avec une émotion qui étonnait lui-même ce brave cœur, resté jusqu'alors un peu sauvage, oui, je vois. Ainsi c'est là le château de Méridor?

Et, par une réaction naturelle à la pensée, à l'aspect de ce pays si beau et si riche même au temps de la détresse de la nature, à l'aspect de cette demeure seigneuriale, il se rappela la pauvre prisonnière ensevelie dans les brumes de Paris et dans l'étouffant réduit de la rue Saint-Antoine.

Cette fois encore il soupira, mais ce n'était plus tout à fait de douleur. À force de lui promettre le bonheur, madame de Saint-Luc venait de lui donner l'espérance.

XXIII Le vieillard orphelin.

Madame de Saint-Luc ne s'était point trompée: deux heures après on était en face du château de Méridor.

Depuis les dernières paroles échangées entre les voyageurs, et que nous avons répétées, Bussy se demandait s'il ne fallait pas raconter à ces bons amis, qui venaient de se faire connaître, l'aventure qui tenait Diane éloignée de Méridor. Mais, une fois entré dans cette voie de révélations, il fallait non seulement révéler ce que tout le monde allait bientôt savoir, mais encore ce que Bussy seul savait et ne voulait révéler à personne. Il recula donc devant un aveu qui amenait naturellement trop d'interprétations et de questions.

Et puis Bussy voulait entrer à Méridor comme un homme parfaitement inconnu. Il voulait voir, sans préparation aucune, M. de Méridor, l'entendre parler de M. de Monsoreau et du duc d'Anjou; il voulait se convaincre enfin, non pas que le récit de Diane était sincère, il ne soupçonnait pas un instant de mensonge cet ange de pureté, mais qu'elle n'avait été elle-même trompée sur aucun point, et que ce récit qu'il avait écouté avec un si puissant intérêt avait été une interprétation fidèle des événements.

Bussy conservait, comme on le voit, deux sentiments qui maintiennent l'homme supérieur dans sa sphère dominatrice, même au milieu des égarements de l'amour: ces deux sentiments étaient la circonspection à l'égard des étrangers et le respect profond de la personne qu'on aime.

Aussi madame de Saint-Luc, trompée, malgré sa perspicacité féminine, par la puissance que Bussy avait conservée sur lui-même, demeura-t-elle persuadée que le jeune homme venait d'entendre pour la première fois prononcer le nom de Diane, et que, ce nom n'éveillant en lui ni souvenir ni espérance, il s'attendait à trouver à Méridor quelque provinciale bien gauche et bien embarrassée en face des hôtes nouveaux qui lui arrivaient.

En conséquence, elle se disposait à jouir de sa surprise.

Cependant une chose l'étonnait, c'est que, le garde ayant sonné dans sa trompe pour l'avertir d'une visite, Diane n'accourût point sur le pont-levis, tandis que c'était un signal auquel Diane accourait toujours.

Mais, au lieu de Diane, on aperçut s'avancer par le porche principal du château un vieillard courbé, appuyé sur un bâton. Il était vêtu d'un surtout de velours vert brodé d'une fourrure de renard, et à sa ceinture brillait un sifflet d'argent près d'un petit trousseau de clef.

Le vent du soir soulevait sur son front ses longs cheveux, blancs comme les dernières neiges.