– Ce cavalier que j'ai soigné chez vous.
– Ce n'est pas mon jeune maître, a-t-elle répondu.
– Ah! c'est que, comme il était couché dans le lit de votre maîtresse, moi, j'ai cru… ai-je repris.
– Oh! mon Dieu, non; pauvre jeune homme! a-t-elle répondu avec un soupir, il ne nous était rien; nous ne l'avons même revu qu'une fois depuis.
– Alors, vous ne savez même pas son nom? ai-je demandé.
– Oh! si fait.
– Vous auriez pu l'avoir su et l'avoir oublié.
– Ce n'est pas un nom qu'on oublie.
– Comment s'appelle-t-il donc?
– Avez-vous entendu parler parfois du seigneur de Bussy?
– Parbleu! ai-je répondu, Bussy, le brave Bussy!
– Eh bien, c'est cela même.
– Alors, la dame?
– Ma maîtresse est mariée, monsieur.
– On est mariée, on est fidèle, et cependant on pense parfois à un beau jeune homme qu'on a vu… ne fût-ce qu'un instant, surtout quand ce beau jeune homme était blessé, intéressant et couché dans notre lit.
– Aussi, a répondu Gertrude, pour être franche, je ne dis point que ma maîtresse ne pense pas à lui.
Une vive rougeur monta au front de Bussy.
– Nous en parlons même, a ajouté Gertrude, toutes les fois que nous sommes seules.
– Excellente fille! s'écria le comte.
– Et qu'en dites-vous? ai-je demandé.
– Je raconte ses prouesses, ce qui n'est pas difficile, attendu qu'il n'est bruit dans Paris que des coups d'épée qu'il donne et qu'il reçoit. Je lui ai même appris, à ma maîtresse toujours, une petite chanson fort à la mode.
– Ah! je la connais, ai-je répondu; n'est-ce pas:
Un beau chercheur de noise,
C'est le seigneur d'Amboise;
Tendre et fidèle aussi,
C'est monseigneur Bussy!
– Justement! s'est écriée Gertrude. De sorte que ma maîtresse ne chante plus que cela.
Bussy serra la main du jeune docteur; un indicible frisson de bonheur venait de passer dans ses veines.
– C'est tout? dit-il, tant l'homme est insatiable dans ses désirs.
– Voilà, monseigneur. Oh! j'en saurai davantage plus tard; mais, que diable! on ne peut pas tout savoir en un jour… ou plutôt dans une nuit.
XXV Le père et la fille.
Le rapport de Remy faisait Bussy bien heureux; en effet, il lui apprenait deux choses: d'abord que M. de Monsoreau était toujours autant haï, et que lui, Bussy, était déjà plus aimé.
Et puis, cette bonne amitié du jeune homme pour lui, lui réjouissait le cœur. Il y a dans tous les sentiments qui viennent du ciel un épanouissement de tout notre être qui semble doubler nos facultés. On se sent heureux, parce qu'on se sent bon.
Bussy comprit donc qu'il n'y avait plus de temps à perdre maintenant, et que chaque frisson de douleur qui serrait le cœur du vieillard était presque un sacrilège: il y a un tel renversement des lois de la nature dans un père qui pleure la mort de sa fille, que celui qui peut consoler ce père d'un mot mérite les malédictions de tous les pères en ne le consolant pas.
En descendant dans la cour, M. de Méridor trouva un cheval frais que Bussy avait fait préparer pour lui. Un autre cheval attendait Bussy; tous deux se mirent en selle et partirent, accompagnés de Remy.
Ils arrivèrent dans la rue Saint-Antoine, non sans un grand étonnement de M. de Méridor, qui depuis vingt ans n'était point venu à Paris, et qui, au bruit des chevaux, aux cris des laquais, au passage plus fréquent des coches, trouvait Paris fort changé depuis le règne du roi Henri II.
Mais, malgré cet étonnement, qui touchait presque à l'admiration, le baron n'en conservait pas moins une tristesse qui s'augmentait à mesure qu'il approchait du but ignoré de son voyage. Quelle réception allait lui faire le duc, et qu'allait-il ressortir de nouvelles douleurs de cette entrevue?
Puis, de temps en temps, en regardant avec étonnement Bussy, il se demandait par quel étrange abandon il en était venu à suivre presque aveuglément ce gentilhomme d'un prince auquel il devait tous ses malheurs. N'eût-il pas bien plutôt été de sa dignité de braver le duc d'Anjou, et, au lieu d'accompagner ainsi Bussy où il lui plairait de le conduire, d'aller droit au Louvre se jeter aux genoux du roi? Que pouvait lui dire le prince? En quoi pouvait-il le consoler? N'était-il point de ceux-là qui appliquent des paroles dorées comme un baume momentané sur les blessures qu'ils ont faites; mais on n'est pas plutôt hors de leur présence que la blessure saigne plus vive et plus douloureuse qu'auparavant.
On arriva ainsi à la rue Saint-Paul. Bussy, comme un capitaine habile, s'était fait précéder par Remy, lequel avait ordre d'éclairer le chemin et de préparer les voies d'introduction dans la place.
Ce dernier s'adressa à Gertrude, et revint dire à son patron que nul feutre, nulle rapière, n'embarrassaient l'allée, l'escalier ou le corridor qui conduisaient à la chambre de madame de Monsoreau.
Toutes ces consultations, on le comprend bien, se faisaient à voix basse entre Bussy et le Haudouin.
Pendant ce temps, le baron regardait avec étonnement autour de lui.
– Eh quoi! se demandait-il, c'est là que loge le duc d'Anjou?
Et un sentiment de défiance commença de lui être inspiré par l'humble apparence de la maison.
– Pas précisément, monsieur, répondit en souriant Bussy; mais, si ce n'est point sa demeure, c'est celle d'une dame qu'il a aimée.
Un nuage passa sur le front du vieux gentilhomme.
– Monsieur, dit-il en arrêtant son cheval, nous autres gens de province, nous ne sommes point faits à ces façons; les mœurs faciles de Paris nous épouvantent, et si bien, que nous ne savons pas vivre en présence de vos mystères. Il me semble que si M. le duc d'Anjou tient à voir le baron de Méridor, ce doit être en son palais à lui, et non dans la maison d'une de ses maîtresses. Et puis, ajouta le vieillard avec un profond soupir, pourquoi, vous qui paraissez un honnête homme, me menez-vous en face d'une de ces femmes? Est-ce pour me faire comprendre que ma pauvre Diane vivrait encore si, comme la maîtresse de ce logis, elle eût préféré la honte à la mort.
– Allons, allons, monsieur le baron, dit Bussy avec son sourire loyal qui avait été son plus grand moyen de conviction envers le vieillard, ne faites point d'avance de fausses conjectures. Sur ma foi de gentilhomme, il ne s'agit point ici de ce que vous pensez. La dame que vous allez voir est parfaitement vertueuse et digne de tous les respects.