Diane lança un de ses regards au jeune homme, et ce regard signifiait:
– Vous qu'on appelle le brave Bussy, avez-vous peur de M. le duc d'Anjou, comme pourrait en avoir peur M. de Monsoreau?
Bussy comprit le regard de Diane et sourit.
– Monsieur le baron, dit-il, pardonnez-moi, je vous prie, la demande singulière que je vais vous prier de faire, et vous, madame, au nom de l'intention que j'ai de vous rendre service, excusez-moi.
Tous deux attendaient en se regardant.
– Monsieur le baron, reprit Bussy, demandez, je vous prie, à madame de Monsoreau…
Et il appuya sur ces derniers mots, qui firent pâlir la jeune femme. Bussy vit la peine qu'il avait faite à Diane et reprit:
– Demandez à votre fille si elle est heureuse du mariage que vous avez commandé et auquel elle a consenti.
Diane joignit les mains et poussa un sanglot. Ce fut la seule réponse qu'elle put faire à Bussy. Il est vrai qu'aucune autre n'eût été aussi positive.
Les yeux du vieux baron se remplirent de larmes, car il commençait à voir que son amitié, peut-être trop précipitée, pour M. de Monsoreau allait se trouver être pour beaucoup dans le malheur de sa fille.
– Maintenant, dit Bussy, il est donc vrai, monsieur, que, sans y être forcé par aucune ruse ou par aucune violence, vous avez donné la main de votre fille à M. de Monsoreau?
– Oui, s'il la sauvait.
– Et il l'a sauvée effectivement. Alors je n'ai pas besoin de vous demander, monsieur, si votre intention est de laisser votre parole engagée?
– C'est une loi pour tous et surtout pour les gentilshommes, et vous devez savoir cela mieux que tout autre, monsieur, de tenir ce qu'on a promis. M. de Monsoreau a, de son propre aveu, sauvé la vie à ma fille, ma fille est donc bien à M. de Monsoreau.
– Ah! murmura la jeune femme, que ne suis-je morte?
– Madame, dit Bussy, vous voyez bien que j'avais raison de vous dire que je n'avais plus rien à faire ici. M. le baron vous donne à M. de Monsoreau, et vous lui avez promis vous-même, au cas où vous reverriez votre père sain et sauf, de vous donner à lui.
– Ah! ne me déchirez pas le cœur, monsieur de Bussy! s'écria madame de Monsoreau en s'approchant du jeune homme; mon père ne sait pas que j'ai peur de cet homme; mon père ne sait pas que je le hais; mon père s'obstine à voir en lui mon sauveur, et moi, moi, que mes instincts éclairent, je m'obstine à dire que cet homme est mon bourreau!
– Diane! Diane! s'écria le baron, il t'a sauvée!
– Oui, s'écria Bussy, entraîné hors des limites où sa prudence et sa délicatesse l'avaient retenu jusque-là, oui; mais, si le danger était moins grand que vous ne le croyiez, si le danger était factice, si, que sais-je? moi! Écoutez, baron, il y a là-dessous quelque mystère qu'il me reste à éclaircir et que j'éclaircirai. Mais ce que je vous proteste, moi, c'est que si j'eusse eu le bonheur de me trouver à la place de M. de Monsoreau, moi aussi j'eusse sauvé du déshonneur votre fille, innocente et belle, et, sur Dieu qui m'entend! je ne lui eusse pas fait payer ce service.
– Il l'aimait, dit M. de Méridor, qui sentait lui-même tout ce qu'avait d'odieux la conduite de M. de Monsoreau, et il faut bien pardonner à l'amour.
– Et moi, donc! s'écria Bussy, est-ce que…
Mais, effrayé de cet éclat qui allait malgré lui s'échapper de son cœur, Bussy s'arrêta, et ce fut l'éclair qui jaillit de ses yeux qui acheva la phrase interrompue sur ses lèvres.
Diane ne la comprit pas moins et mieux encore peut-être que si elle eût été complète.
– Eh bien, dit-elle en rougissant, vous m'avez comprise, n'est-ce pas? Eh bien, mon ami, mon frère, vous avez réclamé ces deux titres, et je vous les donne; eh bien, mon ami, eh bien, mon frère, pouvez-vous quelque chose pour moi?
– Mais le duc d'Anjou! le duc d'Anjou! murmura le vieillard, qui voyait toujours la foudre qui le menaçait gronder dans la colère de l'Altesse royale.
– Je ne suis pas de ceux qui craignent les colères des princes, seigneur Augustin, répondit le jeune homme; et je me trompe fort, ou nous n'avons point cette colère à redouter; si vous le voulez, monsieur de Méridor, je vous ferai, moi, tellement ami du prince, que c'est lui qui vous protégera contre M. de Monsoreau, de qui vous vient, croyez-moi, le véritable danger, danger inconnu, mais certain; invisible, mais peut-être inévitable.
– Mais, si le duc apprend que Diane est vivante, tout est perdu! dit le vieillard.
– Allons, dit Bussy, je vois bien que, quoi que j'aie pu vous dire, vous croyez M. de Monsoreau avant moi et plus que moi. N'en parlons plus, repoussez mon offre, monsieur le baron, repoussez le secours tout-puissant que j'appelais à votre aide; jetez-vous dans les bras de l'homme qui a si bien justifié votre confiance; je vous l'ai dit: j'ai accompli ma tâche, je n'ai plus rien à faire ici. Adieu, seigneur Augustin, adieu madame, vous ne me verrez plus, je me retire, adieu!
– Oh! s'écria Diane en saisissant la main du jeune homme, m'avez-vous vue faiblir un instant, moi? m'avez-vous vue revenir à lui? Non. Je vous le demande à genoux, ne m'abandonnez pas, monsieur de Bussy, ne m'abandonnez pas!
Bussy serra les belles mains suppliantes de Diane, et toute sa colère tomba comme tombe cette neige que fond à la crête des montagnes le chaud sourire du soleil de mai.
– Puisqu'il en est ainsi, dit Bussy, à la bonne heure, madame; oui, j'accepte la mission sainte que vous me confiez, et, avant trois jours, car il me faut le temps de rejoindre le prince, qui est, dit-on, en pèlerinage à Chartres avec le roi, avant trois jours vous verrez du nouveau, ou j'y perdrai mon nom de Bussy.
Et, s'approchant d'elle avec une ivresse qui embrasait à la fois son souffle et son regard:
– Nous sommes alliés contre le Monsoreau, lui dit-il tout bas; rappelez-vous que ce n'est pas lui qui vous a ramené votre père, et ne me soyez point perfide.
Et, serrant une dernière fois la main du baron, il s'élança hors de l'appartement.
(1846)
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
[1] La petite vérole avait tellement maltraité M. le duc d'Anjou, qu'il semblait avoir deux nez.
[2] L'estortuaire était ce bâton que le grand veneur remettait au roi pour qu'il pût écarter les branches des arbres en courant au galop.
[3] Écrits satiriques, pamphlets