— Ça suffit comme ça ! coupa Roussay. On ne vous demande pas vos secrets d'alcôve. Une chose est certaine : maître Gautherin est bien quelque part. Le tout est de savoir où et j'ai l'impression que vous, vous le savez...
— Je suis certaine qu'il est ici, murmura Catherine. Cela doit tenir à la mauvaise volonté que mettent ces gens...
— Ces gens ! Non mais dites donc, brailla Philibert, faudrait voir tout de même à pas nous prendre pour...
— J'ai déjà dit que ça suffisait ! gronda le capitaine qui se tourna vers Catherine pour ajouter : La meilleure manière de trouver la vérité est de visiter cette maison de fond en comble. C'est ce que nous allons faire. Vous autres, ajouta-t-il pour ses hommes, vous me gardez soigneusement le frère et la sœur. Venez, Catherine !
Escorté de la jeune femme, de Loyse et des deux garçons, il se dirigea vers le réduit aux écritures que Catherine ne revit pas sans émotion ainsi d'ailleurs que le reste de la maison où s'était écoulée la plus grande partie de son adolescence. Rien n'avait changé et il fallait rendre cette justice à Amandine La Verne que tout était aussi parfaitement tenu qu'au temps où Jaquette, la mère des deux sœurs, et Sara s'en occupaient.
Mais, à part la cuisine, qui tenait tout le reste du rez-de-chaussée et où une servante effarée cessa d'éplucher des légumes pour les regarder bouche bée, la maison se révéla totalement vide. La chambre même de l'oncle Mathieu était dans le même ordre parfait que le reste du logis avec seulement la légère brume de poussière et le côté impersonnel des pièces inhabitées.
— Je commence à croire que ces gens ont dit la vérité et que votre oncle a quitté les lieux, soupira Roussay visiblement contrarié.
— Mais c'est impossible, vous dis-je. Où voulez- vous qu'un homme de son âge soit allé... et tout seul ?
— Je ne sais pas, moi... En pèlerinage, peut-être ? On y va à tout âge.
Catherine haussa les épaules avec emportement.
— En pèlerinage ! L'oncle Mathieu ! Laissez-moi rire ! On voit que vous ne le connaissez pas...
— Écoutez, Catherine : il faut bien qu'il soit quelque part ce bonhomme ? Et comme il n'est pas ici...
Brusquement, la jeune femme changea de couleur. Elle devint si pâle qu'il lui fallut s'appuyer au chambranle de la porte.
— Mon Dieu !...
— Qu'avez-vous ? s'inquiéta Jacques. Vous êtes souffrante ?
— N... on, mais il vient de me venir une idée si affreuse, si...
Jacques ! Et si ces gens l'avaient fait disparaître ?
— Vous voulez dire qu'ils pourraient l'avoir... tué ?
— Pourquoi pas ? L'oncle disparu, ils peuvent demeurer ici indéfiniment... et je voudrais bien savoir ce qui aurait pu les en empêcher ? Le pauvre homme était seul avec eux. Seul et à peu près sans défense.
Il y eut un silence. L'idée faisait son chemin dans l'esprit de Roussay qui, visiblement, la tournait et la retournait dans tous les sens. Sans d'ailleurs parvenir à lui trouver une conclusion satisfaisante car il finit par soupirer.
— Evidemment ! Tout est possible. Mais je n'ai aucun droit pour arrêter qui que ce soit sur un simple soupçon.
— Je vous en prie, Jacques, cherchons encore ! murmura-telle enfin. Nous finirons bien par trouver au moins un faible indice. Je sens qu'il y a ici quelque chose de louche.
— A moins de démolir la maison pierre par pierre, je ne vois pas ce que nous pourrions faire de mieux ! bougonna Roussay.
La visite recommença mais sans apporter plus de résultat. Il fallut bien se résigner et Catherine, la mort dans l'âme, regagna la boutique.
— Alors ? lui lança la femme l'œil arrogant. Vous l'avez trouvé votre cher oncle ? Vous voilà contente, hein ? Vous avez bien empoisonné la vie d'honnêtes gens qui ne vous demandaient rien ?
Seulement, sous prétexte qu'on est Madame la Comtesse, ou Madame l'Abbesse, ajouta-t-elle à l'adresse de Loyse qui, le teint cireux et les yeux clos, s'était laissée tomber sur une escabelle, on se croit tout permis, on a tous les droits, pas vrai ? Et vous vous imaginez que ça va se passer comme ça ?...
— Pour le moment, oui ! coupa Roussay en empoignant Amandine par le bras. Et je vous conseille de baisser le ton, la belle, car tant que Mathieu Gautherin ne sera pas retrouvé, vous ne serez pas tirée d'affaire. On ne vous lâchera pas avant de savoir ce qu'il est devenu...
— Vous ferez sagement, je crois, articula calmement une claire voix féminine qui domina un instant le tumulte de protestations d'Amandine et de son frère, car je vous amène une pauvre créature qui peut avoir des choses intéressantes à dire.
Sur le seuil, flanquée d'une servante visiblement terrifiée qu'elle tenait d'une main ferme, se tenait une grande femme blonde âgée d'environ vingt-cinq ans, éclatante et fraîche dont le corps opulent était habillé d'un superbe velours ciselé du même brun que ses yeux.
Les amples manches de sa robe, découpées en feuilles de chêne et descendant jusqu'à terre, laissaient voir une doublure de satin gris assorti à la jupe de dessous qu'un pan de la robe, relevé par une agrafe d'or, montrait coquettement. Une sorte de haut tambourin formé d'une torsade de velours brun et de satin gris dont les pans s'enroulaient autour de son cou coiffait avec une certaine majesté l'aimable visage de cette femme devant laquelle Jacques de Roussay s'inclina courtoisement avec un empressement qui n'échappa pas à Catherine.
Je viens de chez vous, sire capitaine, continua la nouvelle venue, car je désirais que cette fille refasse pour vous le récit dont elle m'avait régalée. Mais l'on m'y a appris que vous étiez justement parti pour le « Grand Saint Bonaventure » et je me suis hâtée de vous suivre, pensant que je pourrais vous y être utile... Sainte Vierge bénie ! s'exclama-t-elle en découvrant soudain Loyse qui se redressait péniblement. Vous étiez donc là, révérende mère ?... Mais que vous est-il arrivé ? Vous êtes pâle et, Dieu me pardonne, vous vous soutenez à peine.
— Ce n'est rien, dame Symonne ! soupira Loyse en s'efforçant de sourire. J'ai eu maille à partir avec ces gens... mais je ne crois pas que vous connaissiez ma sœur, la comtesse de Montsalvy. Catherine, ajouta-t-elle en se tournant vers la jeune femme, damoiselle Symonne Sauvegrain était déjà, et de longtemps, une bienfaitrice de notre couvent mais, depuis qu'elle a épousé messire Jehan Morel, conseiller et gouverneur de la Chancellerie de Monseigneur le Duc, elle a encore amplifié ses bienfaits. J'ajoute qu'elle a eu l'insigne honneur de nourrir de son lait monseigneur le comte de Charolais1 et que Madame la Duchesse lui porte une toute particulière amitié.
Le blond visage de la nourrice ducale s'illumina d'un sourire, cependant que ses mains se tendaient en un geste d'accueil charmant.
— La célèbre Catherine !... Quelle joie de vous rencontrer ! Ainsi vous étiez à Dijon et personne ne le savait ?
— Je n'y suis que depuis une heure, répondit la jeune femme conquise par la chaleur et l'amitié que dégageait cette femme. Et je suis venue tout droit ici dans l'espoir de revoir mon oncle dont je suis sans nouvelles depuis des années. Mais ne disiez-vous pas que vous pourriez nous apprendre quelque chose ?
— Je le crois ! Cette enfant, ajouta-t-elle en poussant devant elle la petite servante, est la jeune sœur d'une de mes chambrières. Elle est en place tout près d'ici, chez maître Seguin, le faiseur de coffres de mariage qui vient de mourir et dont le petit jardin est mitoyen de celui qui s'étend derrière cette maison. Or, ce tantôt elle est accourue chez moi, toute
1 Le futur Charles le Téméraire.
Défaite et en larmes, en suppliant qu'on voulût bien la garder car elle refusait de retourner dans la maison des Seguin. Allons, Marthon, un peu de courage !... raconte ton histoire comme tu me l'as racontée...