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Elle profita de l'attente pour examiner les alentours. L'entrée reliait la cour de la Sainte-Chapelle et la cour intérieure du palais, défendue par de hauts murs. La tour Neuve apparaissait toute proche, rattachée au grand corps de logis ducal par une galerie mais offrant avec lui un contraste frappant. Les hautes fenêtres étirées sur un étage du palais, avec leurs arcs en accolades légères et leurs vitres scintillantes, faisaient plus tragiques les épais barreaux défendant les rares ouvertures de la tour carrée.

« Il doit être impossible d'entrer là-dedans sans une autorisation, pensa Catherine en s'efforçant de compter les hommes d'armes qui patrouillaient devant la moindre ouverture de la prison royale, le malheureux doit y être comme un rat dans un piège. »

Cela avait son bon et son mauvais côté. Si rusé qu'il fût, le Damoiseau et ses mauvaises intentions auraient autant de mal à atteindre René d'Anjou que Catherine avec sa lettre maternelle. Mais la collusion avec Jacquot de la Mer inquiétait sérieusement la jeune femme. Le tavernier n'avait-il pas un cousin aux cuisines ? Et là où l'homme n'entre pas, le poison ne rencontre guère d'obstacles...

Elle en était là de ses cogitations quand on vint la chercher.

— Le capitaine attend la dame de Montsalvy, dit l'enseigne qui l'avait fait garder pratiquement à vue, avec une nuance de respect qu'il n'avait pas cru devoir lui marquer jusque-là. Si vous voulez bien me suivre...

Jacques était chez lui, dans le logis donnant à la fois sur le jardin et sur les écuries qu'il occupait lorsqu'il était de service au palais et que Catherine connaissait bien. Lorsqu'elle était dame de parage de la duchesse Marguerite, elle y était venue par un jour d'été particulièrement chaud et elle avait bien failli, ce jour-là, tomber à la fois dans les bras et dans le lit du jeune capitaine.

La pièce où elle entra était à peu près semblable au souvenir qu'elle en gardait : de beaux meubles, des tentures de prix encadrant le lit, des armes, des pièces d'armure débordant d'un coffre et, sur un dressoir, des gobelets et des bouteilles dont quelques-unes étaient vides.

Ce qui manquait de liquide avait dû être absorbé assez récemment par Roussay car il avait le teint enluminé et l'œil plutôt vague mais ses cheveux mouillés racontaient aussi qu'il venait de se tremper vivement la tête dans l'eau. Il se hâtait de refermer son pourpoint vert lorsque, introduite par l'enseigne, Catherine pénétra dans son domaine. Il lui offrit un sourire à la fois joyeux et un peu contrit.

— Vous vous êtes donné la peine de venir jusqu'ici ? J'ai honte...

— Il n'y a vraiment pas de quoi. Le chemin n'est pas si long et comme je vous ai attendu avant-hier toute la soirée et hier toute la journée, j'ai pensé qu'il valait mieux que je vienne. Pourquoi ne vous a-t-on pas vu ? Vous n'aimez pas dame Symonne ?

— Que si ! C'est peut-être, avec la duchesse, la seule femme qui soit à la fois belle et vertueuse dans l'élégant bordel que constitue la cour de notre bon duc !

— Eh bien ! Voilà un jugement sévère !

Même pas ! Je suis encore en dessous de la vérité. Le Duc change de maîtresse aussi souvent que de chemise, répand des bâtards un peu partout et se conduit comme un faune dans son parc de Hesdin où il a fait disposer des jets d'eau cachés qui arrosent tout impromptu les fesses des dames sous leurs jupes quand elles passent... ce qui les fait automatiquement se retrousser. Ah, les choses ont bien changé depuis que vous nous avez abandonnés !...

— Allons, Jacques, ne soyez pas si amer, ni si injuste, dit Catherine en riant. Ce que vous m'apprenez est bien un peu surprenant mais, lorsque j'étais auprès du Duc, nous ne cultivions pas spécialement la vertu, il me semble ?

— Parce que vous étiez sa maîtresse ? Mais ce n'est pas du tout la même chose ! Il était veuf et il vous adorait : il y avait dans votre histoire quelque chose de respectable. Avec vous, la Beauté et le Charme avaient été hissés au trône mais aussi la décence et la discrétion et il n'était personne, à la Cour, qui ne comprît la passion de Philippe. Comment vous résister ? Les peintres même faisaient de vous Notre-Dame d'Occident ! Mais à présent...

— Eh bien ?

Jacques haussa les épaules avec emportement :

— A présent?... Savez-vous que l'on a pu voir notre grand duc besognant des servantes sur des coffres ou dans des coins sombres ?

Un tétin un peu insolent, un joli cul et le voilà qui déraisonne ! Quelle pitié !

— Mais... la duchesse, dans tout cela ? demanda Catherine un peu interloquée par ce débordement d'amertume.

— Elle ? Elle est bien trop haute dame pour descendre à des scènes ou même à des reproches. Elle élève son fils, le jeune comte Charles, à qui elle s'efforce d'apprendre la continence... et elle prie ! Mais sans grand espoir d'être entendue. Quand on est mariée à un bouc en folie, il faut bien se faire une raison.

Il y eut un silence que le capitaine meubla par un soupir et par une visite à son dressoir où il se versa un plein gobelet de vin qu'il avala d'un trait sous l'œil pensif de sa visiteuse.

— Vous l'aimiez autrefois, reprocha-t-elle doucement. Alors pourquoi, maintenant...

Il se retourna vers elle aussi brusquement que si une guêpe l'avait piqué.

— Pourquoi je vous dis tout cela ? Vous en venez à penser que je le hais n'est-ce pas ? Eh bien non, ce n'est pas cela. Je ne le hais point et même je suis toujours prêt à mourir pour lui aujourd'hui, demain, tout de suite. Mais, au moins, qu'il m'en donne l'occasion, bon Dieu !

Qu'il nous laisse le servir, l'entourer, nous battre auprès de lui, nous, les Bourguignons de vieille Bourgogne, au lieu de nous laisser croupir au fond de nos châteaux, comme de vieilles femmes inutiles tandis qu'il ne souffre autour de lui que ses Flamands bouffis de graisse et de vanité ! On a vu, à Calais, le beau résultat de cette préférence !

— À Calais ? fit Catherine à qui ses propres affaires n'avaient guère permis de s'occuper beaucoup de la politique intérieure bourguignonne. Que s'est-il donc passé ?

Jacques lui jeta un regard courroucé :

Vos montagnes d'Auvergne doivent être bien hautes, madame de Montsalvy, pour que vous ignoriez notre honte. A la belle saison, le duc Philippe a voulu reprendre Calais aux Anglais, poussé par les marchands de Gand et de Bruges dont le commerce des laines souffre depuis la paix d'Arras. Et il est allé tenter l'aventure avec ses Gantois et ses Brugeois qui pensaient, dans leur outrecuidance, faire bon marché de la puissance anglaise. A aucun prix les hommes de Picardie ou de Bourgogne ne devaient prendre part à l'affaire. Seulement « messeigneurs de Gand ou de Bruges » comme ces faquins osent s'intituler. La raison en était simple : ils espéraient beau pillage et ne voulaient pas partager. Mais le résultat a été piteux car, voyant qu'ils ne venaient pas à bout de l'ennemi « messeigneurs de Gand et de Bruges » ont tourné casaque, refusé d'entendre les prières... oui, les prières, vous m'entendez bien, Catherine, cria Jacques dans une soudaine explosion de rage, de leur seigneur et s'en sont retournés chez eux, traînant à leur suite le duc désespéré à qui ces beaux messieurs n'avaient même pas permis d'attendre l'arrivée du duc de Gloucester qui, cependant, l'avait défié ! Voilà où nous en sommes !

Voilà où nous conduisent les préférences stupides de Philippe le Bon !

Il n'est pas un chevalier en Bourgogne qui ne se ronge les poings jusqu'au sang quand le nom de Calais vient à son esprit. Et pendant ce temps moi, moi, Jacques de Roussay, capitaine de cent lances, je n'ai rien d'autre à faire qu'à garder un petit roi qui, tout le jour, écrit des vers, peint des images ou regarde voler les oiseaux dans le ciel. À le garder... et à boire !