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Si cette femme était la maîtresse de l'oncle Mathieu, elle lui coûtait cher. Mais il fallait reconnaître qu'elle était assez belle et qu'en tout état de cause elle avait tout ce qu'il fallait pour faire naître chez un vieillard les idées folles du démon de midi. En même temps Catherine était envahie d'une curieuse impression : celle d'avoir déjà vu cette femme quelque part. Mais où et dans quelles circonstances ?...

L'impression étant trop vague et le souvenir trop ténu, sa voix froide coupa court à l'énumération des richesses de la maison.

— Vous êtes Amandine La Verne ?...

Les épais sourcils noirs de la femme se relevèrent tandis que le sourire commercial s'effaçait de sa bouche.

— Je... oui, c'est moi mais je ne...

Je suis la comtesse de Montsalvy et je viens voir mon oncle Mathieu !

dit Catherine tranquillement. Conduisez-moi vers lui !... » Puis comme l'autre la regardait sans mot dire en se détournant légèrement vers Loyse qui venait de faire son apparition elle ajouta : « La révérende mère abbesse que vous venez de vous permettre de jeter dehors est ma sœur. Je tiens à vous faire savoir que vous aurez beaucoup plus de mal à vous débarrasser de moi !

Bouche bée, Amandine contemplait l'élégante silhouette .de cette visiteuse inattendue, à la fois surprise et irritée secrètement de la trouver si belle dans ce simple costume de voyage de beau drap couleur prune. Comme toute la Bourgogne, elle connaissait l'histoire de cette femme que l'amour du Duc avait rendue quasi légendaire mais qui, disparue depuis longtemps, avait fini par perdre toute réalité en dépit des descriptions larmoyantes qu'en faisait ce vieil âne de Mathieu Gautherin. Et voilà qu'elle surgissait à présent, cette Catherine de Montsalvy avec sa beauté intacte, son pur visage cerné par les plis légers d'un grand voile vert amande et ses grands yeux couleur de violette froidement plantés dans les siens qui ne pouvaient s'empêcher de se détourner !...

— Mathieu ? Il n'est pas là, articula-t-elle enfin sans le moindre empressement.

Après quoi, éprouvant sans doute le besoin d'un secours, elle appela

:

— Philibert ! Viens un peu par ici !...

— Voilà, voilà !...

La silhouette de l'homme qui avait eu maille à partir avec Loyse s'encadra si bien dans la porte du réduit qu'elle la boucha complètement. Si l'on cherchait bien, il présentait avec sa sœur une très vague ressemblance, encore qu'il fût plus jeune et que l'expression de sournoise douceur de l'une fût remplacée chez l'autre par les stigmates sans nuances d'une brutalité primitive. Son rôle dans la maison devait être celui du molosse chargé de faire respecter les volontés de la maîtresse et d'éloigner les curieux.

— Qu'est-ce que c'est, Mandine ? T'as encore besoin de moi, grogna-t-il en se curant les dents avec une plume d'oie.

— Ils veulent voir le père Mathieu ! fit sa sœur en désignant du menton les quatre visiteurs.

— Encore ? C'est quoi ? Une maladie ?... » Puis, brusquement, il découvrit Loyse et prit feu : « Qu'est-ce que vous venez faire ici, vous

? Est-ce que je vous ai pas défendu cette maison ?...

— En voilà assez ! coupa Catherine sèchement. Nous exigeons de voir notre oncle immédiatement !

— Vous n'avez aucun intérêt à refuser, gronda Gauthier qui, taquinant son épée, sentait la moutarde lui monter au nez devant la grossièreté du personnage.

Philibert ouvrait déjà la bouche pour s'enquérir sans doute de l'identité de cette dame glaciale mais Amandine, se haussant sur la pointe des pieds, lui chuchota quelques mots à l'oreille et la mine renfrognée de l'homme s'épanouit brusquement en un sourire.

— Oh ! Madame est... oh ! Quel honneur !... Et tu laisses Madame debout, Amandine ?... Vite, un siège, un...

— Il ne s'agit pas de cela ! Je ne suis pas venue visiter la maison ni vous faire la conversation. Je veux voir mon oncle et sur l'heure !

— Nous comprenons bien, noble dame... et ce serait pour ma pauvre sœur et moi-même une vraie joie de vous conduire à lui...

seulement il est pas là !

— Pas là ? Où est-il donc ?

— Probablement à sa maison de Marsannay. Les vendanges approchent, vous savez, et le père Mathieu...

— Cela vous gênerait de dire maître Gautherin ! s'écria Loyse outrée des façons du bonhomme.

— Bon, maître Gautherin si ça peut vous faire plaisir ! C'est un si bon ami pour nous...

Catherine nota mentalement que Philibert mentionnait l'oncle Mathieu comme un simple ami alors qu'elle avait craint jusque-là que la belle Amandine se fût fait épouser. Heureusement il n'en était rien...

— Vous devriez pousser jusqu'à Marsannay, continuait Philibert quand une nouvelle voix se fit entendre à l'entrée de la boutique.

— Ce n'est pas la peine, il n'est pas à Marsannay. Cela fait au moins trois mois qu'il n'y a pas mis les pieds !

Celui qui venait de parler était un petit homme mince et fluet que Catherine reconnut aussitôt comme étant un ancien ami et voisin de son oncle, un maître tailleur qui possédait aussi une maison de vignes dans la Côte. Elle alla vers lui avec un joyeux sourire.

— Maître Duriez ! Je suis si heureuse de vous revoir ! Comment vous portez-vous ?

La figure chagrine du petit tailleur, prolongée d'une barbe follette, s'éclaira soudainement.

— Par Notre-Dame ! Mais c'est Catherine !... La petite Catherine !

Que te voilà grande ! Mais toujours aussi belle ! Que je t'embrasse !...

Il s'élançait déjà vers elle quand, soudain, il s'arrêta, devint tout rouge et baissa la tête.

— Oh, je vous demande pardon, noble dame... j'étais si heureux de vous voir... je m'attendais si peu... j'ai oublié...

— Rien du tout ! Et moi je n'ai pas oublié ! Embrassez-moi, maître Duriez et laissez la noble dame de côté. Pour vous je suis toujours Catherine. Ne changeons rien à nos habitudes.

Sous l'œil amusé de Gauthier et celui vaguement scandalisé de Bérenger qui commençait à trouver que tous ces gens de peu en prenaient bien à leur aise avec sa noble maîtresse, le tailleur et la jeune femme s'embrassèrent avec enthousiasme.

— Ah ! fit maître Duriez, tu ne peux pas savoir ce que je suis heureux que vous vous soyez enfin décidées, les femmes de la famille, à venir voir un peu ce qui se trame ici ! Quand on m'a dit qu'on avait vu arriver Loyse, je suis venu pour lui prêter main-forte et voilà que toi aussi tu es là ! C'est trop de bonheur !... On va peut-être enfin savoir ce qu'est devenu ce pauvre Mathieu !...

— Que voulez-vous dire ? intervint l'abbesse. Il y a longtemps que vous ne l'avez vu ?

— Que trop longtemps ! On a cessé de se voir depuis que votre mère est partie, chassée par cette femme, et qu'il a rouvert le magasin pour elle. À cette occasion, nous avons eu... des mots ! J'ai essayé de lui dessiller les yeux, de lui faire entendre raison ! Mais il ne voulait rien écouter. Il était coiffé de cette Amandine ! gronda-t-il en désignant d'un doigt tremblant de colère ladite Amandine qui frémissait et semblait sur le point de se jeter sur lui. Il n'y en avait que pour elle ! Les vieux amis ne comptaient plus.

— Et c'est ce qui vous gênait, hein ? cria la femme incapable de se contenir plus longtemps. Et ça vous gêne toujours que le Mathieu il m'aime ! Seulement vaudrait mieux en prendre votre parti parce qu'on va bientôt s'épouser ! Je serai la maîtresse ici et à Marsannay, et partout, vous entendez ?

— Tu l'es déjà, Amandine ! T'es chez toi ici, brailla le frère en contrepoids. Et vous autres, vous allez en sortir, et plus vite que ça, les nièces, les vieux copains, les larbins et tout le saint-frusquin ! J'

vous ai assez vus et vaut mieux pour vous que j' me mette pas en colère.

Il avait saisi sur le comptoir la grande mesure en bois qui servait à auner les tissus et, la brandissant au-dessus de sa tête comme un bâton, s'avançait menaçant sur le groupe mais déjà Gauthier avait tiré son épée et se jetait en avant faisant aux deux femmes un rempart de son corps.