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? J'y végéterais comme un vieux croûton...

— Alors venez vous installer à Montsalvy. Le pays vous avait plu quand vous y êtes venu pour le baptême d'Isabelle. Vous fîtes même amitié avec Saturnin Garrouste, notre bailli et chacun serait heureux de vous revoir. Et puis il y a les enfants que vous verriez grandir...

Mon petit Michel vous aime beaucoup...

— Mais ton mari, lui, ne m'aime guère ! Je ne peux pas le lui reprocher d'ailleurs : c'est un seigneur, un guerrier et je ne suis moi qu'un ancien drapier... un rappel désagréable de ta condition première, ma fille ! Et puis c'est un grand voyage. Enfin, le climat est rude dans ton pays de montagne.

— Eh bien, soupira-t-elle, il vous reste encore une possibilité : Loyse, je veux dire la mère Agnès de Sainte-Radegonde, vous offre de venir vous établir auprès d'elle dans une maison avec jardin que son couvent possède à Tart-le-Bas. Vous y seriez...

— Aspergé d'eau bénite, enfumé d'encens et accablé de patenôtres du matin au soir et du soir au matin ! Madame l'abbesse ne m'a pas caché son sentiment en nous quittant ce matin : il est temps que je songe à demander pardon de mes péchés et à faire mon salut car je n'ai plus longtemps à vivre et, si je ne m'amende, messire Satan m'attend déjà en ricanant, en attisant ses chaudières et en remoulant sa grande fourche. Merci bien ! J'aime encore mieux périr de solitude à Marsannay ! Au moins il me restera mon vin !... Loyse me mettrait à l'eau claire et au pain sec du repentir !...

L'entrée d'une petite femme, si petite que sa grande coiffe en toile de Frise empesée lui mettait le visage à mi-chemin des pieds, dispensa Catherine d'un nouvel effort de conciliation et elle se leva pour la laisser approcher du lit, non sans un secret sentiment de soulagement.

Bertille, qui avait nourri de son lait Symonne-Sauvegrain dans sa petite enfance, lui tenait lieu, à présent, de femme de charge. Elle était connue de tout Dijon et cela lui conférait une sorte d'autorité.

Pour l'instant, elle apportait un onguent qu'un valet venait de chercher à l'officine de maître Bourillot, le grand apothicaire du bourg, afin de soulager les nombreuses écorchures, dues à la vermine.

Elle s'approcha du malade et jeta un regard scandalisé sur le plat qui avait contenu le boichet et qui ne contenait plus que le couteau.

— Vous mangez trop, Mathieu Gautherin ! dit-elle sévèrement. Ce n'est pas que l'on songe à vous mesurer la nourriture, mais vous vous faites du mal.

Sous sa crinière poivre et sel qui lui donnait assez l'air d'un vieux lion hargneux, Mathieu lui jeta un regard provocant.

— J'ai faim, moi ! Vous ne devez pas savoir ce que c'est que d'avoir faim, vous, avec vos joues roses et votre taille dodue...

— Dodue, dodue ! Dans un moment, il va me dire que je suis grosse, ce malappris !

— Je ne dirai jamais rien de tel puisque cela vous sied, dame Bertille, mais ne venez pas me reprocher...

Profitant de l'occasion, Catherine gagna la porte sur la pointe des pieds et quitta la chambre, laissant Bertille et Mathieu, qui se connaissaient de longue date, poursuivre leur discussion sans que ni l'un ni l'autre songeât d'ailleurs à la retenir. Depuis leur arrivée, Bertille s'était instituée l'infirmière et la garde- malade de l'oncle et leurs relations, établies jusqu'à présent sur le simple plan de cliente à fournisseur, semblaient prendre brusquement une nouvelle direction.

Décidément, ce vieil ours de Mathieu Gautherin avait pris goût aux femmes durant son aventure malheureuse avec Amandine.

À ce propos, il n'avait pas été très difficile d'obtenir de lui le récit de ses misères. À peine revenu à une conscience claire et lesté d'un premier repas Mathieu s'était libéré des souvenirs cruels qui empoisonnaient sa mémoire et de l'impuissante fureur accumulée au long de son calvaire.

Entre lui et sa maîtresse, tout avait été au mieux durant quelques mois. Amandine se montrait prévenante, tendre même, et attentive aux moindres désirs du vieillard qu'elle soignait avec une sollicitude de mère, de fille et d'amante tout à la fois.

Et puis, d'un seul coup, les choses avaient changé lorsque le frère était apparu par un soir gris et pluvieux. Philibert, à ce qu'il prétendait tout au moins, revenait de Terre Sainte et il était en si triste état que la chose, à première vue, n'avait rien d'extraordinaire. Les soins d'Amandine avaient immédiatement changé de direction tandis que Mathieu, désireux de faire plaisir à son amie, s'était montré accueillant et cordial.

Mais, peu à peu, l'intrus s'était implanté. A mesure que revenaient ses forces, la place qu'il prenait augmentait de surface et, finalement, il avait fini par parler quasiment en maître sur le territoire du « Grand Saint Bonaventure ».

En dépit d'Amandine qui tentait d'expliquer le mauvais caractère de son frère par ses malheurs récents, les yeux de maître Gautherin avaient tout de même fini par s'ouvrir le jour où, revenant inopinément de la halle aux Champeaux pour prendre son escarcelle qu'il avait oubliée, il avait trouvé son Amandine dans le cellier, adossée à une futaille et les jupes troussées jusqu'à la taille, occupée à recevoir de Philibert un hommage vigoureux mais aussi peu fraternel que possible.

À l'indignation du vieil homme, tous deux avaient répondu par des moqueries et des sarcasmes et, comme Mathieu prétendait les jeter tous deux à la rue, ils lui étaient tombés dessus avec un bel ensemble, l'avaient réduit à l'impuissance, ligoté, bâillonné et transporté dans la cave d'abord puis dans le poulailler pour y subir le supplice que l'on sait.

— Quand vous serez décidé à signer une promesse de mariage en bonne et due forme, lui dit Amandine, vous reprendrez votre place dans la maison.

— Plutôt mourir ! riposta Mathieu fou de rage. Jamais je ne donnerai mon nom à une putain !

— Alors, ce sera la mort ! Mais ce sera long... très long pour vous donner le temps de réfléchir ! On vous donnera à boire mais pas à manger. Et gourmand comme vous êtes, vous demanderez grâce bien vite...

Et le martyre de Mathieu Gautherin avait commencé. Amandine le nourrissait uniquement d'eau claire et, chaque matin d'une sorte de tisane de belladone qui l'endormait afin qu'il n'ameutât pas le quartier par ses cris. Chaque soir, quand il s'éveillait, Amandine ou Philibert venaient lui apporter son eau et posaient une question, toujours la même.

— Est-ce que vous êtes décidé au mariage ?

Et Mathieu répondait non, toujours non. De plus en plus faiblement à cause de ses forces qui l'abandonnaient mais sa volonté demeurait inchangée. Mieux valait pour lui se laisser mourir, même dans ces conditions affreuses car il ne gardait plus la moindre illusion sur ce qui l'attendait : qu'il acceptât d'épouser la fille La Verne et, peu de temps après les noces, très certainement, il recommencerait à dépérir d'un mal mystérieux qui l'emmènerait promptement à la tombe, en admettant que la chose ne se soldât pas tout simplement par un coup de couteau ou une solide dose de poison dès qu'il aurait fait d'Amandine une dame Gautherin et, par conséquent son héritière.

— Vous m'avez rendu plus que la vie, mes filles, dit-il aux deux sœurs en se réveillant entre leurs deux visages penchés sur son lit, vous m'avez rendu le droit de mourir proprement ! Soyez-en bénies...

La belle maison neuve des Morel-Sauvegrain qui, avec ses fenêtres en double accolade, ses vitraux et l'élégante balustrade sculptée qui soulignait son toit de tuiles vernissées ajoutait un magnifique ornement à la rue des Forges , s'était refermée comme le poing d'un géant amical sur Catherine, son oncle et ses gens, accordant à la jeune femme une précieuse journée de rémission, de réflexion et de repos.

Celle-ci en avait profité pour tisser avec la blonde Symonne la trame d'une amitié et pour essayer de se renseigner discrètement sur les conditions de détention du royal prisonnier que le Destin lui donnait à tâche de préserver.