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Sans s'émouvoir, Catherine étendit devant elle sa main gauche à l'index de laquelle brillait la grande émeraude carrée qui ne la quittait guère.

— De Très Haute, Très Sage et Très Noble Dame Yolande, par la grâce de Dieu duchesse d'Anjou, reine de Sicile, de Naples, d'Aragon et de Jérusalem, et par sa propre grâce la plus grande dame d'Occident... quoi que puisse en penser un vain peuple bourguignon.

Voici sa bague où vous pouvez voir ses armes gravées. Quant à moi, je suis de ses dames et elle m'envoie vers son fils à qui je dois remettre la lettre que voici, ajouta-t-elle en dégrafant le haut de sa robe pour en tirer le message. Une lettre qui, je vous en donne ma parole, ne contient aucun plan d'évasion mais seulement la tendresse d'une mère inquiète.

Impressionné par le ton, devenu soudain très grave, de sa visiteuse, Roussay reposa son gobelet sans rien répondre. Visiblement il était embarrassé, ne sachant trop quel parti prendre. Mais Catherine n'était pas dis posée à le laisser se perdre dans des réflexions fumeuses.

— Eh bien ? fit-elle au bout d'un instant.

Jacques écarta les bras en signe d'impuissance.

— Je ne sais trop que vous dire, Catherine. Je vous reconnais bien volontiers la qualité d'ambassadeur... mais celui du duc de Milan avait sur vous l'avantage d'une autorisation expresse du Grand Chancelier de Bourgogne, messire Nicolas Rollin...

— ... qui était jadis de mes amis et ne me la refuserait certainement pas. Mais, Jacques, je n'ai ni le temps ni le goût d'aller la chercher en Flandres. Et puis, vous aussi êtes mon ami et vous me connaissez depuis assez longtemps pour savoir que je suis incapable de vous causer le moindre tort. Jamais, vous le savez, je ne ferais une chose qui puisse vous nuire, si peu que ce soit. Alors, en vertu de cette vieille amitié, menez-moi au Roi, je vous en supplie. Il faut que je le voie, de mes yeux. Ne fût-ce que pour m'assurer qu'il est toujours vivant.

— Comment cela, s'il est toujours vivant ? rugit Roussay. Mais naturellement qu'il est vivant ! Pour qui me prenez-vous, Catherine ?

Ai-je l'air d'un homme qui trucide discrètement les prisonniers d'État pour s'en débarrasser ?

— Ce n'est pas cela que je veux dire et je me suis mal exprimée.

Ne vous fâchez pas, mon ami. Je voulais dire : qu'il est encore vivant à cette heure car, s'il l'est toujours, je ne suis pas du tout certaine que ce soit encore le cas demain ou même ce soir.

— Et pourquoi, diable, ne le serait-il plus ? Je l'ai vu ce matin même et il était en parfaite santé. Bon Dieu, Catherine qu'avez-vous dans la tête ? Mon ouvrage est bien fait même si je n'aime pas mon ouvrage. Je vous ai dit que le prisonnier était bien gardé. Il l'est, soyez-en sûre, même contre tout ce qui pourrait lui nuire.

Justement, je n'en suis pas si sûre. Voulez-vous vous calmer, vous asseoir un instant ici, auprès de moi, et écouter sans m'interrompre l'histoire que j'ai à vous raconter ? Ce ne sera pas long.

— Soit ! Je vous écoute, fit le capitaine en se laissant tomber lourdement sur les coussins de la ban- celle. .

Aussi rapidement, aussi clairement qu'elle put, Catherine retraça pour Roussay les derniers événements de Châteauvillain avec la satisfaction de voir, à mesure qu'elle parlait, l'attention d'abord flottante de Roussay se fixer et se tendre. Lorsqu'elle acheva son récit, la mine distraite et vaguement offensée du capitaine était devenue sombre et soucieuse.

— Vous pensez au poison ? dit-il enfin.

— Naturellement. C'est la première idée qui m'est venue puisque Jacquot de la Mer a un cousin aux cuisines.

— Ce serait prendre un bien grand risque. En outre, il faudrait savoir ce qu'il y fait. Tous les marmitons n'ont pas accès aux plats que l'on y prépare.

— C'est certainement plus facile que vous ne l'imaginez. Faites-vous goûter les mets que l'on sert au Roi ?

— N... on. Cela ne m'est pas apparu indispensable. Il n'y a ici que des bons serviteurs du Duc... du moins je l'imaginais. Et puis la nourriture que l'on sert est simple... très simple !

— Même s'il est au pain sec et à l'eau, il est possible de lui nuire.

Et puis, il n'y a pas que le poison. Vous ne connaissez pas le Damoiseau, n'est-ce pas ?

— De réputation seulement et cela me suffit.

— Vous avez tort car sa réputation est largement au-dessous de la vérité : c'est le Diable en personne. A présent j'aimerais savoir ce qu'il adviendrait du capitaine Jacques de Roussay au cas où une mort prématurée lui enlèverait son précieux prisonnier ? Comment, selon vous, réagirait monseigneur Philippe ?

Sous sa tignasse couleur de chaume, Roussay devint aussi vert que son pourpoint.

— Je ne l'imagine que trop ! Il ne me resterait plus qu'une chose à faire recommander mon âme à Dieu et me passer mon épée au travers du corps pour m'éviter la honte d'une exécution publique.

— Alors faites ce qu'il faut pour éviter ce grand malheur. Vous voilà averti par moi. C'est, je crois, une suffisante preuve d'amitié et...

vous pourriez peut- être m'en octroyer une en échange ?

— Par exemple vous laisser voir le prisonnier ? susurra Jacques mi-figue mi-raisin.

— Vous avez toujours eu de l'esprit comme un ange, mon ami, fit Catherine suave.

Brusquement, il la saisit aux épaules et, avant qu'elle ait pu esquisser un geste, il l'embrassa violemment sur la bouche.

— C'est plutôt vous, l'ange... à moins que vous ne soyez le diable, ma mie ! De toute façon, je vous adore.

Catherine retint une petite grimace. Le contact avec Jacques n'était pas très agréable à cause de l'odeur du vin mais elle ne le repoussa pas.

— Même si je suis vraiment le diable ?

— Surtout si vous l'êtes car alors l'enfer me paraîtra plus séduisant que le ciel. Pour vous j'irais plus profond et plus loin encore.

D'ailleurs, vous le savez depuis des années n'est-ce pas ? Voyez-vous, Catherine, je n'envie au duc Philippe ni sa couronne, ni ses terres, ni ses trésors mais vous, vous, oui, je vous ai enviée à lui ! Follement...

désespérément et pour une seule nuit d'amour...

Sans brusquerie mais fermement, la jeune femme se dégagea des bras qui déjà se refermaient sur elle.

— Jacques ! reprocha-t-elle doucement, nous voilà bien loin de notre sujet, il me semble ! Il y a longtemps que vous n'avez plus rien à envier au duc et j'entends demeurer une épouse fidèle. Voulez-vous que nous revenions à notre prisonnier ?...

Le soupir de Roussay fut de taille à ébranler les murs mais il se leva sans mauvaise grâce.

— C'est vrai. Vous voulez que j'aille m'assurer qu'il est encore en vie ?...

— Non. Je veux aller m'en assurer moi-même.

— C'est impossible... du moins à cette heure et dans ce costume.

Avez-vous la possibilité de vous procurer un costume d'homme ?... et un cheval ?

— Pour le cheval je l'ai, pour le costume je pense que ce sera facile.

— Parfait. Alors, rentrez chez vous et revenez juste après le crève-feu, comme si vous veniez tout juste de franchir les portes avant leur fermeture, et annoncez-vous au corps de garde comme mon cousin, Alain de Maillet. Dites que vous avez à me parler d'urgence. Je serai auprès du Roi car... il m'arrive parfois de faire une partie d'échecs avec lui pour le désennuyer, ajouta-t-il d'un ton honteux qui fit sourire Catherine. La garde extérieure est alors moins sévère puisque je l'assure moi-même à l'intérieur. Je vous ferai monter auprès de moi.

Un élan juvénile jeta Catherine au cou de Roussay sur les joues duquel elle plaqua deux baisers sonores.

— Vous êtes l'homme le plus merveilleux du monde, Jacques, et je ne vous remercierai jamais assez ! Soyez sans inquiétude : je saurai jouer mon rôle de façon à ne pas donner l'éveil.

— Je n'en doute pas, je n'en doute pas... Ah ! pendant que j'y pense

: un peu élégant le costume, s'il vous plaît ! Nous ne sommes pas des croquants.