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Enfin, le regard de René d'Anjou se releva, froid et indifférent.

— Faites, messire, faites... mais, je vous en prie, oubliez un instant ma présence. J'étudierai la suite de la partie tandis que vous parlerez en toute tranquillité, assis sur ce coffre par exemple. Ainsi, ajouta-t-il avec une hauteur toute royale, nous ne nous gênerons ni les uns ni les autres.

— Monseigneur est trop bon. Holà, soldat, voyez donc un peu ce que devient ce pichet de Beaune que j'avais ordonné d'apporter et qui ne vient point ? Veillez un peu à ce qu'on le monte à l'instant !

Le soldat se retira tandis que Catherine, dont le profond salut n'avait même pas été honoré d'un regard du prisonnier, suivait Roussay vers le coffre en question. La porte se referma avec le même vacarme de barres et de verrous que tout à l'heure.

Pour mieux s'en assurer, Roussay alla jusqu'au guichet puis.se retournant, sourit à Catherine qui l'observait passionnément...

Alors, d'un élan, elle fut aux genoux du prisonnier, arrachant le gant qui couvrait sa main gauche pour libérer l'émeraude gravée.

— Sire ! chuchota-t-elle, daigne Votre Majesté m'accorder un instant d'entretien car je lui suis envoyée par son auguste mère.

René d'Anjou sursauta. Son regard bleu, effaré, considéra un instant la mince forme verte puis se tourna vers Roussay toujours debout près de la porte.

— Mais... que signifie ?

Le capitaine sourit.

— Que je ne me serais pas permis, Sire, d'introduire chez Votre Majesté un mien cousin, si bon gentilhomme soit-il... et que voici, aux pieds de Votre Majesté, un excellent ambassadeur de Madame la Reine Yolande, votre mère.

— Ma mère ?

— Oui, Sire, dit Catherine chaleureusement, votre mère qui veut bien m'honorer de sa confiance, qui m'a donné cet anneau où vous voyez ses armes... et dont voici le message !

La lettre venait d'apparaître au bout de ses doigts et René s'en emparait avidement, effleurait le sceau d'un coup d'œil, le faisait sauter et dépliait le papier en se penchant vers les chandelles pour mieux lire.

Catherine vit que ses mains tremblaient. C'étaient les premières nouvelles directes que le prisonnier recevait de sa mère depuis des mois et son émotion, presque palpable, touchait la jeune femme.

Quand il eut achevé sa lecture, il en baisa tendrement la signature, replia la lettre et la glissa dans l'ouverture de son pourpoint. Puis, se retournant vers Catherine, toujours agenouillée, il la regarda longue ment sans dire un seul mot mais avec une sorte d'avidité qu'elle ne tarda pas à trouver gênante, tout autant d'ailleurs que sa position inconfortable.

— Sire... commença-t-elle au mépris de tout protocole mais ce seul mot eut un effet magique.

René d'Anjou tressaillit comme s'il s'éveillait d'un songe et rougit.

— Oh ! Pardonnez-moi ! s'écria-t-il en se penchant vers elle pour lui prendre les deux mains et l'aider à se relever. Vous allez me prendre pour un rustre, ajouta-t-il avec un sourire qui lui rendit son âge. Une femme ! Une femme jeune et belle que je laisse à mes pieds

! — Vous savez qui je suis ?

Il se mit à rire et son rire était si clair, si joyeux, qu'il fit reculer la nuit et l'atmosphère lugubre de la tour.

— Le miracle n'est pas grand. Madame la Reine, ma mère, vous annonce, madame de Montsalvy... et vous décrit fort bien, du moins autant que j'en puisse juger sous cet accoutrement. Ne me ferez-vous pas la grâce d'ôter un instant ce camail, ce chaperon afin que je vous voie mieux ? Il y a si longtemps que je n'ai vu de femme belle et ma mère dit que plus belle ne se peut trouver...

— Sire, intervint Roussay inquiet, que Votre Majesté songe que l'on va venir apporter le vin et que dame Catherine doit rester aux yeux de tous ici ce qu'elle a prétendu être en y entrant : mon jeune cousin. Si elle se décoiffait la supercherie ne tiendrait plus.

Eh bien, attendons que le vin arrive mais ensuite, ensuite... oh, je vous en supplie, accordez-moi cette joie de voir un vrai visage de femme, des cheveux de femme... Rien n'est plus beau qu'une chevelure de femme !... Mais j'y pense, messire de Roussay, d'où vient que vous vous donniez tant de mal pour introduire auprès de moi une messagère de ma mère, vous dont la fonction est de me garder et qui, jusqu'à présent, avez accompli cette tâche avec une conscience extrême...

digne des plus chauds éloges de votre maître ?

La raillerie légère cachait un reproche et le capitaine se raidit.

— Madame de Montsalvy est une amie de toujours, une amie très chère à qui je ne saurais refuser quoi que ce soit. En outre, et parce que je la connais bien, je sais qu'elle est incapable de me faire manquer à mon devoir ou de me causer un dommage quelconque.

Enfin, je sais qu'eût-elle eu le loisir de demander permission à monseigneur le duc Philippe lui-même, il la lui eût accordée tout aussi facilement qu'à l'ambassadeur milanais de l'an passé.

— Eh bien ! fit le Roi en souriant à Catherine. Voilà il me semble un grand et bel éloge et comme il paraît entièrement mérité, nous allons boire à cel... ui qui l'a inspiré puisque voici votre vin, messire !

Les gardes venaient, en effet, d'ouvrir de nouveau la porte pour livrer passage, non au soldat de tout à l'heure mais à un valet portant avec des précautions quasi religieuses un plateau d'étain où des gobelets voisinaient avec une bouteille poudreuse mais déjà débouchée.

— Chaque fois que le Roi consent à jouer avec moi, il me fait la grâce de goûter à mon vin personnel, dit Roussay avec une pointe d'orgueil.

— J'aurais mauvaise grâce, fit René. C'est un vin digne d'un roi en effet. Le capitaine s'y connaît !

Le valet s'était approché de la table et y déposait son fardeau.

Quand il entra dans la lumière des chandelles, montrant un visage neutre où rien n'accrochait spécialement le regard, celui de Catherine, placée en face de lui s'y posa machinalement et, cependant, s'y arrêta avec la curieuse impression de déjà vu que font éprouver parfois certaines choses et certaines gens.

Tandis qu'avec des gestes soigneux, l'homme versait le moelleux bourgogne dans les coupes elle chercha vainement à quel souvenir était lié ce visage épais et terne. Elle était certaine que ce n'était pas un souvenir agréable mais, pour la minute présente, il lui échappait.

L'homme se retira. La porte se referma. Jacques s'approcha de la table, prit l'un des gobelets et, s'inclinant, l'offrit au Roi qui le prit mais ne but pas tout de suite. Au creux de ses deux mains réunies en conque, il chauffait le vin en contemplant le reflet des bougies dans ses profondeurs sombres, tout en humant le parfum dégagé.

— L'odeur est du Ciel, remarqua-t-il au bout d'un moment, mais la couleur est de l'enfer, c'est celle du sang tel que je l'ai vu couler, un jour, sur le dallage d'une église...

L'image de guerre que René évoquait opéra, dans l'esprit de Catherine, le déclenchement des souvenirs. Elle revit, tout à coup, l'église de Montribourg, ce village de la forêt, près de Châteauvillain, livré aux fureurs des Écorcheurs que commandait pour le Damoiseau le capitaine la Foudre, alias Arnaud de Montsalvy. Elle revit les pauvres filles que les soudards obligeaient à danser nues sous les pointes de leurs épées, le butin entassé près de l'autel et surtout l'homme qui, assis sur un banc, en comptabilisait le détail. Un homme qu'elle avait entendu appeler le Recteur... et qui était celui-là même qu'elle venait de voir, sous la livrée des ducs de Bourgogne, versant du vin dans la coupe d'un roi captif.

Elle regarda avec horreur le rubis liquide qu'elle tenait dans sa main et auquel ni elle ni Roussay n'avaient encore touché, attendant que René bût le premier. Puis, son regard retourna vers le Roi.

Souriant et les yeux mi-clos, il levait le gobelet vers ses lèvres, prêt à savourer. Le bord d'étain allait toucher sa bouche. Alors, avec un cri Catherine s'élança, rejetant violemment la coupe qui roula à terre, non sans éclabousser les vêtements du royal prisonnier.