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Mais peut-être n'avait-il plus tellement envie de vivre puisqu'il s'ennuyait tant ?...

Refusant de creuser davantage la question, elle alla s'agenouiller auprès de René qui n'avait pas bougé. Sans le bruit de ses sanglots, on aurait pu croire que sa vie, à lui aussi, venait de s'arrêter.

— Sire, dit-elle doucement, ne pleurez plus ! Vous vous faites du mal...

Il releva un visage tellement ravagé par les larmes, un regard si douloureux, qu'elle se sentit fondre de pitié.

— Vous ne pouvez pas savoir ! C'était mon ami, mon compagnon de toujours !... Je l'avais élevé. Il ne me quittait jamais et quand j'ai été pris, à la bataille de Bulgnéville, on m'a permis de le garder parce que... parce que... oh ! je crois qu'il m'aidait à vivre. Que vais-je devenir à présent, sans lui ?...

— Vous ne serez plus longtemps captif ! Je ne sais ce que vous dit la Reine, votre mère, mais je sais bien qu'en France chacun fait tous ses efforts pour obtenir votre libération...

— C'est en effet ce que dit ma mère, soupira-t-il. On s'efforce de rassembler le plus d'or possible, on essaie d'obtenir de Philippe qu'il baisse ses prétentions... mais elle dit aussi qu'à aucun prix, fût-ce à celui de ma vie, je ne dois céder mon duché de Bar.

— Souhaitiez-vous donc l'abandonner ?

— Non... non, bien sûr ! Pourtant, je jure qu'à cette heure je donnerais tous les duchés de la terre pour rendre la vie à mon pauvre Ravaud...

— Sire, intervint Jacques, à présent, il faut me laisser l'emporter pour le mettre en terre.

Mais au lieu d'abandonner le corps du chien, René resserra son étreinte.

— Pas déjà ?... pria-t-il tandis que de nouvelles larmes jaillissaient de ses yeux. Laissez-le-moi encore un peu...

— Plus vous attendrez et plus cruelle sera la séparation...

Désolée car elle se sentait indirectement coupable de la mort de ce chien puisque, sans le mouvement brusque qui avait jeté le vin à terre, Ravaud n'y aurait pas touché, Catherine obéit à une soudaine inspiration. Arrachant le chaperon et le camail qui lui emprisonnaient la tête, elle libéra ses cheveux qu'elle avait simplement tordus en tresses lâches. Ils croulèrent sur ses épaules comme un manteau d'or, l'enveloppant de lumière et lui rendant instantanément la plénitude de son charme féminin.

— Monseigneur, murmura-t-elle, vous avez perdu un ami mais vous avez trouvé, en plus d'une servante dévouée, une amie fidèle...

une amie qui donnerait beaucoup pour adoucir votre peine !

Il la regarda et ses yeux s'agrandirent comme si, tout à coup, les murs de sa prison venaient de s'ouvrir pour laisser entrer un flot de soleil.

— Comme vous êtes belle ! murmura-t-il avec une ferveur telle que Roussay, mécontent, fronça le sourcil mais n'osa rien dire.

Doucement, le Roi laissa reposer à terre le corps inerte, se releva et prit les mains de la jeune femme pour la relever mais ne les lâcha pas quand ils furent debout. Au contraire, il les garda plus étroitement entre les siennes et, un long moment, il la contempla avec un enchantement grandissant. Les flammes dansantes des chandelles faisaient vivre la fabuleuse toison dorée qui, pendant des années, avait hanté les sens et la mémoire du puissant duc de Bourgogne avant qu'il n'en traduisît la nostalgie par la création d'un prestigieux ordre de chevalerie.

Profitant de son extase, les yeux de Catherine tournèrent légèrement, cherchèrent ceux de Roussay puis redescendirent à terre jusqu'au cadavre blanc. Le capitaine comprit leur message, se baissa, chargea le chien dans ses bras puis, la mine renfrognée et la lippe mécontente, sortit de la pièce, non sans un ultime regard, lourd de soupçons, au couple qu'il laissait derrière lui. Il s'attendait visiblement à ce que, l'instant d'enchantement achevé, le Roi sautât sur Catherine...

En fait, la jeune femme n'était pas loin d'en penser tout autant.

René ne disait toujours rien mais son regard se chargeait d'un trouble qu'elle avait depuis longtemps appris à connaître chez tant d'hommes.

Il avait libéré ses mains et les siennes plongeaient à présent dans la soie vivante des cheveux avec l'avidité d'un avare longtemps séparé de son trésor. Aussi, lorsque les doigts cessèrent de jouer avec ses mèches brillantes pour emprisonner fortement ses épaules, Catherine eut un mouvement de recul.

— Sire, reprocha-t-elle doucement. J'ai dit amie...

Il eut un petit sourire contrit.

— Il est tellement d'amies différentes ! Ne voulez- vous pas, pour moi, être douce amie ? Vous êtes si belle et mon cœur est si solitaire, si délaissé !...

— Comment votre cœur peut-il être solitaire et délaissé quand tant d'amour veille sur lui de loin comme autant de tours de feu sur les navires au péril de la mer ? Il y a votre épouse que l'on dit belle et bonne, votre mère dont je connais la tendresse, votre sœur, la reine de France qui vous est si fort attachée et puis toutes celles dont vous ne connaissez même pas le visage, filles ou femmes de vos États qui filent votre rançon et prient Dieu chaque jour afin qu'il vous rende à leur affection. On vous sait bon, pitoyable, chevaleresque et généreux et il existe bien peu d'hommes au monde qui soient aimés autant que vous. Que venez-vous alors me parler de cœur délaissé ? ...

— Disons plutôt qu'il est vide et qu'il aimerait s'emplir de vous !

Quant à mon pauvre corps, la faim le dévore. Ne me ferez-vous pas l'aumône d'un peu d'amour ? Quand on est si belle, on doit être généreuse.

Il se rapprochait, l'obligeant à reculer vers le mur où elle dut s'adosser sans plus de possibilité d'échapper aux mains avides qui se tendaient.

— Si je n'étais en puissance d'époux, monseigneur, balbutia-t-elle, je crois... que je serais généreuse mais je suis mariée... mère de famille et... et j'aime mon époux !

— Et vous ne l'avez jamais trompé ? Votre beauté cependant a dû mettre la folie dans le sang de bien des hommes. N'en avez-vous écouté aucun ?...

Il était contre elle à présent, la cernant entre son corps appuyé contre le sien et ses deux mains qu'il appuyait au mur. Elle sentait contre elle des muscles durs, singulièrement vigoureux pour un reclus et sur son visage détourné pour éviter le baiser, la brûlure d'une haleine, puis deux lèvres sur sa joue qui erraient déjà à la recherche de sa bouche...

— Sire ! balbutia-t-elle affolée, je vous en prie !... Le capitaine va revenir... dans un instant il sera là...

— Tant pis !... Je vous désire trop ! Il faudra que l'un de nous meure s'il veut m'arracher à vous !

Elle ne pouvait pas lui échapper à moins de hurler et d'ameuter la garde. Avec une force insoupçonnable chez cet homme de taille moyenne, il avait passé un bras autour d'elle pour la river à lui et de son autre main, il lui avait immobilisé le visage. Il l'embrassa longuement, goulûment comme s'il arrivait des profondeurs du désert et qu'elle fût une jarre d'eau fraîche. Et tout à coup, au contact de cette bouche d'homme, Catherine sentit faiblir sa résistance. Son corps, privé d'amour depuis trop longtemps, lui jouait le tour qu'il lui avait déjà joué plus d'une fois, dans les bras de Pierre de Brézé, au jardin de Grenade et dans la maison de Jacques Cœur. Elle avait oublié quelle étrange alchimie un baiser ardent pouvait opérer dans son corps et lorsque la main du Roi emprisonna l'un de ses seins elle se sentit frémir de la tête aux talons. René était jeune, sain, vigoureux et passionné. À présent, non seulement elle n'avait plus envie de le repousser mais elle appelait de toute sa jeunesse la joie d'amour qui faisait exploser dans son corps de si brûlants soleils.

Mais, lorsque la main de René atteignit son ventre, il poussa une exclamation de colère.

— Au diable ce déguisement stupide ! gronda- t-il... Déshabille-toi

!...

L'ordre brutal brisa l'enchantement et la dégrisa. Il avait desserré son étreinte : elle en profita, glissa de ses bras, revint vers la cheminée, respirant lourdement pour calmer les battements désordonnés de son cœur.