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Le regard de Catherine croisa celui, plein de pitié, du faux moine. Elle devait être dans un triste état pour qu'il la regardât ainsi, mais elle s'efforça de lui sourire, sachant bien la valeur de ce qu'il avait fait pour elle.

— Je vous dois... la vie, ami Jehan. Mais pourquoi l'avez-vous fait

? Vous ?... Aller chercher Roussay pour le jeter sur vos amis, vos compagnons ?...

Jehan des Ecus haussa les épaules.

— Il n'y a d'amitié chez les truands que tant qu'ils restent entre eux, fit-il sombrement. En acceptant l'or du Damoiseau, en se faisant ses serviteurs, les truands ont cessé d'être mes frères et mes compagnons. Et puis vous, vous livrée à ces démons, à cette saloperie d'Amandine ?... non, ça je ne pouvais pas le supporter ! » Sa voix faiblit tout à coup, s'enroua tandis qu'il achevait, comme à regret : «

Je... je... je crois que je vous ai toujours aimée, depuis que vous étiez cette belle enfant que l'on donnait de force au Grand Argentier de Bourgogne ! Il y a des lumières qu'on n'oublie pas !

— Tout de même ! Vous au palais, chez...

Elle s'interrompit sur un cri.

— Mon Dieu ! Le palais ! La tour... le Roi ! Avez- vous pris le Damoiseau ?

— Non... il venait de partir quand nous sommes arrivés. Je le regrette assez car c'est lui que je voulais et...

— Vite ! Courez ! Allez chercher messire de Roussay ! Vite il le faut ! Ils vont tuer le Roi...

— Vous avez la fièvre, dit Gauthier, fronçant les sourcils et tâtant son front brûlant...

Mais Bérenger, lui, était déjà parti en criant : « J'y vais ! » et courait vers l'incendie de toute la vitesse de ses jeunes jambes.

Follement, Catherine essaya de se lever pour le suivre, luttant contre Gauthier.

— Vous vous occuperez de moi plus tard... Je sais bien que j'ai la fièvre mais... le Roi René... ils l'ont fait évader et l'emmènent vers une embuscade où de faux soldats bourguignons vont l'abattre L.

C'est donc ça ? murmura Jehan des Ecus. Lorsque nous avons passé le pont de l'Ouche, j'ai cru voir une barque chargée d'hommes qui glissait le long du rempart...

Déjà, Jacques de Roussay arrivait, remorqué par Bérenger. En quelques mots Catherine le mit au courant de la catastrophe suspendue au-dessus de sa tête. Un juron, trois questions sur le temps écoulé, le nombre d'hommes et la direction suivie - « la route de Langres » précisa Catherine - et il tournait les talons en criant :

— Je vais vous laisser deux hommes pour trouver un bateau et vous ramener à l'hôtel Morel-Sauve- grain... Si je suis encore vivant, j'irai vous y rejoindre au retour.

Catherine l'entendit rameuter ses hommes. Ils surgirent de partout, quittant la surveillance du brasier dans lequel ils avaient enfermé les ribauds, et sans doute Amandine. La ligne des archers se rompit. Les soldats coururent vers les chevaux attachés aux arbres du boqueteau.

Tous sautèrent en selle et, à la suite de Jacques qui éperonnait sauvagement son cheval en hurlant : « En avant, Bourgogne ! », le lourd escadron s'ébranla, quittant le moulin en feu, dans un galop qui fit trembler la terre...

Épuisée, Catherine referma les yeux, laissant sa tête aller sur le bras de Gauthier. Les douleurs qui la ravageaient semblaient se faire plus cruelles encore... Un instant il n'y eut plus autour d'elle que le ronflement du brasier, la chanson des moulins et le bruit du vent dans les branches... Les dernières plaintes des mourants s'étaient tues...

Catherine et ses amis se retrouvaient seuls au centre d'un univers de mort...

Et puis, quelque part, la cloche d'un couvent sonna matines. Une autre lui répondit et puis une autre, et encore une autre... Il y eut un bruit de rames frappant l'eau et le glissement soyeux d'une barque dans le courant. Mais lorsque Gauthier voulut soulever le corps martyrisé de Catherine pour le porter dans le bateau qu'amenaient deux des soldats de Roussay, la douleur que la jeune femme éprouva fut si forte qu'à nouveau elle perdit connaissance...

Elle ne la retrouva qu'un instant, au creux du lit chaudement bassiné où Symonne et Bertille l'avaient couchée mais ce fut pour plonger dans un autre enfer, celui du délire et des fantasmes terrifiants du cauchemar au fond duquel l'entraînait la fièvre violente qui à présent se déclarait...

Elle ne vit pas, au petit matin, Jacques de Roussay, déchiré, couvert à la fois de poussière et de sang, une longue balafre ouverte dans la joue droite, venir lui dire que tout était rentré dans l'ordre, que René d'Anjou bien vivant venait de regagner la tour Neuve.

— De sa propre volonté, d'ailleurs ! confia-t-il à Symonne. Quand nous sommes tombés sur le Damoiseau et sa bande, dont une partie campait dans les bois de Clanay, il aurait fort bien pu s'enfuir à la faveur de la bataille. Mais il n'en a rien fait. Tout au contraire il a combattu avec nous et, quand force nous est restée, il est revenu vers moi et m'a dit simplement : Je crois que vous m'avez sauvé la vie, capitaine. A présent il vous reste à me ramener à Dijon. » Et comme je m'étonnais, il a haussé les épaules, ajoutant : « Je serais un ingrat si je vous envoyais à l'échafaud pour m'avoir laissé fuir. En outre, je vous rappelle, chose que vous avez paru oublier bien souvent, que je suis prisonnier sur parole bien plus que de vos verrous. Un chevalier n'a qu'une parole. À plus forte raison un Roi... »

— Si j'ai bien compris, dit Gauthier, vous avez eu affaire à toute la bande du Damoiseau ? Comment avez-vous pu en venir à bout avec si peu d'hommes ?

J'ai pris en passant les garnisons de la porte Guillaume, de la porte au Fermerot, de la porte Saint- Nicolas et aussi celle du châtel de Norges.

Ça a été très suffisant. Nous avons fait bonne boucherie de ces mécréants dont certains osaient porter les couleurs de Bourgogne.

Malheureusement quelques-uns nous ont échappé et ont pu prendre la fuite...

— Et... le Damoiseau ?

Un large sourire que la blessure fit grimacer illumina le visage saignant du capitaine.

— Captif ! Ficelé, troussé comme un poulet avec une bonne longueur de chaîne. On l'a ramené discrètement à Dijon et demain, je l'envoie dans un chariot fermé et sous bonne escorte en Lorraine...

— Pourquoi en Lorraine ? Vos prisons ne vous paraissent-elles pas suffisantes pour le garder ?

— Ce n'est pas cela : je ne veux pas le garder parce que je ne veux pas que l'on sache que mon prisonnier a pu quitter sa tour, même un petit moment. Et puis je dois bien cela à monseigneur René d'Anjou : le damoiseau de Commercy était son prisonnier à lui et il lui a faussé compagnie. A présent il regagne sa prison, tout rentre dans l'ordre !

Un bon gros pot de vin me ferait bien plaisir, dame Symonne... et je connais peu de maisons où il y en ait de meilleur !

La belle nourrice sourit et s'empressa :

— Je suis sans excuse, Jacques ! Mais ce que vous disiez était si passionnant !... On va vous servir dans l'instant et aussi laver cette blessure... Venez avec moi jusqu'à la grand-salle...

Comme elle ouvrait la porte, un sanglot monta du lit où Catherine, un instant silencieuse, reprenait le cours de son rêve douloureux.

Instantanément, Gauthier et Bérenger furent près d'elle. Ses lèvres étaient sèches et brûlantes. Tandis qu'à l'aide d'un tampon de charpie, Gauthier les humectait avec un peu d'infusion de tilleul, une plainte s'en échappa.

— Arnaud !... Arnaud, je reviens... ne t'en va pas... Attends-moi, mon amour !.... attends-moi... Je veux rentrer... à la maison !

Un flot de larmes s'échappa des yeux mi-clos tandis que, dans la masse dénouée des cheveux blonds, la tête de la malade se mettait à rouler dans tous les sens, comme pour chasser quelque chose. Les yeux bruns de Bérenger cherchèrent ceux de son ami.