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Catherine en effet guérit à une surprenante vitesse, dont une part revenait indéniablement à sa jeunesse et à sa belle santé. Mais son âme, elle, refusa de guérir. À mesure que ses forces revenaient, il lui devenait plus pénible de vivre en société. La présence des hommes, surtout, lui était à charge. Et elle ne put se résoudre à recevoir Jacques de Roussay parce qu'il avait pu la voir écartelée, livrée comme une bête sur l'étal du boucher à l'assaut des soudards. Elle lui écrivit une lettre pleine d'amitié et de reconnaissance mais ne lui permit pas l'accès de sa chambre. Seuls Gauthier et Bérenger qui avaient été délivrés après elle et son oncle Mathieu lui semblaient à peu près supportables...

Le jour de la Saint-Éloi, Symonne Morel, en rentrant de la messe à laquelle suivant la tradition elle avait assisté avec quelques-uns de ses fermiers, vint lui annoncer son départ imminent pour les Flandres et l'inviter à l'accompagner afin de passer Noël avec elle à la cour de Bourgogne.

— Il serait trop triste pour vous de demeurer seule ici, ma mie, lui dit-elle. Le dépaysement vous sera salutaire et nous ferons la route à petites journées.

Vous avez laissé beaucoup d'amis, là-bas... Enfin, nous bénéficierons d'une escorte particulière.

Elle tenait en réserve, en effet, une bonne nouvelle : le duc Philippe avait ordonné que le roi René fût extrait de la tour Neuve et conduit par-devers lui, avec tous les honneurs dus à son rang royal, jusqu'à Lille où il l'attendait pour discuter de sa mise en liberté. Jacques de Roussay conduirait l'escorte à laquelle la nourrice du comte de Charolais était invitée à se joindre étant donné les rigueurs de la saison et les dangers des chemins.

Catherine refusa. Elle préférait, dit-elle, demeurer à Dijon entre l'oncle Mathieu et dame Bertille dont les sentiments réciproques se précisaient et dont les accordailles devaient être bénies le lendemain même à Notre-Dame. Elle embrassa son amie, promit « quand elle se sentirait mieux » d'aller la visiter à Lille ou à Bruges et, deux jours plus tard, regarda partir calmement l'imposant cortège qui emmenait à la fois Symonne et René d'Anjou. Une longue route entre Jacques de Roussay et le Roi dont elle savait pertinemment qu'ils la désiraient l'un et l'autre était une épreuve qu'elle se refusait à endurer...

Et ce fut seulement quand la ville fut retombée à son silence hivernal que Catherine donna à Gauthier l'ordre de faire leurs préparatifs de départ.

D'une même voix, Mathieu et Bertille s'indignèrent.

— Comment peux-tu nous faire cela ? s'écria l'oncle tout prêt à pleurer. Tu avais dit que du désirais demeurer avec nous jusqu'au printemps ?

Le sourire qu'elle lui offrit était plus triste que les larmes dont se gonflaient les yeux du brave homme.

— J'ai menti, dit-elle simplement. Je vous en demande bien pardon. Mais si j'avais dit où je désire me rendre, Symonne peut-être ne m'aurait pas laissée partir...

— Et tu crois que moi je te laisserai aller sans savoir où ?

— Oui, parce que vous me connaissez depuis longtemps, que vous m'aimez bien et que là où je vais j'espère rencontrer la paix dont j'ai tant besoin... je redeviendrai peut-être moi-même. Et, je vous en supplie, ne m'en demandez pas davantage !

Comment, effectivement, lui expliquer l'étrange projet qui avait germé dans son cœur douloureux et son esprit malade : gagner la Lorraine, s'y mettre à la recherche de la fausse Jehanne et d'Arnaud qui prétendait s'attacher à l'aventurière. Mais cette fois il ne s'agissait plus de reprendre son époux. Ce n'était plus possible après le malheur qui lui était advenu. Non, tout ce qu'elle souhaitait c'était le revoir une dernière fois... confondre l'aventurière pour en détacher Montsalvy, et puis tout dire, tout raconter de l'horreur subie dans le moulin, montrer sa souillure dans toute son horreur. Alors... très certainement, Arnaud la tuerait ! Elle mourrait de sa main, cette belle main brune et forte qu'elle avait tant chérie, dont elle cherchait si passionnément les caresses naguère encore... Cette fois, la main bien-aimée lui donnerait une paix qu'il ne lui était plus possible de trouver en elle-même. Les portes de la mort ouvertes par l'homme qu'elle avait tant aimé et qu'elle aimait encore lui seraient douces, apaisantes et lumineuses...

C'était à cela qu'elle pensait encore tandis que le pas de son cheval résonnait sous la voûte noire de la porte Saint-Nicolas puis s'imprimait sur la neige fraîche où se perdait le dessin de la route de Langres.

— Où allons-nous donc ? demanda Bérenger qui, en regardant l'immense et froide nature, se prenait déjà à regretter la douce chaleur de la maison Morel- Sauvegrain.

— Droit devant nous ! riposta Catherine laconiquement.

L'enfant, peu satisfait de la réponse, s'apprêtait à poser une autre question mais un coup de coude de Gauthier vigoureusement appliqué dans ses côtes le fit taire, et l'on continua à chevaucher en silence.

Depuis qu'elle lui avait donné ses ordres de départ, l'écuyer observait attentivement sa maîtresse mais sans en rien dire, gardant pour lui seul les réflexions qu'elle lui inspirait.

En apparence, Catherine était exactement semblable à ce qu'elle avait toujours été dans sa beauté intacte mais, chaque fois qu'il lui adressait la parole, Gauthier avait la curieuse impression de s'adresser à quelqu'un d'autre. Il avait en face de lui la parfaite enveloppe, lisse et pure, de la dame de Montsalvy mais rien d'autre car les sentiments qui avaient toujours habité cette enveloppe semblaient à présent curieusement différents, étrangers même. En outre les occasions qu'il pouvait avoir de scruter, de face, le beau visage fermé n'avaient jamais été si rares.

Tant que dura le voyage vers la Lorraine, il ne vit guère de Catherine que son dos ou un profil bien souvent détourné. Au lieu de voyager, comme naguère encore, encadrée par les deux garçons, qu'ils marchassent devant et derrière ou de chaque côté selon la largeur du chemin, elle allait à présent en tête de leur petite troupe sans plus jamais se retourner, l'œil fixé à l'horizon blanc continuellement renouvelé et se haussant parfois sur sa selle comme si elle cherchait à découvrir enfin un but connu d'elle seule. Aussi, à mesure que l'on avançait grandissaient de concert l'inquiétude de Gauthier et le chagrin de Bérenger qui cherchait en vain à comprendre pourquoi sa belle dame n'aimait plus ni ses chansons ni lui... Bien souvent, quand on reprenait le chemin à la pointe du jour tardif l'adolescent avait les yeux rouges. Mais Catherine ne s'intéressait plus à rien ni à personne...

Par Langres et le val de Meuse on gagna Neufchâteau où Catherine, enfin, consentit à sortir de son mutisme pour se mettre à interroger les rares passants que l'on rencontrait. Avaient-ils ouï parler d'une femme qui se prétendait Jehanne la Pucelle ?...

Savaient-ils où cette femme se trouvait à l'heure présente ?...

Mais elle n'apprit rien. Les gens hochaient la tête, la dévisageaient avec une sorte de crainte comme si elle n'était pas tout à fait dans son bon sens, certains se signaient mais tous sans exception passaient leur chemin rapidement, parfois en haussant les épaules... Visiblement, dans cette petite enclave lorraine cernée par les terres bourguignonnes, les gens craignaient les ennuis et le seul nom de Jehanne les faisait rentrer sous terre.

Ce fut pire encore à Domrémy, le petit village qui avait vu naître Jehanne, d'où elle était partie pour sa merveilleuse et tragique aventure. Le village, très petit, semblait mort et enseveli sous son épais manteau de neige. Les portes refusaient obstinément de s'ouvrir par peur des routiers et des pillards qui empruntaient continuellement le val de Meuse car la misère alentour était grande. Seul le curé, un homme d'une cinquantaine d'années, consentit à recevoir les voyageurs et à indiquer la maison de la famille d'Arc, laquelle était d'ailleurs très voisine de sa petite église.

— Mais vous ne trouverez personne. Le père est mort. La mère et les deux frères vivent à présent à Orléans... dans une île, je crois... On dit que les gens de là-bas la leur ont donnée et qu'on leur paie pension.