Выбрать главу

— Il a peur, dit Catherine. Il sait que s'il ne hurle pas avec les loups, il mourra lui aussi.

— Ce n'est pas une excuse et vous seriez moins indulgente pour lui, s'il apparaissait à cette minute pour vous traîner aux Halles ! Non seulement ces gens sont des couards au combat mais quand les choses ne tournent pas à leur idée, ils s'entredéchirent !

— De toute façon, coupa Bérenger, tout ça ne nous regarde plus.

Cette nuit, on s'en va !

— Espérons seulement que nous y parviendrons. Au lieu d'une nuit de silence bien noire, nous risquons d'avoir une nuit de beuverie bien éclairée par des bandes armées de torches ! Qui peut savoir si l'on ne viendra pas nous égorger avant l'heure du rendez-vous ?

— Alors tout sera dit et nous mourrons tous les trois ensembles !

conclut Gauthier paisiblement.

En effet, la fête sanglante de la journée sembla vouloir tourner en bacchanale. Quand la nuit fut là, plus rouge que noire à cause du grand rassemblement de lumières sur la Grand-Place, les chants, les rires et les cris de mort continuèrent d'emplir l'air.

Angoissés et silencieux, Catherine et les garçons mangèrent du bout des dents un peu de pain et de viande froide. Les servantes n'étaient pas revenues, pas plus que le valet. En bas, les gardes chantaient, buvaient et portaient des toasts bruyants et dégoulinants de bière auxquels se mêlaient des voix de femmes. L'une d'elles cria :

— J'vais aller tout cadenasser là-haut et je reviens ! Y a pas de raison pour qu'on se prive de s'amuser nous autres...

Un instant plus tard, la cuisinière reparaissait. Elle avait déjà beaucoup bu ainsi que le proclamaient son bonnet en bataille d'où coulaient de longues mèches de cheveux et sa trogne enluminée. Son corsage largement ouvert laissait voir deux énormes seins sauvés seulement par leur volume d'un total découragement.

Riant et chantant, elle entra dans la salle et, sans plus s'intéresser à ses occupants que s'ils n'avaient pas été là, elle cadenassa les volets de toutes les pièces puis, raflant au passage, sur la table, un pichet de vin, en but ce qu'il en restait à la régalade avant de l'envoyer rouler, vide, sur le dallage. Après quoi, toujours chantant, elle sortit sans oublier de fermer soigneusement la porte derrière elle. Les verrous claquèrent, la clef cria dans la serrure puis on l'entendit descendre l'escalier.

Gauthier, alors se mit à rire.

— On dirait que nos fidèles servantes ont décidé de faire la fête avec ces messieurs de la chaussure. C'est une bonne chose. Au moins nous pouvons être sûrs qu'elles ne nous entendront pas quand nous monterons là-haut.

— À moins qu'elles ne reviennent et s'aperçoivent que nous ne sommes plus là, murmura Catherine qui sentit grandir son angoisse.

Elle avait peur, à présent, de cette ville qu'elle sentait devenue folle autour d'elle. De vieux souvenirs, qu'elle croyait bien oubliés, remontaient des profondeurs de sa mémoire. Elle savait, d'expérience, à quel degré de brutalité et de cruauté pouvait se laisser aller une foule en révolte. S'ils étaient surpris pendant leur évasion, ils seraient impitoyablement abattus sur place, et Saint-Rémy avec eux...

— Bah ! dit Gauthier. Elles seront bien trop saoules pour s'apercevoir de quoi que ce soit.

— Ne vous y fiez pas. Il y a des ivrognes qui voient bien plus clair que vous ne pensez... dit-elle, se souvenant de la grosse Marion, la servante de ses parents qui après boire, un soir de fièvre à Paris, avait déchaîné le malheur sur leur maison du Pont-au- Change1. Je vais me reposer un peu en attendant l'heure, puis je me préparerai.

1 Voir 11 suffit d'un amour.

— N'oubliez pas de mettre votre robe de moine, rappela Gauthier. Il ne manquerait plus que les Augustins vous jettent dehors.

Un peu avant onze heures, Catherine qui s'était étendue tout habillée sur son lit se releva quand Gauthier vint frapper à sa porte.

Par-dessus la robe sombre, qu'elle portait, et à la ceinture de laquelle elle attacha son aumônière contenant ce qu'elle possédait d'argent et sa dague, elle enfila le froc noir puis, ouvrant sa porte, rejoignit les deux garçons.

Armé d'une chandelle dont il protégeait la flamme de sa main, Gauthier ouvrit la marche se dirigeant vers l'escalier qui menait à l'étage supérieur et aux greniers. Avec ses volets clos, la maison était noire comme un four et l'air y était étouffant. En bas l'orgie continuait mais ses participants devaient sombrer peu à peu dans le sommeil si l'on en jugeait par l'affaiblissement progressif des chants et des cris.

Tandis que l'on montait l'escalier, Catherine sentait le rythme de son cœur s'accélérer. Peu craintive d'habitude, elle avait cependant peur de ce qui l'attendait. Saurait-elle marcher sur l'étroite corniche jusqu'à la maison voisine, franchir l'angle qui la mettrait hors de vue des gardes du quai ? Et le toit au bord duquel il allait falloir marcher était-il suffisamment caché dans l'obscurité pour que leur sortie par la lucarne ne soit pas remarquée ?

En entrant dans le grenier où l'on entreposait normalement les farines, l'avoine des chevaux et les fruits d'automne, Gauthier éteignit sa chandelle et les trois fugitifs demeurèrent un instant immobile, laissant leurs yeux s'accoutumer à l'obscurité. La grande pièce établie sur toute la longueur de la maison était coupée en deux par une cloison de bois servant de limite aux mansardes des servantes. Le fait qu'elles soient absentes simplifiait singulièrement la tâche de Gauthier qui

aurait dû primitivement les assommer. Une seule lucarne éclairait la partie réservée aux provisions et découpait un carré plus pâle dans les ténèbres qui sentaient la pomme et les raisins secs.

Gauthier posa sa chandelle à terre, ouvrit le battant de la lucarne qui était haute et étroite puis jeta un coup d'œil au-dehors.

— Est-ce que les gardes sont là ? souffla Bérenger.

— Je n'en vois que deux. D'ici le feuillage des arbres les cache.

Leur feu éclaire assez bien la façade de la maison mais pas suffisamment pour qu'ils puissent voir ce qui se passe sur la gouttière.

Elle surplombe le mur très suffisamment.

— Est-ce que tu vois la barque ?

— Non...

Au même instant onze heures sonnèrent. Dans l'ombre, Gauthier prit la main de Catherine et la serra.

— Courage, dame Catherine ! Cela ne sera pas long. Et surtout, surtout, n'ayez pas peur ! Quand vous serez sur la gouttière, tournez-vous vers la pente du toit et ne regardez pas en bas. Je vais passer devant pour vous aider et Bérenger fermera la marche. Nous pouvons y aller ?

— Nous pouvons. Soyez tranquille. J'essaierai de ne pas être trop maladroite... ni d'avoir trop peur !...

Souplement, le jeune homme se glissa au-dehors puis se mit debout sur le rebord. Se tenant d'une main aux sculptures qui ornaient la lucarne, il tendit l'autre à Catherine.

— Vous croyez que je vais passer ? souffla celle-ci avec angoisse.

J'ai l'impression d'être devenue tellement grosse !

Mais elle passa sans peine et soudain se retrouva en plein ciel plaquée des cuisses, du ventre et de la poitrine à la pente raide du toit.

Bérenger se hissa derrière elle et se colla à son côté. Son cœur cognait éperdument dans sa poitrine tant elle avait peur. Le vent froid de la mer, chargé d'odeurs de fumées, la glaçait jusqu'au cœur en dépit de la bure épaisse de sa robe monastique. Les bruits d'en bas, qui montaient jusqu'à elle, lui donnaient l'absurde impression qu'elle se trouvait exposée à quelque pilori géant.

— Personne ne peut nous voir, souffla Gauthier. Tout va bien... A présent nous allons avancer, doucement, tout doucement. N'ayez pas peur, dame Catherine, je vous tiens bien...

Il avait passé un bras autour de la taille déformée de la jeune femme dont les mains demeuraient appliquées au toit. Pas après pas, il la fit avancer le long de l'étroit chemin. Au-dessus d'elle, plus haut que l'arête ornementée du toit, Catherine voyait tournoyer des nuages dans le ciel noir mais, peu à peu, le faible éclairage venu du feu des gardes s'estompait, les abandonnait...