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plus maintenant et c'est très bien comme cela. Au fond, monseigneur, il n'y a guère que ses enfants que l'on peut arriver à aimer de cet amour total... À présent, je vous demande la permission de me retirer.

Je voudrais retrouver mon écuyer et mon page, savoir s'ils sont arrivés ici, comme je l'espère, avec Saint-Rémy et puis... prendre un peu de repos avant de continuer ma route !

— Vous voulez partir déjà ?...

Oui, cela vaut mieux. Il est inutile que l'on me sache auprès de vous...

et puis le chemin est long qui mène à mes montagnes.

Il eut un soupir qui parut venir des extrêmes profondeurs de sa poitrine.

— Eh bien partez, puisque rien ne peut vous retenir ! Je vais donner des ordres pour vous assurer un voyage aussi doux que possible...

Il s'était retourné et à présent il la regardait s'avancer vers lui, se courber, s'agenouiller.

— Adieu, monseigneur...

Il eut un geste de protestation.

— Pourquoi, adieu ? France et Bourgogne sont en paix... Pourquoi devrais-je être condamné à ne plus vous revoir ? Quoi que vous en pensiez... j'en serai toujours infiniment heureux !...

— Alors... à s'il plaît à Dieu !...

Elle baisa la main qui pendait le long du corps du prince puis, se relevant, quitta la chambre sans se retourner, refusant même d'entendre le soupir qui saluait sa sortie. Il fallait que cette page-là soit définitivement tournée.

Bérenger chantait. La voix de l'adolescent avait perdu la fraîcheur fragile de l'enfance mais, encore un peu enrouée par la mue finissante, trouvait déjà des sonorités chaudes qui vibraient agréablement quand il était joyeux comme en ce moment.

Quan vey la lauzeta mover De joy sas alas contra7 rai, Que s'oblida e's laissa cazer Per la doussor qu'ai cor li vay Aï! tan grans enveya m'en ve De cui qu'en vey a jauzion Meravilhas

ay, quar desse La cor de dezirier no 'm fan 1.

1 Quand je vois l'alouette mouvoir de joie ses ailes à contrejour, qui s'oublie et se laisse choir pour la douceur qu'au cœur lui va hélas, je sens monter l'envie pour ceux que je vois heureux. C'est merveille qu'à l'instant le cœur de désir ne me fonde...

La langue d'oc sonore et musicale et surtout le ton de Bérenger prêtaient une gaieté à la célèbre chanson de Bernard de Ventadour dont le texte était plutôt mélancolique mais le page aimait cette chanson et il la lançai ^vigoureusement à tous les échos de ses montagnes natales.

Le long voyage s'achevait. On avait mis un grand mois à revenir des plaines de Flandre pour éviter le nord de Paris où les troupes du connétable de Riche- mont n'avaient pas encore fini de nettoyer le Vexin, les confins de la Picardie et les marches de Champagne des dernières garnisons anglaises et des assauts de Jean de Luxembourg, l'intraitable général bourguignon, le seul de son camp que le traité d'Arras n'eût pas satisfait. C'était dans la gloire d'un soir de juillet plein de chaleur, de bourdonnements d'abeilles et d'odeur de myrtille que Catherine, Gauthier et Bérenger achevaient leur dernière étape.

Mais que la dernière lieue de chemin était donc longue à parcourir !

Depuis la Croix de Thérondels, l'ancienne voie romaine, bien étroite et bien cahotante qui allait d'Aurillac à Rodez s'étirait capricieusement, rampait au long des croupes foisonnantes de châtaigniers chargés de leurs bizarres fleurs en forme d'étoiles pour roi mage en quête de divine vérité. Elle était déserte mais parfois le flot laineux d'un troupeau de moutons gagnant les hautes prairies par les drailles de menues pierres roulantes la traversait. Le berger alors saluait les voyageurs d'un geste de la main puis, sifflant ses chiens, reprenait son ascension patiente de son pas lent et régulier.

À l'idée de ce qui l'attendait à Montsalvy, le cœur de Catherine battait plus vite, à la fois d'espérance et de crainte. Espérance du foyer retrouvé, des rires de ses petits, de la chaude embrassade de Sara, de l'accueil des petites gens qui l'aimaient bien. Crainte de ce que seraient le premier mot, le premier geste d'Arnaud. Allait-il comme il l'avait juré la chasser loin de lui, la rejeter au hasard du chemin et des aventures sans fin ? Ou bien la douce et ferme influence de l'abbé Bernard lui aurait-elle enfin ouvert les yeux, fait comprendre que son épouse ne méritait pas le mal qu'il lui avait fait ? Mais peut-être ne serait-il même pas au logis ? Les derniers jours de son voyage avaient en effet appris à la jeune femme bien des choses inattendues concernant les événements de France.

Ainsi l'avant-veille, en arrivant à Aurillac pour y faire étape à la maison des hôtes de l'abbaye Saint- Géraud, les voyageurs avaient eu la surprise de trouver la ville en fête. Les consuls avaient ordonné prières publiques, ripailles non moins publiques et feux de joie pour célébrer la déconfiture définitive du plus dangereux, du plus tenace ennemi que la ville ait eu depuis les vingt dernières années, le charognard qui, si longtemps, avait dessiné dans son ciel ses cercles menaçants : le routier Rodrigue de Villa- Andrado.

En effet, revenant du long périple à travers la France qui l'avait amené jusqu'en Languedoc avec le dauphin Louis, Charles VII avait appris que le Castillan, profitant de son absence et toujours aussi sûr de lui, avait osé pénétrer en Berry et menacer la Touraine, la Touraine où résidaient la reine Marie et la dauphine Marguerite d'Écosse. On avait vu sa bannière impudente à Chatillon-sur-Indre, à huit lieues de Loches.

Les ravages et les incendies qu'il déchaînait sur son passage avaient jeté l'alarme dans les résidences royales et les deux princesses avaient, par deux fois, écrit au Castillan pour lui demander de s'éloigner. Ce dont, naturellement, il n'avait rien fait. Il avait en effet la partie belle : le connétable de Richemont était alors occupé à mettre de l'ordre autour de Paris où les garnisons de Saint-Denis, de Vincennes et de Lagny se mutinaient et se mettaient à piller autant et mieux que les Anglais eux-mêmes.

Le Roi alors, et pour la première fois de sa vie peut-être (mais ce ne serait pas la dernière !), était entré dans une grande colère. Il avait ordonné que l'on revînt vers la Loire à marches forcées.

Or comme ses fourriers arrivaient au château d'Hérisson, non loin de la ville de Montluçon, en terre bourbonnaise, pour y préparer les logis de leur maître, ils avaient été surpris par les routiers de Rodrigue, détroussés et mis à mal. C'était une grave imprudence car le Roi ramenait du Midi une véritable et puissante armée où Provençaux et gens d'Armagnac tenaient une large place. Charles courut sus au pillard, l'obligeant à chercher refuge jusqu'au-delà de la Saône, dans des terres appartenant à son beau-frère le duc de Bourbon. Après quoi Rodrigue avait été solennellement banni du royaume avec interdiction d'y revenir sous peine de la hache. Il ne lui restait plus qu'à regagner son comté espagnol de Ribadeo et à s'y faire oublier. C'était cela que fêtaient les gens d'Aurillac, heureux d'être à jamais délivrés de cette menace-là. Mais Catherine en avait tiré des conclusions toutes personnelles.

Puisque le Roi s'affirmait enfin comme chef de guerre, puisqu'il avait enfin pris la décision de mettre la main à la pâte et de poursuivre en personne la libération de son royaume, puisqu'il s'en allait à présent, à ce que l'on disait, assiéger Montereau-Fault- Yonne où le capitaine anglais Thomas Guérard tenait une puissante garnison, Arnaud très certainement n'aurait pas résisté à l'appel de la guerre, son insatiable maîtresse, et serait reparti avec ardeur pour faire sa paix avec son Roi et reprendre sa place parmi les capitaines...

A vrai dire, l'idée de retrouver Montsalvy sans son maître et livré à l'intelligente direction de l'abbé Bernard, coseigneur de la ville, lui souriait assez. Cela lui laisserait le temps de causer avec l'abbé, d'entendre ce que les gens de Montsalvy lui diraient touchant le comportement d'Arnaud et de préparer sa propre position pour le jour où il reviendrait. Et ce serait,