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— Qu’est-ce qui se passe, Miles ?

Par le prénom ?

— Désolé, Bel. Je suis juste un peu fatigué. On peut se débarrasser du briefing tout de suite ?

— Tu sembles plus que fatigué. D’accord. Tu veux que je rassemble tout l’équipage ?

— Non… tu leur expliqueras au moment voulu.

C’était ça le plan : aussi peu de contact direct avec les Dendariis que possible.

— Viens dans ma cabine, alors. Tu pourras mettre les pieds sous la table et boire un peu de thé en m’expliquant.

L’hermaphrodite le suivit dans le corridor. Ne sachant quelle direction prendre, il fit volte-face et attendit, comme par politesse, que Thorne prenne les devants. Il lui emboîta le pas. Ils tournèrent une ou deux fois et passèrent au niveau supérieur. On ne se sentait pas aussi à l’étroit à l’intérieur du vaisseau qu’il ne l’aurait cru. Il nota soigneusement chaque direction. Naismith connaissait parfaitement ce navire.

La cabine du capitaine de l’Ariel était une étroite chambre nette, martiale, ne révélant pas grand-chose de la personnalité de son occupant. Mais Thorne ouvrit un placard contenant un antique service à thé en porcelaine et une douzaine de petites boîtes contenant plusieurs variétés de thé en provenance de la Terre ou d’autres planètes.

— Lequel veux-tu ? demanda-t-il.

— Comme d’habitude, répliqua-t-il en se laissant tomber dans une chaise tournante fixée au sol devant une table.

— J’aurais dû m’en douter. Je jure qu’un de ces jours je t’apprendrai le goût du risque.

Thorne lui adressa un drôle de sourire par-dessus son épaule… Y avait-il un sens caché dans cette remarque ? Quelques instants plus tard, Thorne posait devant lui une tasse et une sous-tasse délicatement peintes à la main. Il s’en saisit pour goûter avec précaution le liquide tandis que Thorne fixait une autre chaise dans ses attaches à ses côtés à la table, se servait à son tour et s’asseyait avec un petit grognement satisfait.

Avec soulagement, il trouva la boisson brûlante assez plaisante. Du sucre ? Il n’osa en demander. Thorne n’en avait pas sorti. Il l’aurait fait sans aucun doute s’il s’était attendu que Naismith en prenne. Thorne ne pouvait pas déjà être en train de le tester subtilement. Donc, pas de sucre.

Des mercenaires buvant du thé. Cette boisson semblait bien inoffensive pour accompagner l’arsenal accroché au mur : deux neutralisateurs, un injecteur, un arc à plasma, une arbalète en métal étincelant avec un carquois rempli de carreaux à tête de grenade. Thorne était censé être bon dans sa partie. Si cela était vrai, il se fichait pas mal que l’hermaphrodite boive du thé ou de l’infusion de déchets nucléaires.

— Oh, oh… tu fais une drôle de tête. Tu as dû nous en trouver une jolie cette fois-ci, hein ? s’enquit Thorne après un instant de silence.

— Si tu parles de la mission, oui. (Il espérait que Thorne parlait bien de la mission et pas d’autre chose dont il ignorait tout. Thorne hocha la tête.) Il s’agit d’un ramassage. Pas le plus grand que nous ayons fait et de loin…

Thorne éclata de rire.

— … mais qui présente certaines difficultés particulières, ajouta-t-il.

— Ça ne peut pas être plus difficile que sur Dagoola IV. Vas-y, je t’écoute.

Il se frotta les lèvres : un geste estampillé Naismith.

— On va vider la crèche de clones de la Maison Bharaputra dans l’Ensemble de Jackson. La vider jusqu’au dernier.

Thorne était en train de croiser les jambes, ses deux pieds heurtèrent bruyamment le sol.

— Les tuer ? fit-il, stupéfait.

— Les clones ? Non, les sauver ! Les sauver tous !

— Oh, pfft… (Thorne parut nettement soulagé.) J’ai eu cette horrible vision pendant un instant… ce sont des enfants, après tout. Même si ce sont des clones.

À sa grande surprise, il sourit.

— Exactement. Je suis… content que tu voies les choses ainsi.

Thorne haussa les épaules.

— Comment les voir autrement ? Le trafic de clones est la plus obscène, la plus monstrueuse pratique au catalogue des saloperies fournies par Bharaputra.

— C’est ce que je pense aussi.

Il but une autre gorgée de thé pour dissimuler sa surprise devant cette réaction. Thorne était-il sincère ? Il savait, pour les avoir lui-même vécues, les horreurs cachées derrière le trafic de clones dans l’Ensemble de Jackson. Mais il ne s’était pas attendu que quelqu’un n’ayant pas partagé son expérience partage son avis sur la question.

La spécialité de la Maison Bharaputra n’était pas, à vrai dire, le clonage. C’était plutôt l’immortalité ou, plus exactement, l’extension de la vie. Et il s’agissait d’un trafic très lucratif car quel prix pouvait-on mettre sur la vie elle-même ? Le procédé de Bharaputra était médicalement risqué, pas vraiment idéal… mais les risques étaient contrebalancés par la certitude d’une mort imminente. Les clients étaient riches, sans scrupules et, il devait l’admettre, possédaient une perspicacité glacée à l’égard d’eux-mêmes assez inhabituelle.

Le principe était simple mais la procédure chirurgicale sur laquelle il reposait d’une extraordinaire complexité. Un clone était fabriqué à partir d’une cellule du client, porté à terme dans un réplicateur utérin puis élevé jusqu’à la maturité physique dans une crèche de Bharaputra, une sorte d’orphelinat merveilleux et hallucinant. Les clones étaient, après tout, d’une grande valeur : leur santé et leur conditionnement physique d’une extrême importance. Puis, le moment venu, ils étaient cannibalisés. Au cours d’une opération dont on prétendait que le taux de succès était égal ou immédiatement voisin des cent pour cent, le cerveau de l’original du clone était transplanté de son corps âgé ou endommagé dans un duplicata dans l’épanouissement de sa jeunesse. Le cerveau du clone était classé en tant que déchet médical.

Ce procédé était illégal sur toutes les planètes connues sauf sur l’Ensemble de Jackson. Ce qui ne gênait nullement les maisons criminelles qui gouvernaient l’endroit. Cela leur donnait un joli monopole, l’occasion de contacts fructueux avec de riches étrangers qui leur permettaient de garder leurs équipes chirurgicales au sommet. Pour ce qu’il en savait, l’attitude des autres mondes à leur égard était : « On ne voit pas, on ne touche pas. » L’étincelle de sympathie dans le regard de Thorne éveillait en lui une douleur si ancienne, si ancrée qu’il en avait à peine conscience. Il fut stupéfait de constater qu’il était au bord des larmes. C’est probablement un piège. Il soupira. Encore un truc à Naismith.

Thorne réfléchissait intensément.

— Tu es sûr qu’on doit prendre l’Ariel ? D’après ce que je sais, le baron Ryoval est toujours vivant. Ça risque d’attirer son attention.

La maison Ryoval était une des rivales mineures de Bharaputra dans l’exercice illégal de la médecine. Sa spécialité était la fabrication par des moyens génétiques ou chirurgicaux d’êtres humains utilisables dans n’importe quel but, y compris sexuel. En fait, des esclaves. Mais quel était le rapport entre l’Ariel et le baron Ryoval ? Il n’en avait pas la moindre idée. À la première occasion, il consulterait les dossiers du navire.

— Cette mission n’a rien à faire avec la maison Ryoval. Nous les éviterons.

— J’espère bien, approuva Thorne avec ferveur. Bon, en dehors du fait que l’Ensemble de Jackson aurait besoin d’un bon coup de balai, de préférence aux atomiques, j’imagine qu’on n’y va pas par pure bonté d’âme. Quelle est… la mission derrière la mission, cette fois-ci ?