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-Sois gentille, voyons! Tu devrais sentir que je ne te veux pas de mal... Si je ne t'aimais plus, je ne serais pas revenu, bien sûr... Puisque me revoilà et que tout s'arrange, nous allons nous revoir, n'est-ce pas?

D'un mouvement brusque, elle s'était reculée, et le regardant en face:

-Jamais!

-Pourquoi jamais? est-ce que tu n'es pas ma femme, est-ce que cet enfant n'est pas à nous?

Elle ne le quittait pas des yeux, elle parla lentement.

-Écoutez, il vaut mieux en finir tout de suite... Vous avez connu Honoré, je l'aimais, je n'ai toujours aimé que lui. Et il est mort, vous me l'avez tué, là-bas... Jamais plus je ne serai à vous. Jamais!

Elle avait levé la main, elle en faisait le serment, d'une telle voix de haine, qu'il resta un moment interdit, cessant de la tutoyer, murmurant:

-Oui, je savais, Honoré est mort. C'était un très gentil garçon. Seulement, que voulez-vous? Il y en a d'autres qui sont morts, c'est la guerre... Et puis, il me semblait que, du moment où il était mort, il n'y avait plus d'obstacle; car, enfin, Silvine, laissez-moi vous le rappeler, je n'ai pas été brutal, vous avez consenti...

Mais il n'acheva pas, tellement il la vit bouleversée, les mains au visage, prête à se déchirer elle-même.

-Oh! C'est bien ça, oui! C'est bien ça qui me rend folle. Pourquoi ai-je consenti, puisque je ne vous aimais point? ... Je ne puis pas me souvenir, j'étais si triste, si malade du départ d'Honoré, et ç'a été peut-être parce que vous me parliez de lui et que vous aviez l'air de l'aimer... Mon Dieu! Que de nuits j'ai passées à pleurer toutes les larmes de mon corps, en songeant à ça! C'est abominable d'avoir fait une chose qu'on ne voulait pas faire, sans pouvoir s'expliquer ensuite pourquoi on l'a faite... Et il m'avait pardonné, il m'avait dit que, si ces cochons de Prussiens ne le tuaient pas, il m'épouserait tout de même, quand il rentrerait du service... Et vous croyez que je vais retourner avec vous? Ah! tenez! sous le couteau, je dirai non, non, jamais!

Cette fois, Goliath s'assombrit. Il l'avait connue soumise, il la sentait inébranlable, d'une résolution farouche. Tout bon enfant qu'il fût, il la voulait même par la force, maintenant qu'il était le maître; et, s'il n'imposait pas sa volonté violemment, c'était par une prudence innée, un instinct de ruse et de patience. Ce colosse, aux gros poings, n'aimait pas les coups. Aussi songea-t- il à un autre moyen de la soumettre.

-Bon! puisque vous ne voulez pas de moi, je vais prendre le petit.

-Comment, le petit?

Charlot, oublié, était resté dans les jupes de sa mère, se retenant pour ne pas éclater en sanglots, au milieu de la querelle. Et Goliath, qui avait enfin quitté sa chaise, s'approcha.

-N'est-ce pas? Tu es mon petit à moi, un petit Prussien... Viens, que je t'emmène!

Mais, déjà, Silvine, frémissante, l'avait saisi dans ses bras, le serrait contre sa poitrine.

-Lui, un Prussien, non! Un Français, né en France!

-Un Français, Regardez-le donc, regardez-moi donc! C'est tout mon portrait. Est-ce qu'il vous ressemble, à vous?

Elle vit alors seulement ce grand gaillard blond, à la barbe et aux cheveux frisés, à l'épaisse face rose, dont les gros yeux bleus luisaient d'un éclat de faïence. Et c'était bien vrai, le petit avait la même tignasse jaune, les mêmes joues, les mêmes yeux clairs, toute la race de là-bas en lui. Elle-même se sentait autre, avec les mèches de ses cheveux noirs, qui glissaient de son chignon sur son épaule, dans son désordre.

-Je l'ai fait, il est à moi! reprit-elle furieusement. Un Français qui ne saura jamais un mot de votre sale allemand, oui! Un Français qui ira un jour vous tuer tous, pour venger ceux que vous avez tués!

Charlot s'était mis à pleurer et à crier, cramponné à son cou.

-Maman, maman! J'ai peur, emmène-moi!

Alors, Goliath, qui ne voulait sans doute pas de scandale, recula, se contenta de déclarer, en reprenant le tutoiement, d'une voix dure:

-Retiens bien ce que je vais te dire, Silvine... Je sais tout ce qui se passe ici. Vous recevez les francs-tireurs des bois de Dieulet, ce Sambuc qui est le frère de votre garçon de ferme, un bandit que vous fournissez de pain. Et je sais que ce garçon, ce Prosper, est un chasseur d'Afrique, un déserteur, qui nous appartient; et je sais encore que vous cachez un blessé, un autre soldat qu'un mot de moi ferait conduire en Allemagne, dans une forteresse... Hein? Tu le vois, je suis bien renseigné...

Elle l'écoutait maintenant, muette, terrifiée, tandis que Charlot répétait dans son cou, de sa petite voix bégayante:

-Oh! Maman, maman, emmène-moi, j'ai peur!

-Eh bien! reprit Goliath, je ne suis certainement pas méchant, et je n'aime guère les querelles, tu peux le dire; mais je te jure que je les ferai tous arrêter, le père Fouchard et les autres, si tu ne me reçois pas dans ta chambre, lundi prochain... Et je prendrai le petit, je l'enverrai là-bas à ma mère qui sera très contente de l'avoir; car, du moment que tu veux rompre, il est à moi... N'est-ce pas? Tu entends bien, je n'aurai qu'à venir et à l'emporter, lorsqu'il n'y aura plus personne ici. Je suis le maître, je fais ce qui me plaît... Que décides-tu, voyons?

Mais elle ne répondait pas, elle serrait l'enfant plus fort, comme si elle eût craint qu'on ne le lui arrachât tout de suite; et, dans ses grands yeux, montait une exécration épouvantée.

-C'est bon, je t'accorde trois jours pour réfléchir... Tu laisseras ouverte la fenêtre de ta chambre, qui donne sur le verger... Si lundi soir, à sept heures, je ne trouve pas ouverte la fenêtre, je fais, le lendemain, arrêter tout ton monde, et je reviens prendre le petit... Au revoir, Silvine!

Il partit tranquillement, elle resta plantée à la même place, la tête bourdonnante d'idées si grosses, si terribles, qu'elle en était comme imbécile. Et, pendant la journée entière, ce fut ainsi une tempête en elle. D'abord, elle eut l'instinctive pensée d'emporter son enfant dans ses bras, de s'en aller droit devant elle, n'importe où; seulement, que devenir dès que la nuit tomberait, comment gagner sa vie pour lui et pour elle? Sans compter que les Prussiens qui battaient les routes, l'arrêteraient, la ramèneraient peut-être. Puis, le projet lui vint de parler à Jean, d'avertir Prosper et le père Fouchard lui- même; et, de nouveau, elle hésita, elle recula: était-elle assez sûre de l'amitié des gens, pour avoir la certitude qu'on ne la sacrifierait pas à la tranquillité de tous? Non, non! Elle ne dirait rien à personne, elle seule se tirerait du danger, puisque seule elle l'avait fait, par l'entêtement de son refus. Mais qu'imaginer, mon Dieu! De quelle façon empêcher le malheur? Car son honnêteté se révoltait, elle ne se serait pardonné de la vie, si, par sa faute, il était arrivé des catastrophes à tant de monde, à Jean surtout, qui se montrait si gentil pour Charlot.

Les heures se passèrent, la journée du lendemain s'écoula, sans qu'elle eût rien trouvé. Elle vaquait comme d'ordinaire à sa besogne, balayait la cuisine, soignait les vaches, faisait la soupe. Et, dans son absolu silence, l'effrayant silence qu'elle continuait à garder, ce qui montait et l'empoisonnait davantage d'heure en heure, c'était sa haine contre Goliath. Il était son péché, sa damnation. Sans lui, elle aurait attendu Honoré, et Honoré vivrait, et elle serait heureuse. De quel ton il avait fait savoir qu'il était le maître! D'ailleurs, c'était la vérité, il n'y avait plus de gendarmes, plus de juges à qui s'adresser, la force seule avait raison. Oh! être la plus forte, le prendre quand il viendrait, lui qui parlait de prendre les autres! En elle, il n'y avait que l'enfant, qui était sa chair. Ce père de hasard ne comptait pas, n'avait jamais compté. Elle n'était pas épouse, elle ne se sentait soulevée que d'une colère, d'une rancune de vaincue, quand elle pensait à lui. Plutôt que de le lui donner, elle aurait tué l'enfant, elle se serait tuée ensuite. Et elle le lui avait bien dit, cet enfant qu'il lui avait fait comme un cadeau de haine, elle l'aurait voulu grand déjà, capable de la défendre, elle le voyait plus tard, avec un fusil, leur trouant la peau à tous, là-bas. Ah! oui, un Français de plus, un Français tueur de Prussiens!