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— Mais nom de Dieu, il se goure, le collignon !

Nalorgne et Pérouzin ne répondaient point. Le Bedeau insista :

— Dis-lui qu’il se fout dedans. Les fortifs, c’est pas la direction de la Préfectance.

Mais les policiers ne répondirent pas et à ce moment la voiture s’arrêta devant une masure hermétiquement close. Nalorgne, prestement, descendit et frappa à la porte :

Le Bedeau s’inquiéta.

— Qu’est-ce qu’il va faire ? demanda-t-il à Pérouzin.

— Voir un copain, répliqua celui-ci. Descendons aussi.

Intrigué, l’esprit alourdi par les vapeurs de l’alcool, et confiant, le Bedeau consentit à suivre Pérouzin.

À la demande de Nalorgne, la porte close s’était ouverte et brusquement le Bedeau se trouva poussé à l’intérieur d’une salle, très sommairement éclairée, salle garnie de tables et de banquettes où des hommes en train de boire étaient installés. Et tout d’un coup, le Bedeau se souvint qu’il connaissait cet endroit.

C’était un effroyable bouge de la Glacière, connu sous le nom de L’Œil Vert, et les apaches eux-mêmes ne s’y aventuraient qu’en tremblant, sûrs qu’ils étaient d’y rencontrer l’ennemi et d’y risquer toujours quelques mauvaises aventures. C’était le plus infâme établissement que l’on pût imaginer, cabaret clandestin, coupe-gorge, que même les plus terribles bandits n’approchaient qu’avec hésitation. Or, le Bedeau, allait se demander pour quels motifs Nalorgne et Pérouzin le faisaient venir là, lorsque soudain il blêmit, trembla sur ses jambes, poussa un cri de terreur :

— Ah, nom de Dieu, fit-il, ces vaches-là m’ont mouchardé.

Ses yeux apeurés ne pouvaient se détacher d’un homme qui, du fond de la salle où il se trouvait, dévisagea le Bedeau avec une singulière insistance, cependant que, sur ses lèvres fines et rasées, flottait un sourire railleur.

Le Bedeau pouvait être inquiet à juste titre, car l’homme qu’il voulait éviter à tout prix, de rencontrer se trouvait là devant lui, et cet homme, c’était Fantômas. Fantômas, autour duquel se trouvaient des hommes dévoués à sa cause et que le Bedeau connaissait bien. Il y avait là Bébé, Mort-Subite, les deux inséparables Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, plus copains que jamais.

Cependant qu’atterré, le Bedeau demeurait immobile au milieu de la salle, Nalorgne et Pérouzin, qui s’étaient respectueusement approchés du Maître, lui racontaient leurs dernières aventures.

— Le Bedeau, disaient-ils, s’accuse d’avoir tué Fleur-de-Rogue et demande à être conduit en prison. Faut-il lui obéir ?

Fantômas éclata de rire :

— Approche ici, ordonna-t-il, en fixant l’apache qui s’avança lentement, assieds-toi, prends un verre avec nous.

— Bon, se dit le bandit, du moment que Fantômas est aimable, c’est que cela va mal tourner. Il m’en veut sûrement. Il doit savoir que c’est moi qui ai poussé Fleur-de-Rogue à tuer sa fille, ça va mal finir. C’est peut-être le dernier verre que je bois.

Et dans cette crainte, le Bedeau se versa une rasade de vin à plein bord.

Fantômas, cependant, plaisantait le Bedeau :

— Crapule, menteur, saloperie, c’est comme cela, fit-il, que pour lâcher les copains, tu n’hésites pas à t’accuser d’un assassinat que tu n’as pas commis ? Poseur, va, mais Fleur-de-Rogue n’en ferait qu’une bouchée d’un abruti de ton espèce. Je puis même te dire une bonne chose, c’est que si ta marmite a disparu et que si elle a fait explosion, ça n’est pas à toi qu’elle le doit.

Le Bedeau releva la tête.

— Fleur-de-Rogue est claquée ?

— Cela ne te regarde pas, répondit le Maître.

Soudain, à l’idée que Fleur-de-Rogue était morte et bien morte, que cette fois c’était vrai, définitif, le Bedeau sentit monter à sa gorge un sanglot, essuya une larme furtive. Mais sur l’ordre de Fantômas, il changea aussitôt d’attitude :

— Assez de sentiment, avait ordonné le Maître, et maintenant écoute, nous avons à causer.

Auparavant le bandit congédia Nalorgne et Pérouzin, auxquels généreusement il remboursa l’argent indûment versé au Bedeau.

Il ne le donna pas de sa poche, mais simplement obligea le Bedeau à restituer la somme qu’il avait perçue, moins les vingt francs du dîner, naturellement. Narlogne et Pérouzin s’esquivèrent, et cependant que Nalorgne grommelait :

— Encore une sale affaire.

Pérouzin, plus optimiste, se disait :

— Bah, cela nous coûte vingt francs, mais tout de même on a fait un bon dîner.

Dans la salle basse du cabaret, Fantômas dictait ses instructions à ses hommes. Ceux-ci l’écoutaient avec attention. Il s’agissait, cette fois, d’une affaire nouvelle comme on avait peu l’habitude d’en faire, mais d’une extrême importance. Il s’agissait de contrebande et d’introduction en France de marchandises espagnoles payant des droits élevés à la douane. Fantômas s’installait commerçant et c’était par billets de mille francs qu’il calculait.

Bébé, Mort-Subite étaient abasourdis, Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf s’embrassaient de joie à l’idée que sous la conduite de Fantômas bientôt ils seraient riches.

Le Bedeau, se faisant tout petit, ne cherchait qu’à passer inaperçu. Il s’était tassé dans un coin et écoutait toutes ces choses dont la conception lui semblait magnifique, mais Fantômas l’interpella :

— Approche, le Bedeau, fit-il.

Cependant que l’apache se levait, Fantômas conclut l’entretien avec ses amis par ces mots :

— Maintenant, que chacun se défile et rentre chez lui, il faut que dans trois jours, vous soyez les uns et les autres au rendez-vous que j’ai indiqué. Pas moyen de se tromper, n’est-ce pas ? Naturellement, allez-y chacun séparément. Il ne s’agit pas de se faire remarquer et des gueules comme les vôtres passent rarement inaperçues.

Les complices de Fantômas, l’un après l’autre s’esquivèrent, et le Bedeau tenta également de gagner la porte. Fantômas le retint :

— Hé, là-bas, où vas-tu ?

— Je… je me débine…, balbutia le Bedeau, fort embarrassé.

Fantômas eut un rire sinistre :

— Une seconde, nous avons un compte à régler tous les deux.

— Voilà, fit le Bedeau, en blêmissant, ce que je craignais. Qu’est-ce que tu me veux, Fantômas ? demanda-t-il ?

Fantômas ne répondit pas encore, le Bedeau attendit respectueusement. Les deux hommes n’étaient pas seuls dans la salle. À côté de Fantômas se trouvait un troisième personnage que le Bedeau, malgré ses soucis, considérait avec étonnement.

C’était un homme de trente-cinq ans environ, superbement bâti, l’air américain ou anglais.

Quel pouvait bien être cet homme ?

Le Bedeau n’en revenait pas de voir cet inconnu silencieux et flegmatique dans l’intimité de Fantômas, et s’entretenant parfois avec lui sur un ton de familière camaraderie.

Cependant, le Maître ordonnait au Bedeau :

— Tu as compris ce que j’ai dit aux autres ? tu vas faire comme eux. Demain matin tu prendras le train à la gare d’Austerlitz, tu demanderas un billet de troisième pour Saint-Jean-de-Luz. En sortant de la gare, tu iras te loger à la deuxième auberge à gauche, où tu resteras en attendant mes instructions. Allez, fous le camp et que je ne te revoie plus et rappelle-toi bien, que c’est seulement à cette condition que j’oublierai peut-être toutes les saloperies que tu es disposé à faire pour trahir tes amis.

Le Bedeau se leva, heureux d’en être quitte à si bon marché, mais il s’arrêta, une pensée lui venait à l’esprit : il n’avait pas d’argent pour partir et il fallait bien en demander à Fantômas.

Le Bedeau, toutefois, hésitait :

— Si je pleure pour du pèze, pensa-t-il, ça va le foutre en colère.