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— Je le sais. Si j’ai demandé à vous parler c’est parce que j’ai autre chose à vous dire. Il me faut une chambre au premier étage.

— Elles sont toutes occupées, Monsieur, par Son Altesse Royale et sa suite.

— Erreur, jeune homme, dit l’inconnu, le n°7 est libre.

— C’est vrai, vous avez raison. Mais c’est une très vilaine pièce, toute petite donnant sur la cour.

— Je tiens à la prendre.

M. Hoch hésita un instant. Puis il répondit :

— Si vous y tenez particulièrement, monsieur, on vous la donnera, mais c’est vingt-cinq francs par jour.

Le voyageur ne sourcilla pas. M. Hoch ajoutait :

— Et pour ce prix-là vous auriez une chambre superbe au troisième.

— Ça m’est égal, je veux être au premier. Le 7 convient.

Baissant la voix, le voyageur poursuivit :

— Vous mettrez mes dépenses sur la note de Son Altesse Royale.

— Alors au lieu d’être de vingt-cinq francs, le prix de la chambre sera de trente-cinq.

— Pourquoi ?

M. Hoch, sous ses dehors corrects et distingués, ne brillait pas par le tact. C’était un maladroit, un gaffeur, qui n’hésita pas à répondre :

— Je majore de dix francs, parce que je suis obligé de donner dix francs par chambre à M. le Marquis.

— Soit, dit-il, ce sera trente-cinq francs. Mais je vous prie de noter ceci : il ne faudra faire aucune attention à moi tant que je séjournerai à l’Impérial, ne soyez pas surpris si je ne parle à personne de la suite de Son Altesse Royale et si nul n’a l’air de me connaître.

— Ah ?

— Non. Je suis l’agent de la police secrète qui accompagne toujours Son Altesse Royale, don Eugenio d’Aragon.

8 – JUVE SE DÉCIDE

Brûlé sous son déguisement de colporteur, Juve n’avait eu d’autres ressources que de descendre à l’auberge même de Beylonque, de s’y installer et de commencer minutieusement son enquête policière.

Malheureusement, si Juve se donnait beaucoup de mal, il ne semblait pas qu’il dût arriver à comprendre quoi que ce fût au mystère de la petite maison nichée dans les pignadas silencieuses.

Le crime avait été commis par un homme. Juve, en revanche, n’avait rien découvert depuis qui lui permît de spécifier quel pouvait être le coupable. Ni la victime. Était-ce Mme Borel ? Possible. Mais, en somme, rien n’était moins certain. Mme Borel pouvait fort bien être en promenade, en voyage, n’importe où. Le silence ne prouve rien.

Delphine Fargeaux, d’autre part, pouvait, elle aussi, être en voyage, et de plus, rien ne prouvait qu’elle fût jamais venue chez les Borel, dans leur maison.

— Pourtant, se dit Juve, il est invraisemblable qu’il y ait eu crime chez Mme Borel, et que Mme Borel ne soit ni l’assassin, ni la victime. Nom d’un chien de nom d’un chien.

Mais si Juve se mettait en colère, cela n’avançait à rien. Et puis encore, d’autre problèmes se dressaient devant lui :

Le malheureux idiot Saturnin Labourès n’avait-il pas conté une histoire incohérente ? N’avait-il pas affirmé qu’il avait été mordu par une dame, une dame qu’il avait nommée Mme Borel ? une dame qui, d’après ses dires, se baignait tout habillée ?

Et Juve, entraîné par la logique, réfléchissant à ce détail, finit par se dire :

— Saturnin était un idiot. Donc, a priori, ses propos ont peu d’importance. De plus, comme il n’est pas coutume que l’on se baigne tout habillé, Saturnin peut très bien avoir inventé ça de toutes pièces.

Mais, cette dernière façon de voir, Juve, quoiqu’il en eut fort envie, ne pouvait guère s’y arrêter. Que Saturnin ait menti en inventant de toutes pièces son récit de morsure, c’était à la rigueur possible, mais en somme, si l’idiot inconsciemment avait improvisé une histoire pareille, il fallait reconnaître que vraiment une série de coïncidences venait en quelque sorte étayer ses affirmations.

Juve, en effet, devait bien reconnaître que la blessure de Saturnin Labourès avait existé. M. Peyrat, le pharmacien de Beylonque, interrogé par Juge, tout comme Mme Labourès, l’avait affirmé : Saturnin portait bien une blessure à la main droite.

Cette blessure, il est vrai, pouvait avoir été causée de multiples façons. L’explication qu’en donnait Saturnin Labourès n’était donc pas forcément la bonne. Mais il fallait bien tenir compte de ce fait, vraiment surprenant, qui avait voulu que l’explication de Saturnin Labourès eût amené précisément la découverte du mystère de la Bicoque.

C’était parce que Saturnin Labourès avait prétendu avoir été mordu chez Borel, que Parandious s’était rendu à la maisonnette et y avait fait les découvertes que l’on sait.

Il y avait, hélas, une autre coïncidence qui effrayait Juve, plus encore :

Saturnin Labourès, songeait-il, a en somme donné l’alarme, lui seul a dit quelque chose relativement au drame et Saturnin Labourès au moment même où l’enquête commençait, est mort, mort dans la mare aux sangsues, assassiné.

Ceci amenait Juve à conclure que l’assassin avait supprimé le malheureux idiot pour l’empêcher de parler, de conter plus en détail ce qu’il avait vu, comment il avait été blessé. Juve, levé de grand matin, dans la modeste petite chambre qu’il occupait à l’Auberge des Écarteurs, repassait en mémoire toutes ces présomptions, tous les indices recueillis jusqu’ici.

— Cent mille nom d’un chien ! finit par jurer le policier, s’épongeant vigoureusement avec une serviette trempée dans l’eau glaciale de sa cuvette, il faudra bien que j’en aie le cœur net et que j’arrive à démêler toutes ces aventures !

Juve s’habilla précipitamment. C’est d’un air grognon qu’il envoya au diable l’hôtelier qui, très aimable à son passage dans la salle commune, lui demandait s’il avait bien dormi, s’il désirait un petit déjeuner, s’il viendrait encore passer la nuit à l’hôtel.

— Fichez-moi la paix, je n’ai besoin de rien, sauf de tranquillité. Et oui, parbleu, je coucherai ici ce soir. D’ailleurs vous le verrez bien.

Le policier avait, naturellement, fait poser les scellés sur les meubles garnissant la maisonnette, il en avait, de plus, fait scrupuleusement respecter la position et l’état.

Rien n’avait été changé depuis le moment où Parandious, suivi des paysans, avait pénétré à la Bicoque et reculé d’horreur devant les traces de sang.

Juve, rapidement, examinait d’un coup d’œil, la pièce du rez-de-chaussée. Il n’y avait pas fait jusqu’alors de grandes découvertes et il songeait, mélancolique :

— Ici, je n’ai rien relevé d’intéressant, si ce n’est qu’étant donné le désordre de la salle, je peux établir qu’il y a eu lutte violente. De plus, cette éraflure contre le mur tend à prouver qu’un coup de fusil ou un coup de revolver a dû être tiré. Quant aux taches de sang, elles ne présentent rien de particulier, en somme. Si, cependant… Elles indiquent que c’est ici, suivant toute vraisemblance, que le crime a été commis. La victime a dû tomber en perdant son sang, au centre même de la pièce. Le meurtrier, un homme, et un homme vigoureux, a dû la saisir alors, la tirer jusqu’à l’escalier, la traîner dans cet escalier, comme en font foi les éclaboussures, qui maculent les marches. Mais, pourquoi diable, ayant tué cette femme au rez-de-chaussée, à supposer que ce soit une femme, et en somme, je n’ai guère de preuves, pourquoi diable, l’a-t-on montée au premier étage où je ne retrouve nul indice capable de me faire deviner comment on a pu faire disparaître le corps ?

Juve, après un petit moment de silence et de réflexion rageuse, monta au premier :

— Curieuse, aussi, dit le policier, s’arrêtant au seuil de la chambre à coucher, la disposition de cette maison. Pourquoi la salle d’en bas est-elle pauvrement meublée, meublée à la paysanne, alors que cette pièce-ci est cossue, bourgeoise, luxueuse presque ? Cette Mme Borel et ce M. Borel dont personne n’a plus de nouvelles, tenaient donc à cacher leur identité ? Voulaient-ils donc, aux yeux des habitants de Beylonque, passer pour ce qu’ils n’étaient pas ?