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Juve avança de quelques pas, examina encore les traces de sang qui souillaient le tapis.

— Le corps a été traîné, répéta-t-il, de l’escalier jusqu’ici, et ici, je suis à quelques pas de la baignoire. Bien. Il ne faut pas oublier que Saturnin Labourès a prétendu avoir vu une femme tout habillée dans cette baignoire. Incompréhensible cette histoire-là. Mais bougre de nom de nom ! répétait le policier, à genoux sur le sol. Puisque c’est ici, à cette place même où je suis, que les traces de sang s’arrêtent, il faut bien que ce soit ici que l’on ait cessé de traîner le cadavre. Mais que diable a-t-on pu en faire ? Le porter jusqu’à la fenêtre et le jeter dehors par-là ? Idiot. L’assassin n’aurait eu aucune raison alors, de monter sa victime du rez-de-chaussée au premier étage. Et puis, il y aurait des traces de sang sur la barre d’appui de la fenêtre, dans le jardin, et il n’y a rien. Dois-je conclure que c’est en cet endroit que le meurtrier a enfermé le corps dans une malle, dans une caisse ? Cette explication est matériellement impossible. Une malle pouvant contenir un cadavre serait trop grande, pour passer par l’escalier ou même par l’étroite fenêtre. Il aurait donc fallu que l’assassin dépèce sa victime. Il y aurait beaucoup plus de traces de sang qu’il y en a. Alors ?

Juve s’interrompit dans ses déductions, pour respirer fortement, humer l’atmosphère, avec une certaine inquiétude :

— Décidément, poursuivit-il, cela sent une drôle d’odeur ici, une odeur de soufre. Le premier jour, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un de ces parfums, peu familiers pour moi, qui se dégagent des pignadas, mais maintenant, je dois me rendre à l’évidence. Il règne ici une odeur particulière. Pourquoi ? Voyons : l’assassin ai-je dit, n’a pas pu jeter sa victime par la fenêtre. Où a-t-il pu la porter ?

Jetant les yeux autour de lui, Juve tressaillit soudain :

— Tiens, dit-il, s’il avait été la déposer dans la baignoire ? Est-ce que par hasard ceci n’expliquerait pas tout ? Dans la baignoire, le corps continue à saigner, mais sans plus laisser aucune trace dangereuse. Il suffit de passer de l’eau. Et justement la baignoire est encore pleine.

Juve, tout naturellement, se releva, marcha vers cette baignoire qui, peut-être… Tiens, elle était vide maintenant.

— Personne, cependant, n’a pu entrer dans la bicoque, puisque j’en retrouvé les scellés intacts. Comment donc la baignoire s’est-elle vidée ? murmura le policier. Ah çà, pour qu’une baignoire pleine se vide, il n’y a qu’un moyen : ouvrir la petite soupape de vidange. Qui a ouvert cette soupape ? Ou plutôt, comment s’est-elle ouverte ?

Penché à l’intérieur de la baignoire, Juve, brusquement, poussa un juron :

— Mort de Dieu ! hurla-t-il, je ne suis qu’un imbécile, qu’un idiot, qu’un abruti. Parbleu, c’est évident, l’odeur caractéristique, ce morceau de cire, le cadavre disparu, la baignoire vide, je la tiens l’explication.

Juve se releva, le visage épanoui.

Que venait-il encore de découvrir ?

Tandis qu’il cherchait à examiner la petite soupape de vidange, il avait eu l’étonnement de constater que cette soupape n’existait pas.

La tuyauterie servant à l’écoulement des eaux, débouchait directement dans la baignoire, l’appareil de fermeture à coup sûr avait été démonté.

— Alors, s’était dit Juve, comment diable la baignoire a-t-elle pu rester pleine d’eau jusqu’à hier soir ?

Examinant la tuyauterie plus attentivement, Juve avait trouvé des morceaux de cire adhérant à l’orifice de vidange.

— Parbleu, se dit aussitôt le policier, voici ce qu’on a dû faire : remplir cette baignoire d’un acide, d’un acide très violent et, à cet égard, l’odeur de soufre que je sentais tout à l’heure suffit à me renseigner : on a rempli cette baignoire avec de l’acide sulfurique. Bien. Pour que la baignoire ne se vide pas, on l’a bouchée avec un bloc de cire, qui n’est attaqué et dissous que très lentement par l’acide sulfurique. Cela fait, l’assassin a certainement précipité le corps de la victime dans l’acide. Lentement, mais sûrement, cet acide a désagrégé le corps qui baignait. L’acide sulfurique ronge tout, mange tout, automatiquement. Le corps de la victime a donc été anéanti dans ce bain. Réfléchissons. Quand le corps a été entièrement dissous, l’acide sulfurique est redevenu limpide, transparent. Analogue en tous points à de l’eau. De plus, poursuivant lentement son attaque, cet acide a continué à ronger le bouchon de cire obstruant la baignoire. Quand le bouchon a été complètement dissous, la baignoire s’est vidée et toutes les traces du crime ont été emportées. Quel crime merveilleux. Quelle merveilleuse idée que l’idée de cet assassin !

Juve comprenait maintenant comment Saturnin Labourès avait été mordu par la femme habillée prenant son bain.

— Le pauvre idiot, il mentait et il disait la vérité à la fois. M. Peyrat, le pharmacien, m’a lui-même expliqué que la morsure de Saturnin lui avait fait l’effet d’être une brûlure en réalité. C’est la confirmation absolue de mes découvertes actuelles : Saturnin a dû passer devant la maison quelques heures après le crime. Voyant la porte ouverte, ayant l’habitude, peut-être, de visiter les Borel, l’idiot est monté au premier étage, il a vu la victime, la victime qui, dans ce cas, d’après ses dires, est certainement une femme, plongée tout habillée dans le bain d’acide sulfurique. À ce moment, Saturnin dut ne rien comprendre à ce qui se passait. Étonné du silence de la morte, il s’est approché de la baignoire, il a parlé. Puis, instinctivement, il a dû vouloir toucher la baigneuse. Naturellement il s’est brûlé à l’acide, et il a cru que la femme l’avait mordu. Saturnin s’est enfui et n’a rien dit de sa blessure pendant quelques jours. Puis il s’est décidé à parler. Quand on est arrivé, le corps avait déjà disparu.

Qui avait tué ? Mais quel était le seul criminel, fantastiquement habile, extraordinairement rusé, qui pouvait avoir inventé le bain d’acide sulfurique pour anéantir sa victime ?

Tout bas, très bas, comme on murmure les choses épouvantables, avec une hésitation instinctive, hésitation que l’on met à concevoir des hypothèses terrifiantes, Juve se disait :

— Il n’en existe qu’un. Et comme un tel forfait exige une préparation longue, je ne peux pas hésiter à conclure que ce M. Borel, le mystérieux M. Borel et Mme Borel, la femme qui vivait ici, pauvrement, croyait-on, en voyant le rez-de-chaussée, confortablement peut-on affirmer en visitant le premier étage, n’étaient en réalité que Fantômas et lady Beltham.

« Parbleu, parbleu, se déclarait Juve, descendant précipitamment vers le jardin, tout s’explique, et je puis hardiment conclure que si Fantômas est le coupable, Mme Borel n’est vraisemblablement pas la victime. Ce n’est pas Fantômas qui aurait tué lady Beltham. C’est une femme, une autre femme qui est morte ici, mais qui ? Je vais le savoir.

Parvenu au jardin de la Maison Borel, le policier gagna l’endroit où débouchait la tuyauterie de vidange de la baignoire.

— À coup sûr, se disait Juve, le corps a pu être entièrement dissous par le terrible acide, mais certainement aussi, puisque la victime a été précipitée dans la baignoire tout habillée, je vais retrouver, à l’endroit où les eaux s’épandent dans le sol, des vestiges qui n’auront pas été entièrement atteints par l’acide, qui n’auront pas été complètement dissous et qui seront, par exemple, des boutons de nacre, des pièces de monnaie, une épingle à cheveux.