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Elle était arrivée à Dax, où elle était restée plusieurs heures. Puis, s’apercevant que sa présence dans la modeste auberge où elle était descendue commençait à être suspecte, elle était partie. Hélène était particulièrement étonnée de voir, en lisant les journaux, que ceux-ci n’annonçaient pas la découverte du cadavre de Fleur-de-Rogue. Ceux qui l’avaient tuée s’étaient-ils donc avisés de faire disparaître les traces de leur crime ?

Une chose, toutefois, avait encore surpris, mais rassuré Hélène, elle l’avait lue le matin même. Il s’agissait de l’enfant dont elle avait assumé la protection huit jours auparavant : du petit Jacques, le fils de son amie Blanche et de Didier Granjeard. Or, Hélène avait appris par le journal qu’une femme inconnue « d’allures fort distinguées », était venue, quarante-huit heures auparavant, rendre cet enfant à celle qui, par les liens du sang, sinon par les voies légales, se trouvait être sa grand-mère, c’est-à-dire à Mme Granjeard, la veuve d’un marchand de fer de Saint-Denis. Hélène avait poussé un soupir de satisfaction.

Mais quelle était cette femme qui avait rendu le bébé ? Était-ce celle dont Hélène avait poursuivi, la nuit du crime, l’ombre mystérieuse ? La jeune fille s’était décidée : elle allait retourner à la maison perdue au milieu des Landes, voir si ses mystérieux habitants ne l’avaient pas réintégrée. Elle partirait ensuite pour Bayonne.

Un jour encore elle avait essayé de retrouver la masure, mais n’y avait pas réussi. Alors, elle avait pris un train, puis un autre, espérant arriver avant la nuit à Bayonne, d’où elle repartirait pour Paris. Malheureusement, une correspondance manquée l’obligea à renoncer à son premier projet et à passer la nuit dans un tout petit village. Hélène n’y tenait pas, et plutôt que de descendre dans une auberge suspecte, elle s’était enfoncée dans les bois, convaincue qu’elle y trouverait aisément un asile pour la nuit. Et c’est au cours de ses recherches qu’elle avait découvert cette petite tonnelle accotée à un pavillon de chasse, abandonnée complètement, croyait-elle.

Hélène était très fatiguée par ses pérégrinations sans nombre, et si elle était sortie de cette tonnelle alors qu’il était à peine dix heures et demie du soir, c’est parce que le courage l’abandonnait, que le froid commençait à la saisir.

La jeune fille avait remarqué que, non loin du pavillon auprès duquel elle se trouvait, s’élevait une sorte de château aux fenêtres duquel on voyait des lumières. La jeune fille se rendait compte que, si elle venait à cette heure tardive demander l’hospitalité aux habitants de cette propriété, elle ne manquerait pas de paraître suspecte à leurs yeux. Mais si grande était sa lassitude qu’elle était décidée à faire cette démarche, quitte à se contenter de la plus infime place qui lui serait concédée.

Soudain, Hélène poussa un cri et bondit de côté.

Le même phénomène dont une demi-heure auparavant elle avait été témoin, se reproduisait deux, trois, quatre fois de suite.

Hélène, qui commençait à s’alarmer sérieusement, vit rouler autour d’elle des sortes de boules noires, qui en passant au ras des sables, avant de s’enfoncer dans la colline, soulevaient des nuages de poussière.

À un moment donné, le sentier où se trouvait Hélène longea une route assez large qui s’ouvrait dans la forêt.

Surgissant de l’ombre, deux hommes dont elle n’avait point remarqué la présence, s’étaient élancés sur elle, et, rapidement, mais sans brusquerie, avaient jeté sur ses épaules un large et lourd manteau, dans lequel ils roulèrent la malheureuse.

Puis, bien que la tenant vigoureusement comme pour prévenir toute velléité de fuite, ils attendirent quelques instants. Hélène n’hésita pas, elle cria, elle hurla de toutes ses forces :

— Au secours !

Les cris perçants d’Hélène retentissaient dans le silence de la nuit : la jeune fille se débattait aussi, elle était tombée à terre et cherchait à se débarrasser du grand manteau dans lequel on l’avait enveloppée, mais c’était en vain. Ses agresseurs ne paraissaient pas vouloir l’emporter, l’entraîner au fond de la forêt, ils se contentèrent de l’empêcher de se débarrasser du manteau qui la gênait.

— Ils hésitent, pensa Hélène, avec un peu d’énergie, Je vais peut-être pouvoir me débarrasser d’eux.

Et la courageuse jeune fille, déployant des efforts surhumains, hurlait, se débattait. Il était impossible que du château, tout voisin, on n’entendît pas ses cris.

Les hommes, cependant, ricanaient sans mot dire.

Puis, tout d’un coup, l’un d’eux, se penchant à l’oreille d’Hélène, lui murmura ces étranges paroles :

— Maintenant, señora, cela suffit, nous pouvons nous en aller.

Cet homme avait un accent espagnol très prononcé, et, comme il s’était approché tout près d’Hélène pour lui parler bas, celle-ci put considérer son visage à la lueur d’un faible rayon de lune qui perçait à travers les nuages : l’homme était brun, avait des yeux noirs très vifs, paraissait élégamment vêtu, son allure très correcte, contrastait étrangement avec son attitude, avec les gestes de bandit que lui et son complice venaient d’avoir à l’égard d’Hélène.

La jeune fille reprit un peu d’espoir. Peut-être n’avait-elle pas affaire à de sinistres brutes ? Elle supplia :

— Lâchez-moi, laissez-moi m’en aller.

Puis elle reprit :

— Au secours, au secours !

L’homme se contentait de sourire, et, sous sa moustache noire, étincelait une ligne nacrée de dents régulièrement plantées et d’une blancheur éblouissante.

Il hocha la tête évasivement, puis, sur un signe fait à son compagnon, les deux hommes enlevèrent Hélène, l’un par les épaules, l’autre par les jambes, emportèrent la jeune fille vers la route.

Hélène se débattait en vain. Les hommes sourirent cependant que celui qui déjà lui avait parlé répétait :

— N’ayez aucune crainte, señora, vous avez assez crié, ils vous auront entendue.

Ses agresseurs la portèrent pendant une vingtaine de mètres, puis s’arrêtèrent devant une voiture automobile, une superbe limousine qui stationnait sur le bord de la route. Ils firent monter la fille de Fantômas.

Un homme s’installa avec elle dans la voiture, l’autre mit le moteur en marche, prit le volant, le véhicule démarra. À la lueur de ses phares il troua d’un éclat blafard l’obscurité épaisse de la nuit.

Terrifiée, paralysée par l’inquiétude, Hélène demeurait immobile, enfoncée dans un recoin de cette voiture secouée sur les ornières de routes défoncées.

Son voisin n’était pas l’homme dont elle avait entendu les encouragements et les paroles quelques instants auparavant. Hélène s’enhardit à lui parler, elle l’interrogea :

— Que me voulez-vous ? Pourquoi m’enlève-t-on ? Sur l’ordre de qui ?

L’homme sourit, ne répondit pas. Au fur et à mesure qu’elle parlait, Hélène sentait monter en elle la colère. Elle s’agita, serra les poings, le menaça :

— Oh, fit-elle, vous me direz pourquoi on me traite ainsi ?

Mais elle avait beau se plaindre, son interlocuteur demeurait muet. Brusquement la colère d’Hélène tomba.

— Parlez-vous français ? demanda-t-elle.

Son voisin, alors, avec un accent espagnol formidable, lui répondit sur le ton de quelqu’un qui s’excuse :

— Tout petit peu, señora, pas beaucoup comprendre.

Désormais résolue au mutisme, Hélène étudia en détail sa prison roulante. C’était une automobile de très grand luxe, toute tendue d’une étoffe chère, ornée de ces mille petits détails qui témoignent du souci qu’apportent les propriétaire à rendre leur voiture aussi confortable que possible. C’était assurément un engin muni d’un très puissant moteur. D’ailleurs, depuis quelques instants déjà, on avait quitté la mauvaise route du cœur de la forêt, et désormais, l’automobile filait à toute vitesse sur une grande et belle ligne droite, cependant qu’à l’horizon s’apercevaient les lumières d’une grande ville.