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La voiture ralentit à l’entrée des faubourgs, puis reprit sa marche rapide. Le pilote la faisait évoluer avec audace et dextérité à travers des rues tortueuses, étroites, et soudain la vitesse s’accéléra à nouveau, l’automobile se replongeait dans la nuit de la campagne.

Hélène ignorait la localité que l’on venait de traverser, mais elle l’apprit soudain : son voisin, plein de prévenances pour elle, s’était incliné de son côté, et avait murmuré :

— Bayonne.

— Bayonne, se répéta Hélène. Drôles d’agresseurs que ces gens-là, ils vous enlèvent une femme pendant la nuit et n’ont rien de plus pressé que de lui expliquer les endroits où ils passent. Comment cela va-t-il finir ?

L’Espagnol revenait à la charge, et s’enhardissant à prononcer quelques mots de français, après avoir désigné de la main de nouvelles lumières scintillant au loin, il articula :

— Biarritz. Cinq minioutes.

L’Espagnol avait à peu près pronostiqué la durée du trajet. Dix minutes après, en effet, l’automobile pénétrait dans la ville élégante. La voiture, subitement, s’arrêta. Hélène, instinctivement, avait bondi hors du véhicule.

Elle n’était plus inquiète, mais furieuse, et se jurait bien que d’ici quelques secondes, elle saurait profiter de la confiance trop grande évidemment que ses ravisseurs lui accordaient.

Hélène avait à peine mis le pied à terre, elle s’apprêtait à courir, à fuir, jusqu’au premier passant, pour lui demander protection, voire même simplement, jusqu’au premier carrefour. Mais ses intentions furent sans doute devinées, car ses deux compagnons de route, plus rapides encore qu’elle, la prirent chacun par un bras, lui firent faire volte-face et la poussèrent pour ainsi dire, dans une maison dont la porte basse venait de s’entrouvrir. Entraînée par ses ravisseurs, Hélène suivit un couloir obscur, elle entra dans une sorte de cabine dont on ferma la porte, puis, cette cabine trembla, s’éleva doucement. Hélène se trouvait dans un ascenseur, toujours en compagnie des deux Espagnols.

Au deuxième, l’ascenseur s’arrêta. Les Espagnols de plus en plus respectueux, mais ne quittant pas leur prisonnière d’une semelle, lui firent traverser une galerie déserte et l’introduisirent dans un appartement qui soudain s’illumina.

Les anges gardiens disparurent aussitôt, non sans fermer derrière eux la porte à double tour.

Celle-ci regarda autour d’elle. C’était un vaste salon, assez élégamment meublé, mais dont l’aménagement aux allures banales et officielles révélait aussitôt qu’on se trouvait non point dans une maison particulière, mais bien plutôt dans quelque local destiné à des gens de passage, à des voyageurs sans doute. Une porte s’ouvrait dans une cloison située à l’extrémité du salon, et faisait communiquer cette pièce avec une autre, également illuminée.

De plus en plus stupéfaite, Hélène y pénétra. C’était une chambre à coucher avec un grand lit de milieu, confortable, élégant, soigné.

— Comme je serais bien dans ce lit, se dit Hélène.

Mais soudain, son regard s’arrêta sur une pancarte qui pendait au mur. Cette pancarte était imprimée et l’entête portait : Impérial Hôtel de Biarritz.

Suivait une série d’instructions pour les voyageurs, en plusieurs langues.

— Ah çà, murmura la jeune fille interloquée, me voilà donc à l’Impérial Hôtel de Biarritz. C’est incompréhensible.

Fébrilement, Hélène appuya sur le bouton de sonnette, résolue à sonner jusqu’à la venue de quelqu’un. Un instant, elle craignit que ce mode de communication avec l’extérieur n’eût été interrompu. Pas du tout. Elle entendit, en effet, au lointain, résonner le timbre qu’elle faisait vibrer. Hélène prêta l’oreille, des pas légers retentirent dans le couloir, une clef tourna dans la serrure, le porte s’ouvrit, une femme de chambre apparut :

— Madame désire ? demanda-t-elle, d’un air calme et nullement étonné.

Si la domestique n’était pas surprise, c’était Hélène qui demeurait abasourdie, en présence du flegme de son interlocutrice.

Ah çà, était-elle donc attendue à l’hôtel ? Savait-on qu’elle allait y venir ? Oui, sans doute, et cet appartement avait dû être retenu depuis quelque temps déjà pour qu’elle vînt s’y installer.

Du coup, la jeune fille résolut de ne plus chercher à fuir et n’osait même pas interroger. Plus de doute, c’étaient des amis qui l’avaient amenée là. Il ne fallait manifester ni surprise, ni étonnement, ne pas essayer de fuir. Si on ne l’avait pas prévenue, c’est que cela n’avait pas été possible. Voilà tout.

— Je meurs de faim, dit-elle à la camériste, ne pourrait-on me servir quelque chose ?

La femme de chambre énumérait ce qu’on pouvait se procurer à cette heure tardive. Hélène commanda un repas frugal. Un quart d’heure plus tard, elle était servie. Malgré ses émotions, ses inquiétudes et ses angoisses, Hélène fit honneur au souper fort appétissant qu’on lui servait. Au fur et à mesure qu’elle se réconfortait, qu’un agréable vin blanc de Bordeaux rosissait ses joues pâles, elle se sentait envahie d’un bien-être d’autant plus délicieux qu’il survenait après de rudes fatigues.

4 – LA MARE AUX SANGSUES

À quinze cents mètres environ du village de Beylonque, là où les pignadas, durant des kilomètres et des kilomètres, commencent à dresser vers le ciel leurs espaces étrangement ouatés d’ombre et de silence, une masure attirait le regard. Les murs étaient, à leur base, constitués par des moellons. Un peu plus haut, des briques s’apercevaient, une charpente de bois couronnait l’édifice dont le toit était fait d’ardoises, de tuiles et, sur l’un de ses pans, de chaume tout bonnement.

Cette demeure extravagante, unique et ridicule, était le home de l’ineffable Bouzille. Cet homme de tous les emplois avait décidé un matin de s’établir une bonne fois propriétaire.

Comment Bouzille, cependant, au hasard de ses pérégrinations, en était-il venu, sa décision prise, à échouer à Beylonque ? Il eût été probablement fort difficile de le lui faire expliquer avec quelque précision. Il y avait là des motifs bizarres. Des histoires de poules chapardées le long des routes, de légumes volés dans les jardins de ses semblables, avaient mené Bouzille de gendarmerie en gendarmerie, pour le conduire finalement en ce pays perdu.

Bouzille cependant n’avait nullement renoncé aux vieilles habitudes qui lui étaient chères. Comme par le passé, il estimait que l’été était une saison exquise au cours de laquelle il était opportun d’être en liberté pour jouir du ciel bleu, des oiseaux, des champs où il fait bon dormir au soleil. L’hiver, en revanche, apparaissait au chemineau comme un ennemi rendant nécessaire un séjour volontaire en prison, séjour qu’il était toujours facile pour un individu de son espèce, connaissant à fond le tarif des légers délits, de proportionner exactement aux mois qu’il importait de passer aux frais du gouvernement.

Bouzille, fort de son idée, était arrivé à Beylonque un beau matin et s’était immédiatement mis en campagne pour se procurer un logis où il pût, toute la saison d’été, habiter tranquillement, en devant à tout le monde pour ne rien devoir à personne. Bouzille n’avait pas eu besoin de réfléchir bien longuement pour découvrir un procédé. Le maire de Beylonque était précisément propriétaire d’un petit terrain qui convenait à merveille à Bouzille. Le chemineau alla donc trouver le représentant de l’autorité et lui tint ce discours :