JOËL DICKER
La Disparition de Stephanie Mailer
Au lecteur
Chers lecteurs,
Au moment où vous allez vous plonger dans ce roman, je voudrais rendre hommage à mon éditeur, Bernard de Fallois, qui nous a quittés en janvier 2018.
C’était un homme hors du commun, doté d’un sens exceptionnel de l’édition. Je lui dois tout. Il a été la chance de ma vie. Il me manquera terriblement.
Lisons !
Pour Constance
À propos des évènements du 30 juillet 1994
Seuls les gens familiers avec la région des Hamptons, dans l’État de New York, ont eu vent de ce qui se passa le 30 juillet 1994 à Orphea, petite ville balnéaire huppée du bord de l’océan.
Ce soir-là, Orphea inaugurait son tout premier festival de théâtre, et la manifestation, de portée nationale, avait drainé un public important. Dès la fin de l’après-midi, les touristes et la population locale avaient commencé à se masser sur la rue principale pour assister aux nombreuses festivités organisées par la mairie. Les quartiers résidentiels s’étaient vidés de leurs habitants, au point de prendre des allures de ville fantôme : plus de promeneurs sur les trottoirs, plus de couples sous les porches, plus d’enfants en patins à roulettes dans la rue, personne dans les jardins. Tout le monde était dans la rue principale.
Vers 20 heures, dans le quartier totalement déserté de Penfield, la seule trace de vie était une voiture qui sillonnait lentement les rues abandonnées. Au volant, un homme scrutait les trottoirs, avec des lueurs de panique dans le regard. Il ne s’était jamais senti aussi seul au monde. Personne pour l’aider. Il ne savait plus quoi faire. Il cherchait désespérément sa femme : elle était partie courir et n’était jamais revenue.
Samuel et Meghan Padalin faisaient partie des rares habitants à avoir décidé de rester chez eux en ce premier soir de festival. Ils n’avaient pas réussi à obtenir de tickets pour la pièce d’ouverture, dont la billetterie avait été prise d’assaut, et ils n’avaient éprouvé aucun intérêt à aller se mêler aux festivités populaires de la rue principale et de la marina.
À la fin de la journée, Meghan était partie, comme tous les jours, aux alentours de 18 heures 30, pour faire son jogging. En dehors du dimanche, jour pendant lequel elle octroyait à son corps un peu de repos, elle effectuait la même boucle tous les soirs de la semaine. Elle partait de chez elle et remontait la rue Penfield jusqu’à Penfield Crescent, qui formait un demi-cercle autour d’un petit parc. Elle s’y arrêtait pour s’adonner à une série d’exercices sur le gazon — toujours les mêmes — puis retournait chez elle par le même chemin. Son tour prenait trois quarts d’heure exactement. Parfois cinquante minutes si elle avait prolongé ses exercices. Jamais plus.
À 19 heures 30, Samuel Padalin avait trouvé étrange que sa femme ne soit toujours pas rentrée.
À 19 heures 45, il avait commencé à s’inquiéter.
À 20 heures, il faisait les cent pas dans le salon.
À 20 heures 10, n’y tenant plus, il avait finalement pris sa voiture pour parcourir le quartier. Il lui sembla que la façon la plus logique de procéder était de remonter le fil de la course habituelle de Meghan. C’est donc ce qu’il fit.
Il s’engagea sur la rue Penfield, et remonta jusqu’à Penfield Crescent, où il bifurqua. Il était 20 heures 20. Pas âme qui vive. Il s’arrêta un instant pour observer le parc mais n’y vit personne. C’est en redémarrant qu’il aperçut une forme sur le trottoir. Il crut d’abord à un amas de vêtements. Avant de comprendre qu’il s’agissait d’un corps. Il se précipita hors de sa voiture, le cœur battant : c’était sa femme.
À la police, Samuel Padalin dira avoir d’abord cru à un malaise, à cause de la chaleur. Il avait craint une crise cardiaque. Mais en s’approchant de Meghan, il avait vu le sang et le trou à l’arrière de son crâne.
Il se mit à hurler, à appeler à l’aide, ne sachant pas s’il devait rester près de sa femme ou courir frapper aux portes des maisons pour que quelqu’un prévienne les secours. Sa vision était trouble, il avait l’impression que ses jambes ne le portaient plus. Ses cris finirent par alerter un habitant d’une rue parallèle, qui prévint les secours.
Quelques minutes plus tard, la police bouclait le quartier.
C’est l’un des premiers agents arrivés sur place qui, au moment d’établir le périmètre de sécurité, remarqua que la porte de la maison du maire de la ville, à proximité directe du corps de Meghan, était entrouverte. Il s’en approcha, intrigué. Il constata que la porte avait été défoncée. Il dégaina son arme, monta d’un bond les marches du perron et s’annonça. Il n’obtint aucune réponse. Il poussa la porte du bout du pied et vit un cadavre de femme, gisant dans le couloir. Il appela aussitôt des renforts, avant de progresser lentement dans la maison, son arme à la main. À sa droite, dans un petit salon, il découvrit avec horreur le corps d’un garçon. Puis, dans la cuisine, il trouva le maire, baignant dans son sang, assassiné également.
Toute la famille avait été massacrée.
PREMIÈRE PARTIE.
Dans les abysses
-7.
Disparition d’une journaliste.
Lundi 23 juin — Mardi 1er juillet 2014
JESSE ROSENBERG
Lundi 23 juin 2014
La première et dernière fois que je vis Stephanie Mailer fut lorsqu’elle s’incrusta à la petite réception organisée en l’honneur de mon départ de la police d’État de New York.
Ce jour-là, une foule de policiers de toutes les brigades s’était réunie sous le soleil de midi, face à l’estrade en bois qu’on dressait pour les grandes occasions sur le parking du centre régional de la police d’État. Je me tenais dessus, à côté de mon supérieur, le major McKenna, qui m’avait dirigé tout au long de ma carrière, et me rendait un hommage appuyé.
« Jesse Rosenberg est un jeune capitaine de police, mais il est visiblement très pressé de partir, dit le major, déclenchant les rires de l’assemblée. Je n’aurais jamais imaginé qu’il s’en aille avant moi. La vie est quand même mal faite : tout le monde voudrait que je parte, mais je suis toujours là, et tout le monde voudrait garder Jesse, mais Jesse s’en va. »
J’avais 45 ans et je quittais la police serein et heureux. Après vingt-trois années de service, j’avais décidé de prendre la pension à laquelle j’avais désormais droit afin de mener à bien un projet qui me tenait à cœur depuis très longtemps. Il me restait encore une semaine de travail jusqu’au 30 juin. Après cela, un nouveau chapitre de ma vie s’ouvrirait.
« Je me souviens de la première grosse affaire de Jesse, poursuivit le major. Un quadruple meurtre épouvantable, qu’il avait brillamment résolu, alors que personne dans la brigade ne l’en croyait capable. C’était encore un tout jeune policier. À partir de ce moment-là tout le monde a compris de quelle trempe était Jesse. Tous ceux qui l’ont côtoyé savent qu’il a été un enquêteur hors pair, je crois pouvoir dire qu’il a même été le meilleur d’entre nous. Nous l’avons baptisé capitaine 100 % pour avoir résolu toutes les enquêtes auxquelles il a participé, ce qui fait de lui un enquêteur unique. Policier admiré de ses collègues, expert consulté et instructeur de l’académie pendant de longues années. Laisse-moi te dire, Jesse : ça fait vingt ans que nous sommes tous jaloux de toi ! »