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— Tu n’as pas un petit copain ?

Elle fronça les sourcils d’un air malicieux et me répondit :

— Je pensais que c’était toi mon petit copain…

Elle approcha son visage du mien et effleura brièvement mes lèvres avec les siennes, puis elle m’embrassa comme je n’avais jamais été embrassé. Sa langue se mêla à la mienne avec un tel érotisme que je me sentis traversé d’une sensation et d’une émotion que je n’avais pas vécues jusqu’alors.

Ce fut le début de notre histoire. À partir de ce soir-là, et pendant les années qui allaient suivre, je n’allais plus quitter Natasha.

Elle allait être le centre de ma vie, le centre de mes pensées, le centre de mes attentions, le centre de mes préoccupations, le centre de mon amour total. Et elle allait en faire autant vis-à-vis de moi. J’allais aimer et être aimé comme peu ont été aimés. Au cinéma, dans le métro, au théâtre, à la bibliothèque, à la table de mes grands-parents, ma place à ses côtés était le paradis. Et les nuits devinrent notre royaume.

À côté de ses études, pour gagner un peu d’argent, Natasha avait trouvé un emploi de serveuse chez Katz, le restaurant où mes grands-parents aimaient aller. C’est là-bas qu’elle fit la connaissance d’une fille de son âge qui y travaillait aussi, et qui se prénommait Darla.

De mon côté, mon lycée terminé, grâce à mes très bons résultats scolaires, je fus reçu à l’université de New York. J’aimais les études, je m’étais longtemps imaginé devenir professeur, ou avocat. Mais sur les bancs de l’université, je compris enfin le sens d’une phrase si souvent prononcée par mes grands-parents : « Deviens quelqu’un d’important. » Que signifiait être important ? Pour moi, la seule image qui me venait alors à l’esprit était celle du voisin Ephram Jenson, le fier capitaine de police. Le réparateur. Le protecteur. Personne n’avait été traité avec plus de respect et de déférence par mes grands-parents. Je voulais devenir flic. Comme lui.

Après quatre ans d’études et un diplôme en poche, je fus reçu à l’académie de la police d’État, terminai major de ma promotion, fis mes preuves sur le terrain, fus rapidement promu inspecteur et intégré au centre régional de la police d’État où j’allais faire toute ma carrière. Je me souviens de mon premier jour là-bas, lorsque je me retrouvai dans le bureau du major McKenna, assis à côté d’un jeune homme un peu plus âgé que moi.

— Inspecteur Jesse Rosenberg, major de ta promotion, tu crois que tu m’impressionnes avec tes recommandations ? gueula McKenna.

— Non, major, répondis-je.

Il se tourna vers l’autre jeune homme.

— Et toi, Derek Scott, le plus jeune sergent de l’histoire de la police d’État, tu crois que ça m’épate ?

— Non, major.

McKenna nous scruta tous les deux.

— Vous savez ce qu’ils disent au quartier général ? Ils disent que vous êtes deux as. Alors on va vous mettre ensemble et on va voir si vous faites des étincelles.

Nous acquiesçâmes d’un même mouvement de tête.

— Bien, dit McKenna. On va trouver deux bureaux face à face et vous confier les enquêtes sur les mamies qui ont perdu leur chat. On verra déjà comment vous vous débrouillez avec ça.

Natasha et Darla, restées toutes les deux très proches depuis leur rencontre chez Katz, n’avaient pas réussi à faire décoller leur carrière. Après quelques expériences peu concluantes, elles venaient d’être engagées au Blue Lagoon, soi-disant comme commis de cuisine, mais le patron les avait finalement mises au service au motif qu’il manquait de personnel.

— Vous devriez démissionner, dis-je à Natasha un soir. Il n’a pas le droit de vous faire ça.

— Bah, me répondit-elle, c’est bien payé. Ça paie les factures et je peux même mettre de l’argent de côté. D’ailleurs à ce propos, Darla et moi on a eu une idée : on va ouvrir notre restaurant.

— C’est génial ! m’écriai-je. Vous allez avoir un succès fou ! Quel genre de restaurant ? Vous avez déjà trouvé un local ?

Natasha éclata de rire :

— Ne t’emballe pas, Jesse. On n’y est pas encore. On doit commencer par mettre de l’argent de côté. Et réfléchir au concept. Mais c’est une bonne idée, non ?

— C’est une idée fantastique.

— Ce serait mon rêve, sourit-elle. Jesse, promets-moi que nous aurons un restaurant un jour.

— Je te le promets.

— Promets bien. Dis-moi qu’un jour nous aurons un restaurant dans un endroit tranquille. Plus de flic, plus de New York, plus rien que le calme et la vie.

— Je te le promets.

2.

Désolation.

Dimanche 27 juillet — Mercredi 30 juillet 2014

JESSE ROSENBERG

Dimanche 27 juillet 2014

Le lendemain de la première

7 heures du matin. Le jour se levait sur Orphea. Personne n’avait dormi de la nuit.

Le centre-ville n’était plus que désolation. La rue principale restait totalement bouclée, encore encombrée de véhicules d’urgence, parcourue de policiers et jonchée de monceaux d’objets en tous genres qu’avait abandonnés le public dans le gigantesque mouvement de panique qui avait suivi les coups de feu tirés dans le Grand Théâtre.

Il y avait d’abord eu le temps de l’action. Jusqu’au cœur de la nuit, les équipes d’intervention de la police avaient longuement bouclé la zone à la recherche du tireur. En vain. Il avait également fallu sécuriser la ville afin d’éviter que des magasins soient pillés dans la cohue. Des tentes de premiers secours avaient été déployées en dehors du périmètre de sécurité pour traiter les blessés légers, pour la plupart victimes de bousculades, et les gens en état de choc. Quant à Dakota Eden, elle avait été héliportée dans un état désespéré vers un hôpital de Manhattan.

Le jour nouveau qui pointait annonçait le retour au calme. Il fallait comprendre ce qui s’était passé au Grand Théâtre. Qui était le tireur ? Et comment avait-il pu y introduire une arme malgré toutes les mesures de sécurité qui avaient été prises ?

Au commissariat d’Orphea, où l’agitation et l’effervescence n’étaient pas retombées, Anna, Derek et moi nous apprêtions à interroger toute la troupe des acteurs, qui avaient été les témoins les plus directs des évènements. Pris dans le mouvement de panique, ils s’étaient tous dispersés à travers la ville : les retrouver et les récupérer n’avait pas été une mince affaire. Ils étaient à présent installés dans une salle de réunion, en train de dormir sur le sol, ou vautrés sur la table centrale, en attendant d’être entendus tour à tour. Il ne manquait que Jerry Eden, parti avec Dakota dans l’hélicoptère, et Alice Filmore, qui était introuvable pour le moment.

Le premier à être interrogé fut Kirk Harvey, et notre discussion allait prendre une tournure que nous étions loin d’envisager. Kirk n’avait plus personne pour le protéger et nous commençâmes par le traiter sans ménagement.

— Que savez-vous, nom d’un chien ! hurlait Derek en secouant Harvey comme un prunier. Je veux un nom immédiatement, sinon je vous casse les dents. Je veux un nom ! Et tout de suite !