Выбрать главу

— Et vous les avez tous interrogés ? demanda encore le major.

— Tous, à l’exception d’Alice Filmore.

— Et où est-elle, celle-là ? s’agaça le major.

— Elle est tout simplement introuvable, répondit Derek. Son téléphone est coupé. Steven Bergdorf dit qu’ils ont quitté le théâtre ensemble et qu’elle semblait totalement paniquée. Apparemment, elle parlait de rentrer à New York. Mais elle a été mise hors de cause par Jerry Eden. Ils étaient ensemble avec Harvey au moment des tirs. Voulez-vous qu’on contacte la NYPD quand même ?

— Non, dit le major, ce n’est pas nécessaire puisqu’elle est hors de cause. Vous avez déjà assez à faire avec ceux qui sont en cause justement.

— Mais que fait-on du reste de la troupe ? demandai-je. Ça fait douze heures qu’on les retient ici.

— Si vous n’avez pas d’éléments contre eux, laissez les partir. On n’a pas d’autre choix. Mais dites-leur de ne pas quitter l’État de New York.

— Avez-vous des nouvelles de Dakota, major ? s’enquit alors Anna.

— L’opération est terminée. Les chirurgiens ont extrait les deux balles de son corps et ont essayé de réparer les dégâts sur les organes. Mais elle a fait une grosse hémorragie et a dû être placée en coma artificiel. Les médecins craignent qu’elle ne passe pas la nuit.

— Pouvez-vous demander que les balles soient analysées, major ? demandai-je.

— Je le ferai si vous voulez. Pourquoi ?

— Je me demande si ça peut provenir d’une arme de flic ?

Il y eut un long silence. Puis le major se leva de sa chaise et mit fin à la réunion.

— Allez vous reposer, dit-il. Vous avez des têtes de morts-vivants.

Anna, en arrivant chez elle, eut la mauvaise surprise de découvrir Mark, son ex-mari, assis sous son porche.

— Mark ? Mais qu’est-ce que tu fous là ?

— On est tous morts d’inquiétude, Anna. À la télévision, ils ne parlent que de la fusillade du Grand Théâtre. Tu n’as répondu ni à nos appels, ni à nos messages.

— Il ne manquait plus que toi, Mark. Je vais bien, merci. Tu peux rentrer chez toi.

— Quand j’ai appris ce qui s’était passé ici, ça m’a fait penser à la bijouterie Sabar.

— Oh, je t’en prie, ne commence pas !

— Ta mère m’a dit la même chose !

— Eh bien, tu devrais te marier avec elle, vous avez l’air d’être drôlement connectés tous les deux.

Mark resta assis, pour signifier qu’il n’avait pas l’intention de partir. Anna, épuisée, s’effondra à côté de lui.

— Je croyais que tu étais venue à Orphea pour le bonheur d’être dans une ville où il ne se passait rien, dit-il.

— C’est vrai, répondit Anna.

Il eut un air amer.

— C’est à croire qu’à l’époque tu avais rejoint cette unité d’intervention à New York juste pour me faire chier.

— Arrête de toujours jouer la victime, Mark. Je te rappelle que j’étais déjà flic quand tu m’as connue.

— C’est vrai, admit Mark. Et je dois même dire que ça faisait partie de ce qui me plaisait chez toi. Mais ne t’est-il jamais arrivé de te mettre à ma place l’espace d’un instant ? Moi qui rencontre un jour une femme extraordinaire : brillante, belle comme le jour, drôle. Je finis même par connaître le bonheur de l’épouser. Mais voilà que cette femme sublime enfile tous les matins un gilet pare-balles pour aller travailler. Et quand elle passe la porte de l’appartement, son pistolet semi-automatique à la ceinture, je me demande si je la reverrai en vie. Et à chaque sirène, chaque alerte, chaque fois que la télévision annonce une fusillade ou une situation d’urgence, je me demande si elle est prise au milieu de tout ça. Et quand on sonne à la porte : est-ce un voisin venu emprunter du sel ? Est-ce elle qui a oublié ses clés ? Ou est-ce un officier en uniforme venu m’annoncer que ma femme est morte dans l’exercice de ses fonctions ? Et l’angoisse qui monte quand elle tarde à rentrer ! Et l’inquiétude qui me ronge quand elle ne me rappelle pas alors que je lui ai déjà laissé plusieurs messages ! Et les horaires irréguliers et décalés, qui la font se coucher quand je me lève et me font vivre à l’envers ! Et les appels nocturnes et les départs au milieu de la nuit ! Et les heures supplémentaires ! Et les week-ends annulés ! Voilà quelle a été ma vie avec toi, Anna.

— Ça suffit, Mark !

Mais il n’avait pas l’intention d’en rester là.

— Je te le demande, Anna. Est-ce qu’au moment de me quitter, tu as pris quelques instants pour te mettre à ma place ? Et essayer de comprendre ce que j’ai pu vivre ? Quand nous devions nous retrouver au restaurant pour dîner après le travail et que, parce que Madame avait une urgence de dernière minute, j’ai attendu pendant des heures, avant de rentrer me coucher sans avoir mangé. Et le nombre de fois où tu m’as dit « J’arrive » et où tu n’es finalement jamais venue parce qu’une affaire s’était prolongée. Mais au nom du ciel, sur les milliers de flics qui composent cette putain de NYPD, ne pouvais-tu jamais, exceptionnellement, confier l’affaire à l’un de tes collègues et me rejoindre pour dîner ? Parce que moi, pendant que madame Anna sauvait tout le monde, sur les huit millions d’habitants de New York, je me sentais comme le huit millionième, celui dont on s’occupe en dernier ! La police m’avait pris ma femme !

— Non, Mark, objecta Anna, c’est toi qui m’as perdue. C’est toi qui n’as pas su me garder !

— Donne-moi une autre chance, je t’en supplie.

Anna hésita longuement avant de lui répondre :

— J’ai rencontré quelqu’un. Quelqu’un de bien. Je crois que je suis amoureuse. Je suis désolée.

Mark la dévisagea longuement, dans un silence total et glaçant. Il semblait décomposé. Il finit par dire, amer :

— Tu as peut-être raison, Anna. Mais n’oublie pas qu’après ce qui s’est passé à la bijouterie Sabar, tu n’étais plus la même. Et on aurait pu éviter ça ! Ce soir-là, je ne voulais pas que tu y ailles ! Je t’ai demandé de ne pas répondre à ton putain de téléphone, tu te souviens ?

— Je m’en souviens.

— Si tu n’étais pas allée à cette bijouterie, si, pour une seule fois, tu m’avais écouté, on serait encore ensemble aujourd’hui.

ANNA KANNER

C’était le soir du 21 septembre 2012.

Le soir où tout bascula.

Le soir du braquage de la bijouterie Sabar.

Je remontai Manhattan à bord de ma voiture banalisée, roulant à tombeau ouvert, jusqu’à la 57e Rue où se trouvait la bijouterie. Le quartier était totalement bouclé.

Mon chef me fit venir dans le camion servant de poste de commandement.

— Il y a un seul braqueur, m’expliqua-t-il, et il est déchaîné.

— Un seul ? m’étonnai-je. C’est rare.

— Oui. Et il semble nerveux. Apparemment, il est allé cueillir le bijoutier et ses deux filles de 10 et 12 ans à leur domicile. Ils habitent un appartement de l’immeuble. Il les a traînés à la bijouterie, espérant sans doute qu’on ne les trouverait que le lendemain. Mais une patrouille de policiers à pied qui passait par là et qui s’est étonnée de voir de la lumière à l’intérieur a donné l’alerte. Ils ont eu le nez creux.