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— Monsieur et madame Eden, vous devriez aller vous reposer un peu. Nous allons la maintenir en coma artificiel pour le moment.

— Mais comment va-t-elle ? demanda Cynthia, effondrée.

— C’est impossible à dire pour le moment. Elle a supporté l’opération, c’est un signe encourageant. Mais nous ignorons encore si elle gardera des séquelles physiques ou neurologiques. Les balles ont causé des lésions très importantes. Un poumon a été perforé, la rate a été touchée.

— Docteur, s’inquiéta Jerry, est-ce que notre fille va se réveiller ?

— Je n’en sais rien. Je suis vraiment désolé. Il y a des chances qu’elle ne survive pas.

* * *

Anna, Derek et moi remontions en voiture la rue principale, toujours fermée au public. Tout était désert, malgré le soleil éclatant. Personne sur les trottoirs, personne sur la marina. Il flottait une étrange impression de ville fantôme.

Devant le Grand Théâtre, quelques policiers montaient la garde, tandis que des employés municipaux ramassaient les derniers déchets, dont des souvenirs des stands des marchands ambulants, ultimes témoignages de la cohue qui avait eu lieu ici.

Anna ramassa un t-shirt portant l’inscription J’étais à Orphea le 26 juillet 2014.

— J’aurais préféré ne pas y être, dit-elle.

— Moi aussi, soupira Derek.

Nous pénétrâmes à l’intérieur du bâtiment et gagnâmes la salle, déserte et silencieuse. Sur la scène, une immense tache de sang séché, des compresses médicales et des emballages de matériel stérile abandonnés par les secours. Un seul mot me venait en tête : désolation.

D’après le rapport envoyé par le médecin qui avait opéré Dakota, les balles l’avaient atteinte du haut vers le bas, à un angle de 60 degrés. L’information allait nous permettre de déterminer la position du tireur dans la salle. Nous procédâmes à une petite reconstitution des faits.

— Donc Dakota est au milieu de la scène, rappela Derek. Kirk est à sa gauche, avec Jerry et Alice.

Je me plaçai au milieu de la scène, comme si j’étais Dakota. Anna dit alors :

— Je ne vois pas comment depuis les sièges, ou même depuis le fond de la salle qui est la partie la plus élevée, les balles peuvent entrer à un angle de 60 degrés du haut vers le bas.

Elle se promena au milieu des rangées, songeuse. Je levai alors les yeux et je vis au-dessus de moi une passerelle technique, pour accéder à la rampe de projecteurs.

— Le tireur était là-haut ! m’écriai-je.

Derek et Anna cherchèrent l’accès à la passerelle, et trouvèrent un petit escalier qui partait du fond des coulisses, à proximité des loges. La passerelle serpentait ensuite tout autour de la scène, au fil des éclairages. Une fois au-dessus de moi, Derek me braqua avec ses doigts. L’angle de tir correspondait parfaitement. Et c’était une distance relativement proche : pas besoin d’être un tireur d’élite pour faire un carton.

— La salle était plongée dans l’obscurité et Dakota avait les projecteurs en plein visage. Elle ne voyait rien, le tireur voyait tout. Il n’y avait aucun bénévole, et pas de technicien à part celui de la régie lumière : il a donc eu tout le loisir de monter là-haut sans être vu, de tirer sur Dakota au moment propice et de s’enfuir ensuite par une issue de secours.

— Pour accéder à cette passerelle, il faut donc passer par les coulisses, releva Anna. Et seules pouvaient accéder aux coulisses les personnes accréditées. L’accès était contrôlé.

— Donc c’est bien un membre de la troupe, dit Derek. Ce qui signifie que nous avons cinq suspects : Steven Bergdorf, Meta Ostrovski, Ron Gulliver, Samuel Padalin et Charlotte Brown.

— Charlotte était auprès de Dakota après les tirs, fis-je remarquer.

— Ça ne l’exclut pas de la liste des suspects, considéra Derek. Elle tire depuis la passerelle, et redescend pour porter secours à Dakota, quel bon scénario !

Au même instant, je reçus un appel sur mon téléphone portable.

— Merde, soupirai-je, qu’est-ce qu’il me veut encore ?

Je décrochai :

— Bonjour, major. Nous sommes au Grand Théâtre. Nous avons découvert l’endroit où s’est placé le tireur. Une passerelle dont l’accès ne peut se faire que par les coulisses, ce qui signifie que…

— Jesse, m’interrompit le major, c’est justement pour cela que je t’appelle. J’ai reçu l’analyse balistique. L’arme employée contre Dakota Eden était un pistolet Beretta.

— Un Beretta ? Mais c’est justement un Beretta qui a été utilisé pour tuer Meghan Padalin et les Gordon ! m’exclamai-je.

— J’y ai pensé aussi, me dit le major, et j’ai donc demandé une comparaison. Accroche-toi bien, Jesse : c’est la même arme qui a été utilisée en 1994 et avant-hier soir.

Derek, me voyant blême, me demanda ce qui se passait. Je lui dis :

— Il est là, il est parmi nous. C’est l’assassin des Gordon et de Meghan qui a tiré sur Dakota. Le meurtrier est en liberté depuis vingt ans.

Derek devint livide à son tour.

— C’est à croire que tout est maudit, murmura-t-il.

DEREK SCOTT

12 novembre 1994. Un mois après notre terrifiant accident de voiture, je recevais la médaille du courage. Dans le gymnase du centre régional de la police, devant un parterre de policiers, d’officiels, de journalistes et d’invités, j’étais décoré par le chef de la police d’État en personne, qui avait fait le déplacement pour l’occasion.

Debout sur l’estrade, un bras en écharpe, je gardais la tête basse. Je ne voulais ni de cette médaille, ni de cette cérémonie, mais le major McKenna m’avait assuré qu’un refus de ma part serait terriblement mal perçu par la hiérarchie.

Jesse était au fond de la salle. En retrait. Il ne voulait pas rejoindre la place qui lui était réservée au premier rang. Il avait la mine défaite. Je n’arrivais même pas à le regarder.

Après un long discours, le chef de la police s’approcha de moi et me passa solennellement une médaille autour du cou en déclarant : « Sergent Derek Scott, pour votre courage dans l’exercice de votre mission, et pour avoir sauvé une vie au péril de la vôtre, je vous remets cette décoration. Vous êtes un exemple pour la police. »

La médaille remise, le chef de la police m’adressa un salut militaire appuyé, avant que la fanfare n’entame une marche triomphale.

Je restai impassible, le regard fixe. Soudain, je vis que Jesse pleurait et je ne pus moi non plus retenir mes larmes. Je descendis de l’estrade et me précipitai vers une porte dérobée donnant sur les vestiaires. J’arrachai la médaille de mon cou et la jetai au sol dans un geste rageur. Puis je m’écroulai sur un banc et je fondis en sanglots.

JESSE ROSENBERG

Mardi 29 juillet 2014

3 jours après la première

C’était le dernier grand tournant de l’affaire.

Voilà que l’arme du crime de 1994, qui n’avait pas été retrouvée à l’époque, resurgissait. Et cette même arme qui avait été utilisée pour assassiner la famille Gordon et Meghan Padalin était celle qui avait été utilisée pour faire taire Dakota. Ceci signifiait que Stephanie avait raison depuis le début : Ted Tennenbaum n’avait assassiné ni la famille Gordon ni Meghan Padalin.