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Qui avait une bonne raison de tuer Meghan Padalin ? inscrivit Derek sur le tableau magnétique installé dans la salle des archives de l’Orphea Chronicle, qui était devenue le seul endroit où nous nous sentions suffisamment au calme pour poursuivre notre traque, et où Anna nous avait rejoints. Dans la pièce avec nous, Kirk Harvey — ses déductions de 1994 laissaient penser qu’il était un flic au flair redoutable —, ainsi que Michael Bird, qui ne comptait pas ses heures pour nous aider dans nos recherches et qui était de ce fait un appui précieux.

Nous reprîmes tous ensemble les éléments de notre enquête :

— Donc Ted Tennenbaum n’est pas le meurtrier, dit Anna, mais je croyais que vous aviez la preuve qu’il s’était procuré l’arme du crime en 1994 ?

— L’arme venait d’un stock volé à l’armée et a été revendue sous le manteau par un militaire véreux dans un bar de Ridgesport, expliqua Derek. Théoriquement, on pourrait imaginer que dans le même laps de temps, Ted Tennenbaum et le meurtrier se soient tous les deux procuré une arme au même endroit. C’était certainement une filière connue à l’époque pour quiconque cherchait à se procurer un pistolet.

— Ça ferait vraiment une sacrée coïncidence, dit Anna. D’abord la camionnette de Tennenbaum sur les lieux du meurtre, mais il n’est pas au volant. Puis l’arme du crime qui aurait été achetée à l’endroit où Tennenbaum aurait acquis un Beretta. Il n’y a pas quelque chose de louche pour vous ?

— Pardonnez ma question, intervint Michael, mais pourquoi est-ce que Ted Tennenbaum aurait acheté une arme illégalement s’il n’avait pas l’intention de s’en servir ?

— Tennenbaum se faisait racketter par un caïd de la région, Jeremiah Fold, qui avait mis le feu à son restaurant. Il aurait pu vouloir une arme pour se protéger.

— Jeremiah Fold dont le nom était dans le texte de ma pièce de théâtre retrouvée chez le maire Gordon ? demanda Harvey.

— Exactement, lui répondis-je. Et dont nous pensons tous qu’il a peut-être été volontairement percuté.

— Concentrons-nous sur Meghan, suggéra Derek en tapant de la main sur la phrase qu’il avait inscrite au tableau : Qui avait une bonne raison de tuer Meghan Padalin ?

— Justement, dis-je, pourrait-on imaginer que Meghan ait percuté Jeremiah Fold ? Et que quelqu’un lié à Jeremiah — peut-être Costico — ait voulu se venger ?

— Mais nous avons établi qu’il n’y avait pas de lien entre Meghan Padalin et Jeremiah Fold, rappela Derek. Et puis ça ne colle pas du tout avec le profil de Meghan d’aller écraser un caïd à moto.

— À ce propos, demandai-je, où en sont les analyses des pièces de voiture retrouvées par Grace, l’ancien agent spécial de l’ATF ?

— Encore en cours, regretta Derek. J’espère avoir du nouveau demain.

Anna, qui s’était saisie d’éléments du dossier, dit alors, en reprenant un procès-verbal d’audition :

— Je crois avoir trouvé quelque chose. Lorsque nous avons interrogé le maire Brown, la semaine dernière, il a indiqué avoir reçu en 1994 un appel téléphonique anonyme. « Au début de l’année 1994, j’ai découvert que Gordon était corrompu. — Comment ? — J’ai reçu un appel anonyme. C’était vers la fin février. Une voix de femme. »

— Une voix de femme, répéta Derek, est-ce que c’était Meghan Padalin ?

— Et pourquoi pas ? dis-je. C’est une piste qui pourrait tenir la route.

— Le maire Brown aurait tué Meghan et les Gordon ? demanda Michael.

— Non, expliquai-je, en 1994, au moment du quadruple meurtre, Alan Brown était en train de serrer des mains dans le foyer du Grand Théâtre. Il est hors de cause.

— Mais c’est cet appel qui a décidé le maire Gordon à s’en aller d’Orphea, reprit Anna. Il s’est mis à transférer son argent dans le Montana, puis s’est rendu à Bozeman pour y trouver une maison.

— Le maire Gordon aurait donc eu un très bon mobile pour tuer Meghan Padalin, et son profil correspondrait à ce dont nous parlait l’expert tout à l’heure : un homme qui n’aurait pas eu de velléités meurtrières mais qui, se sentant acculé ou pour protéger son honneur, aurait tué malgré lui. On imagine assez Gordon coller à cette description.

— Sauf que tu oublies que Gordon fait lui aussi partie des victimes, rappelai-je à Derek. C’est bien là que quelque chose cloche.

Kirk prit la parole à son tour :

— Je me souviens que ce qui m’avait frappé à l’époque, c’était la connaissance que le meurtrier avait des habitudes de Meghan Padalin. Il savait qu’elle faisait son jogging à la même heure, qu’elle s’arrêtait dans le petit parc de Penfield Crescent. Vous me direz qu’il l’avait peut-être longuement observée. Mais il y a un détail que le meurtrier ne pouvait pas connaître sur la seule base de ses observations : le fait que Meghan ne se mêle pas aux célébrations de la première du festival de théâtre. Quelqu’un qui savait que le quartier serait désert et que Meghan se retrouverait seule dans le parc. Sans témoin. C’était une opportunité unique.

— Ce serait donc quelqu’un de son entourage ? demanda Michael.

De la même façon que nous nous étions d’abord demandé qui pouvait savoir que le maire Gordon n’assisterait pas à la première du festival, il fallait se demander qui pouvait savoir que Meghan se trouverait dans le parc ce jour-là.

Nous nous reportâmes à la liste des suspects inscrite au feutre sur le tableau magnétique :

Meta Ostrovski,

Ron Gulliver,

Steven Bergdorf,

Charlotte Brown,

Samuel Padalin.

— Procédons par élimination, suggéra Derek. En partant du principe qu’il s’agit d’un homme, cela exclut pour le moment Charlotte Brown. De surcroît, elle ne vivait pas à Orphea à l’époque, n’avait pas de lien avec Meghan Padalin, et encore moins l’occasion de l’espionner pour connaître ses habitudes.

— En se basant sur les propos de l’expert en profils criminels, ajouta ensuite Anna, le meurtrier n’aurait eu aucun intérêt à ce que l’enquête de 1994 soit remise en question. On pourrait donc exclure également Ostrovski. Pourquoi aurait-il demandé à Stephanie de faire la lumière sur ce crime, si c’était pour la tuer ensuite ? Et puis, lui non plus ne vivait pas à Orphea, ni n’avait de lien avec Meghan Padalin.

— Alors il reste Ron Gulliver, Steven Bergdorf et Samuel Padalin, dis-je.

— Gulliver qui vient de démissionner de la police alors qu’il est à deux mois de la retraite, rappela Anna avant d’expliquer à Kirk et Michael que l’expert avait soulevé l’hypothèse d’une fuite du meurtrier maquillée en départ légitime. Va-t-il nous annoncer demain qu’il part profiter de sa retraite dans un pays qui n’extrade pas ?