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— Vous êtes à bord de l’Amérique Express ! prévint Steven. Personne n’aura jamais rallié aussi vite Yellowstone depuis New York !

— Youpi, on va rouler très vite ! s’écria le garçon.

— Non, on ne va pas rouler très vite ! hurla Tracy qui perdait patience.

Ils traversèrent l’île de Manhattan pour gagner le Holland Tunnel et rejoindre le New Jersey, avant de prendre l’autoroute 78 vers l’ouest.

À l’hôpital Mount Sinai, Cynthia Eden sortit en trombe de la chambre de Dakota et appela une infirmière.

— Appelez le docteur ! hurla Cynthia. Elle a ouvert les yeux ! Ma fille a ouvert les yeux !

* * *

Dans la salle des archives, épaulés par Kirk et Michael, nous étudiions les scénarios possibles de l’accident de Jeremiah.

— Selon l’expert, expliqua Derek, et à en juger par l’impact, la voiture s’est probablement placée à hauteur de la moto et l’a heurtée pour l’envoyer dans le décor.

— Jeremiah Fold a donc bien été assassiné, dit Michael.

— Assassiné si on veut, nuança Anna. Il a été laissé pour mort. Celui qui l’a percuté était un amateur total.

— Un meurtrier malgré lui ! s’exclama Derek. Le même profil que celui que le docteur Singh a dressé de notre tueur. Il ne veut pas tuer, mais il doit le faire.

— Il y avait beaucoup de gens qui devaient avoir envie de tuer Jeremiah Fold, fis-je remarquer.

— Et si le nom de Jeremiah Fold retrouvé dans La Nuit noire était un ordre de tuer ? suggéra Kirk.

Derek pointa une photo du dossier de police montrant l’intérieur du garage des Gordon. Il y avait une voiture rouge avec le coffre ouvert et des valises à l’intérieur.

— Le maire Gordon avait une voiture rouge, constata Derek.

— C’est drôle, dit Kirk Harvey, dans mon souvenir, il conduisait une décapotable bleue justement.

À ces mots je fus frappé par un souvenir et je me précipitai sur le dossier d’enquête de 1994.

— Nous avions vu cela à l’époque ! m’écriai-je. Je me souviens d’une photo du maire Gordon et de sa voiture.

Je parcourus frénétiquement les rapports, les clichés, les comptes rendus des auditions de témoins, les relevés bancaires. Soudain, je tombai dessus. Une photo prise à la volée par l’agent immobilier dans le Montana, sur laquelle on voyait le maire Gordon décharger des cartons du coffre d’une décapotable bleue devant la maison qu’il avait louée à Bozeman.

— L’agent immobilier dans le Montana se méfiait de Gordon, se souvint Derek. Il l’avait photographié devant sa voiture pour garder la trace de sa plaque et de son visage.

— Donc le maire conduisait bien une voiture bleue, dit Michael.

Kirk s’était approché de la photo du garage des Gordon et observait de près la voiture.

— Regardez sur la vitre arrière, dit-il en pointant la photo du doigt. Il y a le nom du concessionnaire. Il existe peut-être toujours.

Vérification faite, c’était bien le cas. Un garage-concessionnaire situé sur la route de Montauk et installé là depuis quarante ans. Nous nous y rendîmes immédiatement et fûmes reçus par le propriétaire dans son bureau, encombré et insalubre.

— Que me veut la police ? nous demanda-t-il gentiment.

— Nous cherchons des renseignements sur une voiture achetée chez vous vraisemblablement en 1994.

Il ricana :

— 1994 ? Je ne peux vraiment pas vous aider. Vous avez vu le désordre qui règne ici.

— Jetez un coup d’œil au modèle d’abord, lui suggéra Derek en lui montrant la photo.

Le garagiste y jeta un coup d’œil rapide.

— J’en ai vendu des tas de ce modèle. Vous avez peut-être le nom du client ?

— C’était Joseph Gordon, le maire d’Orphea.

Le concessionnaire devint livide.

— Ça, c’est une vente que je n’oublierai pas, dit-il d’un ton soudain grave. Deux semaines après avoir acheté sa voiture, le pauvre gars était assassiné avec toute sa famille.

— Donc il l’a achetée à la mi-juillet ? demandai-je.

— Oui, à peu près. En arrivant au garage pour l’ouverture, je l’ai trouvé devant la porte. Il avait la tête du gars qui n’a pas dormi de la nuit. Il puait l’alcool. Sa voiture avait le côté droit complètement abîmé. Il m’a dit qu’il avait heurté un cerf et qu’il voulait changer de voiture. Il en voulait une nouvelle tout de suite. J’avais trois Dodge rouges en stock, il en a pris une sans discuter. Il a payé en liquide. Il m’a dit qu’il avait roulé ivre, abîmé un bâtiment municipal et que cela pourrait compromettre sa réélection en septembre. Il a fait une rallonge de cinq mille dollars pour m’être agréable et que je conduise illico sa bagnole à la casse. Il est parti avec sa nouvelle voiture et tout le monde était content.

— Ça ne vous a pas paru bizarre ?

— Oui et non. Des histoires comme ça, j’en vois tout le temps. Vous savez quel est le secret de mon succès commercial et de ma longévité ?

— Non ?

— Je ferme ma gueule et tout le monde le sait dans la région.

Le maire Gordon avait toutes les raisons de tuer Meghan, mais il avait tué Jeremiah Fold, avec lequel il n’avait aucun lien. Pourquoi ?

En repartant d’Orphea ce soir-là, Derek et moi avions des questions plein la tête. Nous fîmes le trajet du retour en silence, perdus dans nos pensées. Lorsque je m’arrêtai devant chez lui, il ne descendit pas de la voiture. Il resta assis sur son siège.

— Que se passe-t-il ? lui demandai-je.

— Depuis que j’ai repris cette enquête avec toi, Jesse, c’est comme une nouvelle vie pour moi. Il y a longtemps que je n’ai pas été si heureux et épanoui. Mais les fantômes du passé resurgissent. Depuis deux semaines, quand je ferme les yeux la nuit, je me retrouve dans cette voiture avec toi et Natasha.

— J’aurais pu conduire cette voiture, moi aussi. Rien de ce qui est arrivé n’est de ta faute.

— C’était toi ou elle, Jesse ! J’ai dû choisir entre toi ou elle.

— Tu m’as sauvé la vie, Derek.

— Et j’ai brisé la sienne en même temps, Jesse. Regarde-toi vingt ans plus tard, toujours seul, toujours à porter le deuil.

— Derek, tu n’y es pour rien.

— Qu’aurais-tu fait à ma place, Jesse, hein ? C’est la question que je me pose sans cesse.

Je ne répondis rien. Nous fumâmes ensemble une cigarette, en silence. Puis nous échangeâmes une accolade fraternelle et Derek rentra chez lui.

Je n’avais pas envie de rentrer chez moi tout de suite. J’avais envie de la retrouver, elle. Je me rendis jusqu’au cimetière. À cette heure-là, il était fermé. J’escaladai le muret d’enceinte sans difficulté et déambulai dans les allées paisibles. Je me promenai entre les tombes, le gazon épais avalait mes pas. Tout était calme et beau. Je passai saluer mes grands-parents, qui dormaient paisiblement, puis j’arrivai devant sa tombe. Je m’assis et je restai longtemps ainsi. Soudain, j’entendis des pas derrière moi. C’était Darla.

— Comment savais-tu que je serais ici ? lui demandai-je.

Elle sourit :

— Tu n’es pas le seul à escalader le mur pour venir la voir.

Je souris à mon tour. Puis je lui dis :

— Je suis désolé pour le restaurant, Darla. C’était une initiative stupide.