Выбрать главу

— Et elle lui obéissait ?

— Oui.

— Madame Grand, pardonnez-moi cette question un peu abrupte, mais pensez-vous que Samuel Padalin ait pu tuer sa femme ?

Kate Grand resta un instant silencieuse, puis elle dit :

— Je me suis toujours étonnée que la police ne se soit pas penchée sur son assurance-vie.

— Quelle assurance-vie ? demanda Anna.

— Un mois avant la mort de sa femme, Samuel avait contracté une importante assurance-vie pour elle et pour lui. Il y en avait pour un montant d’un million de dollars. Je le sais car c’est mon mari qui s’est occupé de tout ça. Il est courtier.

— Et Samuel Padalin a touché l’argent ?

— Évidemment. Comment croyez-vous qu’il a pu payer sa maison de Southampton ?

DEREK SCOTT

Premiers jours de décembre 1994, au centre régional de la police d’État.

Dans son bureau, le major McKenna lit la lettre que je viens de lui apporter.

— Une demande de mutation, Derek ? Mais enfin, où veux-tu aller ?

— Vous n’avez qu’à me mettre à la brigade administrative, lui suggérai-je.

— Un travail de bureau ? s’étrangla le major.

— Je ne veux plus mettre les pieds sur le terrain.

— Enfin, Derek, tu es l’un des meilleurs flics que j’ai connus ! Ne compromets pas ta carrière sur un coup de tête.

— Ma carrière ? m’emportai-je. Mais quelle carrière, major ?

— Écoute, Derek, me dit gentiment le major, je comprends que tu sois bouleversé. Pourquoi tu n’irais pas voir la psy ? Ou pourquoi ne pas prendre quelques semaines de congé ?

— Je n’en peux plus d’être en congé, major, je passe mon temps à ressasser les mêmes images en boucle.

— Derek, me dit le major, je ne peux pas t’envoyer à la brigade administrative, ce serait du gâchis.

Le major et moi nous dévisageâmes un instant, puis je lui dis :

— Vous avez raison, major. Oubliez cette lettre de mutation.

— Ah, j’aime mieux ça, Derek !

— Je vais démissionner.

— Ah non, pas ça ! Écoute, va pour la brigade administrative. Mais juste pour quelque temps. Ensuite, tu reviens à la brigade d’enquêtes criminelles.

Le major imaginait qu’après quelques semaines d’ennui, je reviendrais sur ma décision et demanderais à réintégrer mon poste.

Au moment où je quittai son bureau, il me demanda :

— Des nouvelles de Jesse ?

— Il ne veut voir personne, major.

Chez lui, Jesse était occupé à trier les affaires de Natasha.

Il n’avait jamais imaginé vivre un jour sans elle, et face à ce vide abyssal qu’il était incapable de combler, il alternait les phases de débarras et de collection. Une partie de lui voulait tourner la page, tout de suite, tout jeter et tout oublier : dans ces moments-là, il se mettait à remplir frénétiquement des cartons de tous les objets qui avaient un rapport à elle, les destinant à la poubelle. Puis il suffisait d’un instant d’arrêt et d’un objet qui attire son attention, pour que tout vacille et qu’il passe à la phase de collection : un cadre de photo, un stylo sans encre, un vieux bout de papier. Il le prenait en main, l’observait longuement. Il se disait qu’il n’allait tout de même pas tout jeter, qu’il voulait garder quelques souvenirs, se remémorer tout ce bonheur, et il déposait l’objet sur une table en vue de le conserver. Puis il se mettait à ressortir du carton tout ce qu’il y avait mis. Tu ne vas pas jeter ça non plus ? se disait-il à lui-même. Ni ça, quand même ? Ah non, tu ne vas pas te séparer de la tasse achetée au MoMA dans laquelle elle buvait son thé ! Jesse finissait par tout ressortir des cartons. Et le salon, un instant plus tôt débarrassé de tous ces objets, prenait l’aspect d’un musée consacré à Natasha. Assis sur le canapé, ses grands-parents le regardaient, les yeux débordant de larmes, et murmuraient : « C’est de la merde. »

*

À la mi-décembre, Darla avait fait vider toute La Petite Russie. L’enseigne lumineuse avait été démontée et détruite, tout le mobilier revendu pour payer les derniers mois de loyer et permettre la résiliation immédiate du bail.

Les déménageurs emportaient les dernières chaises pour les livrer à un restaurant qui les avait rachetées, sous le regard de Darla, assise sur le trottoir, dans le froid. L’un des déménageurs vint lui apporter un carton.

— On a trouvé ça dans un coin de la cuisine, on s’est dit que vous vouliez peut-être le garder.

Darla examina le contenu du carton. Il y avait des notes prises par Natasha, des idées de menus, ses recettes de cuisine et tous les souvenirs de ce qu’elles avaient été. Il y avait aussi une photo de Jesse, Natasha, Derek et elle. Elle prit le cliché entre ses doigts et le regarda longuement.

— Je vais garder la photo, dit-elle au déménageur. Merci. Vous pouvez jeter le reste.

— Vraiment ?

— Oui.

Le déménageur acquiesça et s’en alla vers son camion. Darla, dévastée, éclata en sanglots.

Il fallait tout oublier.

JESSE ROSENBERG

Vendredi 1er août 2014

6 jours après la première

Meghan avait-elle voulu quitter Samuel Padalin ? Celui-ci ne l’avait pas supporté et l’avait tuée, empochant l’assurance-vie de sa femme au passage.

Samuel était absent de chez lui lorsque nous y débarquâmes ce matin-là. Nous décidâmes d’aller le trouver sur son lieu de travail. Prévenu de notre arrivée par la réceptionniste, il nous conduisit sans un mot à son bureau et attendit d’avoir refermé la porte derrière nous pour exploser :

— Vous êtes fous de débarquer à l’improviste ici ? Vous voulez que je perde mon emploi ?

Il semblait furieux. Anna lui demanda alors :

— Êtes-vous coléreux, Samuel ?

— Pourquoi cette question ? répliqua-t-il.

— Parce que vous battiez votre femme.

Samuel Padalin resta abasourdi.

— Mais qu’est-ce que vous racontez ?

— Nous faites pas le numéro du grand étonné, tonna Anna, on est au courant de tout !

— Je voudrais savoir qui vous a raconté ça ?

— Peu importe, dit Anna.

— Écoutez, environ un mois avant sa mort Meghan et moi avons eu une très grosse dispute, c’est vrai. Je l’ai giflée, je n’aurais jamais dû. J’ai dérapé. Je n’ai aucune excuse. Mais ça a été la seule fois. Je ne battais pas Meghan !

— Quel était le sujet de votre dispute ?

— J’ai découvert que Meghan me trompait. J’ai voulu la quitter.

* * *

Lundi 6 juin 1994

Ce matin-là, alors que Samuel Padalin terminait son café et s’apprêtait à partir au travail, il vit sa femme le rejoindre en robe de chambre.

— Tu ne vas pas travailler aujourd’hui ? lui demanda-t-il.

— J’ai de la fièvre, je ne me sens pas bien. Je viens d’appeler Cody pour lui dire que je ne viendrais pas à la librairie.