Derek et moi, après avoir envoyé un avis de recherche à l’encontre de Steven Bergdorf, décidâmes de retourner à Orphea. Je prévins Anna et nous nous mîmes en route.
À la salle des archives, Anna raccrocha.
— C’était Jesse, dit-elle à Michael et Kirk. Apparemment, Ostrovski n’a rien à voir avec tout ça.
— C’est bien ce que je pensais, dit Michael. Qu’est-ce qu’on fait alors ?
— On devrait aller manger quelque chose, la nuit promet d’être longue.
— Allons au Kodiak Grill ! suggéra Michael.
— Génial, approuva Kirk. Je rêve d’un bon steak.
— Non, ce sera sans vous, Kirk, lui dit alors Anna, qui craignait qu’il ne fasse une gaffe. Il faut que quelqu’un reste ici de permanence.
— De permanence ? s’étonna Kirk. Permanence de quoi ?
— Vous restez ici, un point c’est tout ! lui ordonna Anna.
Elle et Michael quittèrent la rédaction par la porte arrière et la petite ruelle, et montèrent à bord de la voiture d’Anna.
Kirk pesta de se retrouver une fois de plus tout seul. Il se remémora ses mois de « chef-tout-seul », passés enfermé dans le sous-sol du commissariat. Il fouilla dans les documents éparpillés sur la table devant lui et se plongea dans le dossier de police. Il fit main basse sur les derniers chocolats et les mit tous dans sa bouche.
Anna et Michael remontaient la rue principale.
— Est-ce que ça t’embête si on fait d’abord un saut chez moi ? demanda Michael. J’ai envie d’embrasser mes filles avant qu’elles ne se couchent. Ça fait une semaine que je ne les vois quasiment pas.
— Avec plaisir, dit Anna, en prenant la direction de Bridgehampton.
Lorsqu’ils arrivèrent devant la maison des Bird, Anna constata que tout était éteint.
— Tiens, il n’y a personne ? s’étonna Michael.
Anna se gara devant la maison.
— Ta femme est peut-être sortie avec les enfants ?
— Ils sont certainement allés manger une pizza. Je vais les appeler.
Michael sortit son téléphone portable de sa poche et pesta en voyant l’écran : pas de réseau.
— Ça fait un moment qu’on capte mal ici, s’agaça-t-il.
— Je n’ai pas de réseau non plus, constata Anna.
— Attends-moi un instant ici, je vais vite à l’intérieur appeler ma femme depuis la ligne fixe.
— Est-ce que j’ose en profiter pour utiliser tes toilettes ? demanda Anna.
— Évidemment. Viens.
Ils entrèrent dans la maison. Michael indiqua les toilettes à Anna puis se saisit du téléphone.
Derek et moi approchions d’Orphea lorsque nous reçûmes un appel radio. L’opérateur nous informait qu’un homme du nom de Kirk Harvey essayait désespérément de nous joindre mais n’avait pas nos numéros de téléphone. L’appel nous fut transmis par radio et nous entendîmes soudain la voix de Kirk résonner dans l’habitacle.
— Jesse, ce sont les clés ! hurla-t-il paniqué.
— Quoi, les clés ?
— Je suis dans le bureau de Michael Bird, à la rédaction du journal. Je les ai trouvées.
Nous ne comprenions rien à ce que Kirk racontait.
— Qu’avez-vous trouvé, Kirk ? Exprimez-vous clairement !
— J’ai trouvé les clés de Stephanie Mailer !
Kirk m’expliqua être remonté dans le bureau de Michael Bird pour chercher du chocolat. En fouillant un tiroir, il était tombé sur un trousseau de clés orné d’une boule de plastique jaune. Il l’avait déjà vu quelque part. Convoquant ses souvenirs, il s’était soudain revu au Beluga Bar avec Stephanie, au moment où elle s’en allait et que voulant la retenir il l’avait attrapée par son sac à main. Le contenu de celui-ci s’était répandu sur le sol. Il avait ramassé ses clés pour les lui rendre. Il se souvenait parfaitement de ce porte-clés.
— Vous êtes certain que ce sont les clés de Stephanie ? demandai-je.
— Oui, d’ailleurs il y a une clé de voiture dessus, indiqua Kirk. Une Mazda. Quelle voiture Stéphanie conduisait ?
— Une Mazda, répondis-je. Ce sont ses clés. Surtout, ne dites rien et retenez Michael à la rédaction par tous les moyens.
— Il est parti. Il est avec Anna.
Dans la maison des Bird, Anna sortit des toilettes. Tout était silencieux. Elle traversa le salon : pas de trace de Michael. Son regard s’arrêta sur des cadres-photos disposés sur une commode. Des photos de la famille Bird, à différentes époques. La naissance des filles, les vacances. Anna remarqua alors un cliché sur lequel Miranda Bird paraissait particulièrement jeune. Elle était avec Michael, c’était la période de Noël. En arrière-plan un sapin décoré, et par la fenêtre on voyait de la neige dehors. En bas à droite de l’image, la date apparaissait, comme c’était le cas à l’époque lors du développement de photos en magasin. Anna approcha son visage : 23 décembre 1994. Elle sentit son rythme cardiaque s’accélérer : Miranda lui avait affirmé avoir rencontré Michael plusieurs années après la mort de Jeremiah. Elle lui avait donc menti.
Anna regarda autour d’elle. Il n’y avait plus un bruit. Où était Michael ? L’inquiétude la saisit. Elle posa la main sur la crosse de son arme et se dirigea prudemment vers la cuisine : personne. Tout semblait soudain désert. Elle dégaina son arme et s’engagea dans un couloir sombre. Elle appuya sur l’interrupteur, mais la lumière ne se fit pas. Soudain elle reçut un coup en travers du dos qui la projeta au sol et elle lâcha son arme. Elle voulut se retourner mais se fit aussitôt arroser le visage de produit incapacitant. Elle hurla de douleur. Ses yeux la brûlaient. Elle reçut alors un coup sur la tête, qui l’assomma.
Ce fut le trou noir.
Derek et moi avions lancé une alerte générale. Montagne avait dépêché des hommes au Kodiak Grill et au domicile des Bird. Mais Anna et Michael étaient introuvables. Lorsque nous arrivâmes finalement à notre tour chez les Bird, les policiers sur place nous montrèrent des traces de sang toutes fraîches.
À cet instant, Miranda Bird rentra de la pizzeria avec ses filles.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle à la vue des policiers.
Je m’écriai :
— Où est Michael ?
— Michael, mais je n’en sais rien. Je l’ai eu au téléphone tout à l’heure. Il a dit qu’il était ici avec Anna.
— Et vous, où étiez-vous ?
— Avec mes filles, nous sommes allées manger une pizza. Enfin, capitaine, que se passe-t-il ?
Lorsque Anna reprit conscience, elle avait les mains menottées dans le dos et un sac sur la tête qui l’empêchait de voir. Elle s’efforça de ne pas paniquer. Aux sons et aux vibrations qu’elle perçut, elle comprit qu’elle était étendue sur la banquette arrière d’une voiture en marche.
Aux sensations qu’elle éprouvait, elle déduisit que la voiture roulait sur un chemin non goudronné, sans doute en terre ou en gravier. Soudain, le véhicule s’arrêta net. Anna perçut du bruit. La portière arrière s’ouvrit brusquement. Elle fut saisie et traînée au sol. Elle ne voyait rien. Elle ne savait pas où elle était. Mais elle entendait des grenouilles : elle était près d’un lac.