Dans le salon des Bird, Miranda ne croyait pas que son mari puisse être mêlé aux meurtres :
— Comment pouvez-vous imaginer que Michael soit impliqué dans cette affaire ? C’est peut-être son sang qu’on a retrouvé ici !
— Les clés de Stephanie Mailer étaient dans son bureau, lui dis-je.
Miranda ne voulait pas y croire :
— Vous faites erreur. Vous perdez un temps précieux. Michael est peut-être en danger.
Je rejoignis Derek dans une pièce voisine. Il avait une carte de la région dépliée devant lui, et le docteur Ranjit Singh au téléphone.
— Le meurtrier est intelligent et méthodique, nous dit Singh à travers le haut-parleur. Il sait qu’il ne peut pas aller très loin avec Anna, il ne veut pas risquer de croiser des patrouilles de police. C’est quelqu’un de très prudent. Il veut limiter les risques et éviter à tout prix un affrontement.
— Donc il est resté dans la région d’Orphea ? demandai-je.
— J’en suis sûr. Dans un périmètre qu’il connaît bien. Un lieu où il se sent en sécurité.
— Est-ce qu’il aurait déjà fait ça avec Stephanie ? demanda Derek en étudiant le plan.
— Probablement, répondit Singh.
Derek encercla au feutre la plage à proximité de laquelle la voiture de Stephanie avait été retrouvée.
— Si le meurtrier avait fixé rendez-vous à Stephanie à cet endroit, considéra Derek, c’est qu’il prévoyait de l’emmener dans un lieu proche.
Je suivis du doigt le tracé de la route 22 jusqu’au lac des Cerfs que j’entourai de rouge. Puis j’emportai la carte pour la montrer à Miranda.
— Avez-vous une autre maison dans la région ? lui demandai-je. Une maison de famille, un cabanon, un endroit où votre mari pourrait se sentir à l’abri ?
— Mon mari ? Mais…
— Répondez à ma question !
Miranda observa le plan. Elle regarda le lac des Cerfs et du doigt pointa l’étendue d’eau voisine : le lac des Castors.
— Michael aime aller là-bas, dit-elle. Il y a un ponton avec une barque. On peut rejoindre un îlot charmant. Nous allons souvent y pique-niquer avec les filles. Il n’y a jamais personne. Michael dit qu’on y est seuls au monde.
Derek et moi nous dévisageâmes, et sans avoir besoin de parler, nous nous précipitâmes vers notre voiture.
Anna venait d’être jetée dans ce qu’elle pensait être une barque. Elle faisait semblant d’être encore inconsciente. Elle sentit le mouvement de l’eau et perçut un bruit de rames. On l’emmenait quelque part, mais où ?
Derek et moi roulions à tombeau ouvert sur la route 56. Nous eûmes bientôt le lac des Cerfs en vue.
— Il y aura une bifurcation sur ta droite, me prévint Derek en coupant la sirène. Un petit chemin de terre.
Nous le repérâmes de justesse. Je m’y engageai et accélérai comme un fou. Je vis bientôt la voiture d’Anna garée au bord de l’eau, juste à côté d’un ponton. J’écrasai la pédale de frein et nous sortîmes de voiture. Malgré l’obscurité, nous distinguâmes une barque sur le lac qui tentait de rejoindre l’îlot. Nous dégainâmes nos armes. « Halte ! Police ! » m’écriai-je avant de tirer un coup de sommation.
Nous entendîmes en réponse la voix d’Anna dans la barque, qui appela à l’aide. La silhouette qui tenait les rames lui asséna un coup. Anna cria de plus belle. Derek et moi plongeâmes dans le lac. Nous eûmes juste le temps de voir Anna être jetée par-dessus bord. Elle coula d’abord à pic, avant de tenter, à la force de ses seules jambes, de remonter à la surface pour respirer.
Derek et moi nagions aussi vite que nous le pouvions. Dans l’obscurité, impossible de distinguer clairement la silhouette sur la barque qui retournait vers les voitures en nous contournant. Nous ne pouvions pas l’arrêter : nous devions sauver Anna. Nous rassemblâmes nos dernières forces pour la rejoindre, mais Anna, épuisée, se laissa couler au fond du lac.
Derek s’élança vers le fond. Je l’imitai. Tout était opaque autour de nous. Finalement, il sentit le corps d’Anna. Il l’attrapa et parvint à le remonter à la surface. Je lui vins en aide et nous réussîmes à traîner Anna jusqu’à la berge de l’îlot proche et à la hisser sur la terre ferme. Elle toussa, cracha de l’eau. Elle était en vie.
Sur l’autre rive la barque venait d’accoster au ponton. Nous vîmes la silhouette monter à bord de la voiture d’Anna et s’enfuir.
Deux heures plus tard, l’employé d’une station-service isolée vit entrer dans le magasin un homme ensanglanté et paniqué. C’était Michael Bird, les mains liées au moyen d’une corde. « Appelez la police ! supplia-t-il. Il arrive, il me poursuit ! »
JESSE ROSENBERG
Dimanche 3 août 2014
Dans sa chambre d’hôpital, où il avait passé la nuit en observation, Michael nous raconta avoir été agressé en sortant de sa maison :
— J’étais dans la cuisine. Je venais de téléphoner à ma femme. Soudain j’ai entendu un bruit dehors. Anna était aux toilettes, ça ne pouvait pas être elle. Je suis sorti pour voir ce qui se passait, et je me suis fait aussitôt asperger de gaz lacrymogène avant de recevoir un coup violent en plein visage. Ça a été le trou noir. Quand j’ai repris mes esprits, j’étais dans le coffre d’une voiture, les mains liées. Le coffre s’est soudain ouvert. J’ai fait semblant d’être inconscient. On m’a traîné par terre. Je sentais une odeur de terre et de végétaux. J’ai entendu du bruit, comme si quelqu’un creusait. J’ai fini par entrouvrir les yeux : j’étais en pleine forêt. À quelques mètres de moi, il y avait un type, encagoulé, qui creusait un trou. C’était ma tombe. J’ai pensé à ma femme, à mes filles, je ne voulais pas mourir comme ça. Dans l’énergie du désespoir, je me suis dressé et je me suis mis à courir. J’ai dévalé une pente, j’ai couru aussi vite que j’ai pu à travers la forêt. Je l’entendais derrière moi, qui me poursuivait. J’ai réussi à le distancer. Puis je suis arrivé à une route. Je l’ai suivie en espérant croiser une voiture, mais j’ai finalement aperçu une station-service.
Derek, après avoir écouté attentivement le récit de Michael, lui dit alors :
— Arrêtez vos histoires. Nous avons retrouvé les clés de Stephanie Mailer dans un tiroir de votre bureau.
Michael eut l’air abasourdi.
— Les clés de Stephanie Mailer ? Qu’est-ce que vous racontez ? C’est totalement absurde.
— C’est pourtant la vérité. Un trousseau avec les clés de son appartement, du journal, de sa voiture et d’un garde-meuble.
— C’est tout simplement impossible, dit Michael qui semblait réellement tomber des nues.
— Est-ce que c’est vous, Michael ? demandai-je. Vous avez tué Stephanie ? Et tous ces gens ?
— Non ! Évidemment que non, Jesse ! Enfin, c’est complètement ridicule ! Qui a trouvé ces clés dans mon bureau ?
Nous aurions préféré qu’il ne pose pas la question : les clés n’ayant pas été retrouvées par un policier dans le cadre d’une perquisition, elles n’avaient aucune valeur de preuve. Je n’eus d’autre choix que de dire la vérité :