Nous pensions que Stephanie voulait se rendre aux archives du commissariat d’Orphea pour accéder au dossier d’enquête du quadruple meurtre de 1994. Nous nous rendîmes donc à la salle des archives et trouvâmes sans difficulté le grand carton censé contenir le dossier en question. Mais à notre grande surprise, la boîte était vide. Tout avait disparu. À l’intérieur, il n’y avait qu’une feuille de papier jaunie par le temps et sur laquelle on avait tapé à la machine à écrire :
Comme le début d’un jeu de piste.
Le seul élément concret dont nous disposions était le coup de fil passé depuis le Kodiak Grill juste après que Stephanie en était partie. Nous nous rendîmes sur place et y retrouvâmes l’employée interrogée la veille.
— Où se trouve votre téléphone public ? lui demandai-je.
— Vous pouvez utiliser le téléphone du comptoir, me répondit-elle.
— C’est gentil, mais je voudrais voir votre téléphone public.
Elle nous conduisit à travers le restaurant jusqu’à la partie arrière où l’on trouvait deux rangées de portemanteaux fixés au mur, les toilettes, un distributeur d’argent, et, dans un angle, un téléphone à pièces.
— Y a-t-il une caméra ? interrogea Anna en scrutant le plafond.
— Non, il n’y a aucune caméra dans le restaurant.
— Cette cabine est-elle souvent utilisée ?
— Je ne sais pas, il y a toujours beaucoup de va-et-vient par ici. Les toilettes sont réservées aux clients mais il y a toujours des gens qui entrent et demandent innocemment s’il y a le téléphone ici. On répond que oui. Mais on ne sait pas s’ils ont vraiment besoin de passer un coup de fil ou s’ils ont besoin de faire pipi. Aujourd’hui tout le monde a un portable, non ?
À cet instant justement, le téléphone d’Anna sonna. On venait de retrouver la voiture de Stephanie à proximité de la plage.
Anna et moi roulions à toute allure sur Ocean Road, qui partait de la rue principale et menait jusqu’à la plage d’Orphea. La route se terminait par un parking qui consistait en un vaste cercle de béton, sur lequel les baigneurs garaient leurs voitures sans qu’il n’y ait ni ordre ni limite de temps. En hiver, il restait clairsemé des véhicules de quelques promeneurs et de pères de famille venus faire voler des cerfs-volants avec leurs enfants. Il commençait à se remplir dans les beaux jours du printemps. Au cœur de l’été, il était pris d’assaut dès le début des matinées brûlantes et le nombre de voitures qui parvenaient à s’y entasser était spectaculaire.
À environ 100 mètres du parking, une voiture de police était garée sur le bas-côté. Un agent nous fit un signe de la main et je me rangeai derrière sa voiture. À cet endroit, un petit chemin routier s’enfonçait dans la forêt. Le policier nous expliqua :
— Ce sont des promeneurs qui ont vu la voiture. Apparemment, elle est garée ici depuis mardi. C’est en lisant le journal ce matin qu’ils ont fait le lien. J’ai vérifié, la plaque correspond au véhicule de Stephanie Mailer.
Il nous fallut marcher environ deux cents mètres pour arriver à la voiture, convenablement garée dans un renfoncement. C’était bien la Mazda bleue filmée par les caméras de la banque. J’enfilai une paire de gants en latex et en fis rapidement le tour, inspectant l’intérieur à travers les vitres. Je voulus ouvrir la porte, mais elle était fermée à clé. Anna finit par exprimer à voix haute l’idée qui me trottait dans la tête :
— Jesse, est-ce que tu crois qu’elle est dans le coffre ?
— Il n’y a qu’une façon de le savoir, répondis-je.
Le policier nous apporta un pied-de-biche. Je l’enfonçai dans la rainure du coffre. Anna se tenait juste derrière moi, retenant sa respiration. La serrure céda facilement et le coffre s’ouvrit brusquement. J’eus un mouvement de recul, puis me penchant en avant pour mieux voir l’intérieur, je constatai qu’il était vide. « Il n’y a rien, dis-je en m’écartant de la voiture. Appelons la police scientifique avant qu’on ne pollue la scène. Je pense que, cette fois, le maire sera d’avis qu’il faut employer les grands moyens. »
La découverte de la voiture de Stephanie changeait effectivement la donne. Le maire Brown, informé de la situation, débarqua avec Gulliver sur les lieux et, comprenant qu’il fallait lancer des opérations de recherche et que la police locale serait rapidement dépassée par la situation, il fit appeler en renfort des effectifs de police des villes voisines.
En une heure, Ocean Road était complètement bouclée, de son milieu jusqu’au parking de la plage. Les polices de tout le comté avaient envoyé des hommes, appuyés par des patrouilles de la police d’État. Des groupes de curieux s’étaient massés de part et d’autre des bandes de police.
Du côté de la forêt, les hommes de la police scientifique jouaient leur ballet en combinaisons blanches autour de la voiture de Stephanie, qu’ils passèrent au peigne fin. Des équipes cynophiles avaient également été dépêchées.
Bientôt, le responsable de la brigade canine nous fit appeler sur le parking de la plage.
— Tous les chiens suivent une même piste, nous dit-il lorsque nous l’eûmes rejoint. Ils partent de la voiture et prennent ce petit chemin qui serpente depuis la forêt entre les herbes et arrive ici.
Il nous montra du doigt le tracé du chemin qui était un raccourci emprunté par les promeneurs pour aller de la plage jusqu’au chemin forestier.
— Les chiens marquent tous l’arrêt sur le parking. À l’endroit où je me trouve. Ensuite, ils perdent sa trace.
Le policier se tenait littéralement au milieu du parking.
— Qu’est-ce que cela signifie ? demandai-je.
— Qu’elle est montée dans une voiture ici, capitaine Rosenberg. Et qu’elle est partie à bord de ce véhicule.
Le maire se tourna vers moi.
— Qu’en pensez-vous, capitaine ? me demanda-t-il.
— Je pense que quelqu’un attendait Stephanie. Elle avait rendez-vous. La personne avec qui elle avait rendez-vous au Kodiak Grill l’épiait, installée à une table du fond. Quand elle repart du restaurant, cette personne l’appelle depuis la cabine téléphonique et lui donne rendez-vous à la plage. Stephanie est inquiète : elle pensait à un rendez-vous dans un lieu public et elle se retrouve à devoir aller à la plage, déserte à cette heure-là. Elle téléphone à Sean qui ne répond pas. Elle décide finalement de se garer sur le sentier de la forêt. Peut-être pour avoir une solution de repli ? Ou alors pour guetter la venue de son mystérieux rendez-vous ? En tout cas, elle ferme sa voiture à clé. Elle descend jusqu’au parking et monte dans le véhicule de son contact. Où a-t-elle été emmenée ? Dieu seul le sait.
Il y eut un silence glaçant. Puis, le chef Gulliver, comme s’il était en train de prendre la mesure de la situation, murmura :
— Ainsi commence la disparition de Stephanie Mailer.
DEREK SCOTT
Ce soir du 30 juillet 1994, à Orphea, il fallut un moment pour qu’arrivent finalement sur la scène de crime les premiers de nos collègues de la brigade criminelle ainsi que notre chef, le major McKenna. Après un point de la situation, il me prit à l’écart et me demanda :