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— Et dans la voiture, demandai-je au policier, qu’avez-vous trouvé ?

— Malheureusement aucune trace d’ADN en dehors de celles de Stephanie elle-même. Nous avons pu comparer avec un prélèvement sur ses parents. En revanche, nous avons retrouvé une note manuscrite assez énigmatique, sous le siège conducteur et dont l’écriture serait celle de Stephanie.

Le policier replongea la main dans son enveloppe et en sortit un troisième sac en plastique qui contenait une feuille arrachée à un cahier d’écolier, et sur laquelle il était inscrit :

La Nuit noire — Festival de théâtre d’Orphea
En parler à Michael Bird

— La Nuit noire  ! s’écria Anna, comme l’inscription laissée à la place du dossier de police sur le quadruple meurtre de 1994.

— Il faut aller parler à Michael Bird, dis-je. Il se peut qu’il en sache plus que ce qu’il a bien voulu nous dire.

*

Nous retrouvâmes Michael dans son bureau de la rédaction de l’Orphea Chronicle. Il avait préparé à notre intention un dossier contenant les copies de tous les articles écrits par Stephanie pour le journal. On retrouvait pour l’essentiel de l’information très locale : kermesse scolaire, la parade de Colombus Day, célébration communale de Thanksgiving pour les esseulés, concours de citrouilles pour Halloween, accident de la route et autres sujets de la rubrique des chiens écrasés. Tout en faisant défiler les articles devant moi, je demandai à Michael :

— Quel est le salaire de Stephanie au journal ?

— 1 500 dollars par mois, répondit-il. Pourquoi cette question ?

— Cela peut avoir de l’importance pour l’enquête. Je ne vous cache pas que je cherche encore à comprendre pourquoi Stephanie a quitté New York pour venir à Orphea écrire des articles sur Columbus Day et la fête de la courge. Ça n’a aucun sens à mes yeux. Ne le prenez pas mal, Michael, mais ça ne colle pas avec le portrait ambitieux que m’ont fait d’elle ses parents et ses amis.

— Je comprends parfaitement votre question, capitaine Rosenberg. Je me la suis posée d’ailleurs. Stephanie m’a dit qu’elle avait été écœurée par son licenciement de la Revue des lettres new-yorkaises. Elle avait envie de renouveau. C’est une idéaliste, vous savez. Elle veut changer les choses. Le défi de travailler pour un journal local ne l’effraie pas, au contraire.

— Je pense qu’il y a autre chose, dis-je avant de montrer à Michael le morceau de papier retrouvé dans la voiture de Stephanie.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Michael.

— Une note écrite de la main de Stephanie. Elle y mentionne le festival de théâtre d’Orphea, et elle ajoute vouloir vous en parler. Que savez-vous que vous ne nous dites pas, Michael ?

Michael soupira :

— Je lui ai promis de ne rien révéler… Je lui ai donné ma parole.

— Michael, lui dis-je, je crois que vous ne comprenez pas la gravité de la situation.

— C’est vous qui ne comprenez pas, répliqua-t-il. Il y a peut-être une bonne raison qui justifie que Stephanie ait décidé de disparaître quelque temps. Et vous êtes en train de tout compromettre en rameutant la population.

— Une bonne raison ? m’étranglai-je.

— Elle se savait peut-être en danger et a décidé de se cacher. En retournant la région, vous risquez de la compromettre : son enquête est plus importante que ce que vous pouvez imaginer, ceux qui la cherchent en ce moment sont peut-être ceux dont elle se cache.

— Vous voulez dire un policier ?

— C’est possible. Elle est restée très mystérieuse. J’ai insisté pourtant pour qu’elle m’en révèle davantage, mais elle n’a jamais voulu me dire de quoi il retournait.

— Ça ressemble bien à la Stephanie que j’ai rencontrée l’autre jour, soupirai-je. Mais quel est le lien avec le festival de théâtre ?

Bien que la rédaction fût déserte et la porte de son bureau fermée, Michael baissa encore d’un ton, comme s’il craignait qu’on puisse l’entendre :

— Stephanie pensait qu’il se tramait quelque chose au festival, qu’elle avait besoin d’interroger les bénévoles sans que personne ne soupçonne quoi que ce soit. Je lui ai suggéré de faire une série d’articles pour le journal. C’était la couverture parfaite.

— Des interviews bidon ? m’étonnai-je.

— Pas vraiment bidon, parce que nous les publiions ensuite… Je vous ai parlé des difficultés économiques rencontrées par le journal : Stephanie m’avait assuré que la publication des résultats de son enquête permettrait de renflouer la caisse. « Quand on publiera ça, les gens s’arracheront l’Orphea Chronicle  », m’a-t-elle dit un jour.

De retour au commissariat, nous contactâmes finalement l’ancien patron de Stephanie, le rédacteur en chef de la Revue des lettres new-yorkaises. Il s’appelait Steven Bergdorf et vivait à Brooklyn. C’est Anna qui lui téléphona. Elle brancha le téléphone sur haut-parleur pour que je puisse entendre la conversation.

— Pauvre Stephanie, se désola Steven Bergdorf après qu’Anna l’eut informé de la situation. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de grave. C’est une femme très intelligente, une excellente journaliste littéraire, une belle plume. Et très gentille. Toujours aimable avec tout le monde. Pas le genre à s’attirer la malveillance ou des ennuis.

— Si mes informations sont exactes, vous l’avez licenciée l’automne dernier…

— C’est exact. Ça a été un déchirement : une fille si brillante. Mais le budget de la Revue a été resserré pendant l’été. Les abonnements sont en chute libre. Je devais absolument faire des économies et me séparer de quelqu’un.

— Comment a-t-elle réagi à son renvoi ?

— Elle n’était pas très contente, vous vous en doutez. Mais nous étions restés en bons termes. Je lui ai même écrit au mois de décembre pour prendre de ses nouvelles. Elle m’avait indiqué à ce moment-là qu’elle travaillait pour l’Orphea Chronicle et qu’elle s’y plaisait beaucoup. J’ai été content pour elle, même si j’étais un peu surpris.

— Surpris ?

Bergdorf détailla sa pensée :

— Une fille comme Stephanie Mailer, c’est un calibre du niveau du New York Times. Qu’est-ce qu’elle est allée faire dans un journal de seconde zone ?

— Monsieur Bergdorf, est-ce que Stephanie est revenue à la rédaction de votre revue depuis son licenciement ?

— Non. Du moins pas que je sache. Pourquoi ?

— Parce que nous avons établi que sa voiture s’est garée à proximité de l’immeuble à de fréquentes reprises ces derniers mois.

* * *

Dans son bureau de la rédaction de la Revue des lettres new-yorkaises, déserte en ce dimanche, Steven Bergdorf, après avoir raccroché, resta longuement troublé.

— Que se passe-t-il, Stevie ? lui demanda Alice, 25 ans, assise sur le canapé du bureau, peignant ses ongles avec du vernis rouge.

— C’était la police. Stephanie Mailer a disparu.

— Stephanie ? C’était une sale idiote.