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Il soupira.

— Tu sais, Jesse, ça va me coûter un temps fou en paperasses et en explications à la hiérarchie.

— J’en suis conscient, major. Et j’en suis désolé.

— Et qu’en est-il de ton fameux projet qui t’a convaincu de quitter la police ?

— Ça peut attendre que je boucle le dossier, major, assurai-je.

McKenna grogna et sortit des formulaires d’un tiroir.

— Je vais faire ça pour toi, Jesse, parce que tu es le meilleur flic que j’aie jamais connu.

— Je vous en suis très reconnaissant, major.

— Par contre, j’ai déjà attribué ton bureau à quelqu’un à partir de demain.

— Je n’ai pas besoin de bureau, major. Je vais aller récupérer mes affaires.

— Et je ne veux pas que tu enquêtes seul. Je vais t’assigner un coéquipier. Malheureusement, les autres binômes de votre unité sont déjà complets puisque tu devais partir aujourd’hui, mais ne te fais pas de souci, je vais te trouver quelqu’un.

Derek, qui était assis à côté de moi, sortit de son silence :

— Je suis prêt à épauler Jesse, major. C’est la raison pour laquelle je suis ici.

— Toi, Derek ? s’étonna McKenna. Mais tu n’as plus mis les pieds sur le terrain depuis combien de temps ?

— Vingt ans.

— C’est grâce à Derek que nous avons trouvé le garde-meuble, précisai-je.

Le major soupira encore. Je voyais bien qu’il était tracassé.

— Derek, tu es en train de me dire que tu veux te replonger dans l’enquête qui t’a poussé à quitter le terrain ?

— Oui, répondit Derek d’un ton décidé.

Le major nous dévisagea longuement.

— Et où est ton arme de service, Derek ? demanda-t-il finalement.

— Dans un tiroir de mon bureau.

— Tu sais encore t’en servir ?

— Oui.

— Eh bien, fais-moi quand même le plaisir d’aller vider un chargeur au stand de tir avant de te promener avec ce machin à la ceinture. Messieurs, bouclez-moi cette enquête vite et bien. Je n’ai pas très envie que le ciel nous tombe sur la tête.

* * *

Pendant que Derek et moi étions au centre régional de la police d’État, Anna ne perdit pas son temps. Elle s’était mis en tête de retrouver Kirk Harvey, mais cette initiative allait s’avérer infiniment plus compliquée qu’elle ne l’imaginait. Elle consacra des heures à chercher la trace de l’ancien chef, en vain : il avait totalement disparu de la circulation. Il n’avait plus ni adresse, ni numéro de téléphone. Faute de sources, elle s’en remit à la seule personne en qui elle pouvait avoir confiance à Orphea : son voisin Cody, qu’elle alla trouver dans sa librairie, située à proximité de la rédaction de l’Orphea Chronicle.

— Décidément, pas un chat aujourd’hui, soupira Cody en la voyant entrer.

Anna comprit qu’il avait espéré un client en entendant la porte s’ouvrir. Il poursuivit :

— J’espère que le feu d’artifice du 4 Juillet attirera un peu de monde, j’ai eu un mois de juin terrible.

Anna attrapa un roman sur un présentoir.

— Il est bien ? demanda-t-elle au libraire.

— Pas mal.

— Je le prends.

— Anna, t’es pas obligée de faire ça…

— Je n’ai plus rien à lire. Ça tombe à pic.

— Mais j’imagine que tu n’es pas venue pour ça.

— Je ne suis pas venue que pour cela, lui sourit-elle en lui tendant un billet de cinquante dollars. Que peux-tu me dire du quadruple meurtre de 1994 ?

Il fronça les sourcils.

— Ça faisait bien longtemps que je n’avais plus entendu parler de cette histoire. Que veux-tu savoir ?

— Je suis juste curieuse de connaître l’ambiance en ville à l’époque.

— Ça a été terrible, dit Cody. Les gens ont été évidemment très choqués. Tu imagines, une famille totalement décimée, dont un petit garçon. Et Meghan, qui était la fille la plus douce qu’on puisse imaginer et que tout le monde adorait ici.

— Tu la connaissais bien ?

— Si je la connaissais bien ? Elle travaillait à la librairie. À l’époque, le magasin marchait du tonnerre, et c’était notamment grâce à elle. Imagine une jeune et jolie libraire, passionnée, délicieuse, brillante. Les gens venaient de tout Long Island juste pour elle. Quel gâchis ! Quelle injustice ! Pour moi, ça a été un choc terrible. À un moment, j’avais même hésité à tout plaquer et à partir d’ici. Mais pour aller où ? J’ai toutes mes attaches ici. Tu sais, Anna, le pire c’est que tout le monde a tout de suite compris : si Meghan était morte, c’était parce qu’elle avait reconnu le meurtrier des Gordon. Cela signifiait que c’était l’un d’entre nous. Quelqu’un que nous connaissions. Que l’on voyait au supermarché, à la plage, ou même à la librairie. Et malheureusement, nous ne nous sommes pas trompés lorsque le meurtrier a été confondu.

— De qui s’agissait-il ?

— Ted Tennenbaum, un homme sympathique, avenant, issu d’une bonne famille. Un citoyen actif et engagé. Restaurateur de métier. Membre du corps des pompiers volontaires. Il avait contribué à l’organisation du premier festival.

Cody soupira et ajouta :

— Je n’aime pas parler de tout ça, Anna, ça me remue trop.

— Désolée, Cody. Juste une dernière question : est-ce que le nom de Kirk Harvey te dit quelque chose ?

— Oui, c’était l’ancien chef de la police d’Orphea. Juste avant Gulliver.

— Et qu’est-il devenu ? Je cherche à retrouver sa trace.

Cody la dévisagea avec un drôle d’air.

— Il a disparu du jour au lendemain, lui dit-il en lui rendant sa monnaie et en glissant le livre dans un sac en papier. Plus personne n’a jamais entendu parler de lui.

— Que s’est-il passé ?

— Personne ne le sait. Il a disparu un beau jour de l’automne 1994.

— Tu veux dire la même année que le quadruple meurtre ?

— Oui, trois mois après. C’est pour cela que je m’en souviens. Ça a été un drôle d’été. La plupart des habitants de la ville ont préféré oublier ce qui a pu se passer ici.

Tout en parlant, il attrapa ses clés et fourra son téléphone portable, posé sur le comptoir, dans sa poche.

— Tu t’en vas ? lui demanda Anna.

— Oui, je vais profiter qu’il n’y a personne pour aller travailler un moment avec les autres bénévoles au Grand Théâtre. Ça fait un moment qu’on ne t’a pas vue, d’ailleurs.

— Je sais, je suis un peu débordée en ce moment. Je te dépose ? Je voulais justement aller au Grand Théâtre pour interroger les bénévoles à propos de Stephanie.

— Volontiers.

Le Grand Théâtre se situait à côté du Café Athéna, c’est-à-dire sur le haut de la rue principale, presque en face du début de la marina.

Comme dans toutes les villes paisibles, les accès aux bâtiments publics n’étaient guère surveillés et Anna et Cody pénétrèrent à l’intérieur du théâtre en en poussant simplement la porte principale. Ils traversèrent le foyer, puis la salle elle-même, descendant l’allée centrale, entre les rangées de sièges en velours rouge.

« Imagine cet endroit dans un mois, rempli de monde, dit Cody avec fierté. Tout ça grâce au travail des bénévoles. » Il gravit dans son élan les marches qui menaient à la scène et Anna lui emboîta le pas. Ils passèrent derrière les rideaux et rejoignirent les coulisses. Après un dédale de couloirs, ils poussèrent une porte derrière laquelle bourdonnait la ruche des bénévoles, qui se pressaient en tous sens : certains géraient la billetterie, d’autres les aspects logistiques. Dans une salle, on se préparait au collage des affiches et à la relecture des prospectus qui partiraient bientôt à l’impression. Dans l’atelier, une équipe s’attelait à monter un décor en charpente.