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Ce fut le début d’une aventure passionnée entre Mark et moi, qui se transforma en véritable relation sentimentale dans le meilleur sens du mot. Nous passâmes un premier vrai cap en allant dîner chez mes parents. Et pour la première fois, contrastant avec les quinze dernières années, je vis mon père rayonnant, affable et prévenant avec un homme qui m’accompagnait. Après avoir balayé tous les précédents, le voilà qui s’émerveillait.

« Quel type ! Quel type ! » me dit mon père au téléphone, le lendemain du dîner. « Il est extraordinaire ! » surenchérit ma mère en arrière-plan sonore. « Tâche de ne pas le faire fuir comme tous les autres ! » eut le culot d’ajouter mon père. « Oui, celui-ci est précieux », dit ma mère.

Le moment où Mark et moi allions passer le cap d’une année de relation coïncida avec nos traditionnelles vacances de ski en Colombie-Britannique. Mon père proposa de partir tous ensemble à Whistler et Mark accepta volontiers.

« Si tu survis à cinq soirées de suite avec mon père, et surtout aux compétitions de Scrabble, tu mériteras une médaille. »

Non seulement il survécut mais il gagna à trois reprises. À ajouter à cela qu’il skiait comme un dieu et que le dernier soir, alors que nous dînions au restaurant, un client à la table voisine fut pris d’un malaise cardiaque. Mark appela les secours tout en prodiguant des premiers soins vitaux à la victime en attendant l’ambulance.

L’homme fut sauvé et conduit à l’hôpital. Tandis que des secouristes l’emmenaient sur une civière, le médecin dépêché avec eux serra la main de Mark avec admiration. « Vous avez sauvé la vie de cet homme, monsieur. Vous êtes un héros. » Tout le restaurant l’applaudit et le patron refusa que l’on paie notre dîner.

C’est cette anecdote que mon père raconta à notre mariage, un an et demi plus tard, pour expliquer aux invités combien Mark était un homme exceptionnel. Et moi je rayonnais dans ma robe blanche, dévorant mon mari des yeux.

Notre mariage allait durer moins d’une année.

JESSE ROSENBERG

Jeudi 3 juillet 2014

23 jours avant le festival

La une de l’Orphea Chronicle :

LE MEURTRE DE STEPHANIE MAILER
SERAIT-IL EN LIEN AVEC LE FESTIVAL DE THÉÂTRE ?

L’assassinat de Stephanie Mailer, jeune journaliste de l’Orphea Chronicle dont le corps a été retrouvé dans le lac des Cerfs, laisse la ville en émoi. La population est inquiète et la municipalité est sous pression au moment où débute la saison estivale. Un tueur rôde-t-il parmi nous ?

Une note retrouvée dans la voiture de Stephanie et mentionnant le festival de théâtre d’Orphea laisserait penser qu’elle aurait payé de sa vie l’enquête qu’elle menait pour le compte de ce journal sur l’assassinat du maire Gordon, le fondateur du festival, ainsi que de sa famille en 1994.

Anna montra le journal à Derek et moi alors que nous nous retrouvions ce matin-là au centre régional de la police d’État, où le docteur Ranjit Singh, le médecin légiste, devait nous livrer les premiers résultats de l’autopsie du corps de Stephanie.

— Il ne manquait plus que ça ! s’agaça Derek.

— J’ai été idiot de parler de cette note à Michael, dis-je.

— Je l’ai croisé au Café Athéna avant de venir ici, je crois qu’il vit assez mal la mort de Stephanie. Il dit qu’il se sent un peu responsable. Qu’ont donné les analyses de la police scientifique ?

— Les traces de pneus de voiture sur le bord de la route 17 sont inexploitables malheureusement. Par contre, la chaussure est bien celle de Stephanie et le morceau de tissu provient du t-shirt qu’elle portait. Ils ont également relevé une trace de sa chaussure sur le bord de la route.

— Ce qui confirme qu’elle a traversé la forêt à cet endroit, conclut Anna.

Nous fûmes interrompus par l’arrivée du docteur Singh.

— Merci d’avoir travaillé si vite, lui dit Derek.

— Je voulais que vous puissiez avancer avant les congés du 4 Juillet, répondit-il.

Le docteur Singh était un homme élégant et affable. Il chaussa ses lunettes pour nous donner lecture des points essentiels de son rapport.

— J’ai relevé des choses assez inhabituelles, expliqua-t-il d’emblée. Stephanie Mailer est morte de noyade. J’ai trouvé une grande quantité d’eau dans ses poumons et dans son estomac, ainsi que de la vase dans la trachée. Il y a des signes importants de cyanose et de détresse respiratoire, ce qui signifie qu’elle a lutté, ou dans son cas qu’elle s’est débattue : j’ai découvert des hématomes sur sa nuque qui laissent l’empreinte d’une main large, ce qui signifierait qu’on lui a agrippé le cou de façon ferme pour lui plonger la tête dans l’eau. En plus des traces de vase dans la trachée, il y en a sur ses lèvres et ses dents ainsi que sur le haut des cheveux, ce qui indique que sa tête a été maintenue au fond de l’eau, à faible profondeur.

— A-t-elle été physiquement violentée avant sa noyade ? demanda Derek.

— Il n’y a aucune trace de coups violents, je veux dire par là que Stephanie n’a pas été assommée, ni battue. Pas d’agression sexuelle non plus. Je pense que Stephanie fuyait son meurtrier et qu’il l’a rattrapée.

— Il  ? demande Derek. Donc, pour toi, c’est un homme ?

— À en juger par la force nécessaire pour maintenir quelqu’un sous l’eau, je pencherais plutôt pour un homme, oui. Mais pourquoi pas une femme suffisamment forte ?

— Elle courait donc dans la forêt ? reprit Anna.

Singh acquiesça :

— J’ai relevé également de nombreuses contusions et marques sur le visage et les bras, dues à des griffures de branchages. Elle présente également des marques sur la plante de son pied déchaussé. Elle devait donc courir à toutes jambes dans la forêt et s’est écorché la plante du pied avec des branchages et des cailloux. Il y avait également des traces de terre sous ses ongles. Je pense qu’elle est probablement tombée sur la berge et que le meurtrier n’a eu qu’à lui appuyer la tête dans l’eau.

— Donc ce serait bien un crime de circonstance, dis-je. Celui qui a fait ça n’avait pas prévu de la tuer.

— J’allais y venir, Jesse, reprit le docteur Singh en nous présentant des photos en gros plans des épaules, des coudes, des mains et des genoux de Stephanie.

On y distinguait des plaies rougeâtres et sales.

— On dirait des brûlures, murmura Anna.

— Exactement, approuva Singh. Ce sont des abrasions relativement superficielles dans lesquelles j’ai trouvé des morceaux de bitume et des gravillons.

— Du bitume ? répéta Derek. Je ne suis pas certain de te suivre, doc.

— Eh bien, expliqua Singh, si l’on en croit la localisation des plaies, elles sont dues à un roulé-boulé sur du bitume, c’est-à-dire sur une route. Ce qui pourrait vouloir dire que Stephanie s’est volontairement éjectée d’une voiture en marche avant de s’enfuir dans la forêt.