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— Alors ? interrogea le docteur Lern, que s’est-il passé depuis la dernière séance ?

— Vous voulez dire il y a quinze jours, dégaina Dakota, puisque mon père a oublié de se pointer la semaine dernière ?…

— Excuse-moi de travailler pour payer les dépenses insensées de cette famille ! se défendit Jerry.

— Oh, Jerry, je t’en prie, ne commence pas ! le supplia sa femme.

— J’ai juste dit dernière séance, rappela le thérapeute d’une voix neutre.

Cynthia s’efforça de lancer la discussion de façon constructive.

— J’ai dit à Jerry qu’il devait passer plus de temps avec Dakota, expliqua-t-elle.

— Et qu’en pensez-vous, Jerry ? demanda le docteur Lern.

— J’en pense que cet été, ça va être compliqué : on doit boucler un concept d’émission. La concurrence est rude et on doit impérativement avoir développé un nouveau programme d’ici l’automne.

— Jerry ! s’énerva Cynthia, il doit bien y avoir quelqu’un qui peut te remplacer, non ? Tu n’as jamais de temps pour personne sauf pour ton travail !

— J’ai une famille et un psychiatre à nourrir, rétorqua cyniquement Jerry.

Le docteur Lern ne releva pas.

— De toute façon, tu penses qu’à ton boulot de merde, papa ! dit Dakota.

— N’utilise pas ce genre de vocabulaire, intima Jerry à sa fille.

— Jerry, lui demanda le thérapeute, que pensez-vous que Dakota essaie de vous dire lorsqu’elle parle en ces termes ?

— Que ce boulot de merde lui paie son téléphone, ses fringues, sa putain de voiture et tout ce qu’elle se fourre dans le nez !

— Dakota, est-ce que c’est ce que tu essaies de dire à ton père ? interrogea Lern.

— Nan. Mais je veux un chien, répondit Dakota.

— Toujours plus, se lamenta Jerry. D’abord tu veux un ordinateur, maintenant tu veux un chien…

— Ne parle plus de cet ordinateur ! se défendit Dakota. N’en parle plus jamais !

— Est-ce que l’ordinateur était une requête de Dakota ? interrogea Lern.

— Oui, expliqua Cynthia Eden. Elle aimait tellement écrire.

— Et pourquoi pas un chien ? interrogea le psychiatre.

— Parce qu’elle n’est pas responsable, dit Jerry.

— Comment tu peux le savoir si tu ne me laisses pas essayer ! protesta Dakota.

— Je vois comment tu t’occupes de toi et ça me suffit ! lui envoya son père.

— Jerry ! cria Cynthia.

— De toute façon, elle veut un chien parce que sa copine Neila a acheté un chien, expliqua doctement Jerry.

— C’est Leyla, pas Neila ! Tu ne connais même pas le nom de ma meilleure amie !

— Ta meilleure amie, cette fille ? Elle a appelé son chien Marijuana.

— Eh bien, Marijuana est très gentil ! protesta Dakota. Il a deux mois et il est déjà propre !

— Ça n’est pas le problème, bon sang ! s’agaça Jerry.

— Quel est le problème alors ? demanda le docteur Lern.

— Le problème, c’est que cette Leyla a une mauvaise influence sur ma fille. Chaque fois qu’elles sont ensemble, elles font des conneries. Vous voulez mon avis : tout ce qui s’est passé n’est pas la faute de l’ordinateur mais bien de cette Leyla !

— Le problème c’est toi, papa ! s’écria Dakota. Parce que tu es trop con et que tu ne comprends rien !

Elle se leva du canapé et quitta la séance qui n’avait duré qu’un quart d’heure.

* * *

À 17 heures 15, Anna, Derek et moi arrivâmes au Café Athéna à Orphea. Nous nous trouvâmes une table au fond et nous y installâmes discrètement. L’établissement était rempli par les bénévoles et les curieux venus assister à l’étrange réunion qui s’y tenait. Cody, prenant sa fonction de président des bénévoles très à cœur, se tenait debout sur une chaise et martelait des propos que la foule reprenait en chœur.

— Nous sommes en danger ! cria Cody.

— Oui, en danger ! répétèrent les bénévoles qui buvaient ses paroles.

— Le maire Brown nous cache la vérité sur la mort de Stephanie Mailer. Vous savez pourquoi elle a été tuée ?

— Pourquoi ? bêla le chœur.

— À cause du festival de théâtre !

— Le festival de théâtre ! hurlèrent les bénévoles.

— Sommes-nous venus donner de notre temps pour nous faire massacrer ?

— Noooooooon ! brailla la foule.

Un serveur vint nous servir du café et nous apporter les menus. Je l’avais déjà vu dans le restaurant. C’était un homme de type amérindien, aux cheveux mi-longs et grisonnants, et dont le prénom m’avait marqué. Il s’appelait Massachusetts.

Les bénévoles prirent la parole tour à tour. Beaucoup s’inquiétaient de ce qu’ils avaient lu dans l’Orphea Chronicle et craignaient d’être les prochaines victimes du tueur. Le maire Brown, présent également, écoutait les griefs de chacun et tâchait d’y apporter une réponse rassurante, espérant ramener les bénévoles à la raison.

— Il n’y a pas de tueur en série à Orphea, martela-t-il.

— Il y a bien un tueur, fit remarquer un petit homme, puisque Stephanie Mailer est morte.

— Écoutez, il s’est produit un événement tragique, c’est vrai. Mais cela n’a rien à voir avec vous ou le festival. Vous n’avez pas le moindre souci à vous faire.

Cody remonta sur sa chaise pour répondre au maire :

— Monsieur le maire, nous ne nous ferons pas massacrer pour un festival de théâtre !

— Je vais vous le répéter pour la centième fois, lui répondit Brown, cette affaire, aussi terrible soit-elle, n’a absolument aucun lien avec le festival ! Votre raisonnement est absurde ! Est-ce que vous vous rendez compte que, sans vous, le festival ne pourra pas avoir lieu ?

— Alors, c’est tout ce qui vous préoccupe, monsieur le maire ? réagit Cody. Votre festival à la noix, plutôt que la sécurité de vos concitoyens ?

— Je vous préviens simplement des conséquences d’une décision irrationnelle : si le festival de théâtre n’a pas lieu, la ville ne s’en relèvera pas.

— C’est le signe ! cria soudain une femme.

— Quel signe ? demanda un jeune homme inquiet.

— C’est la Nuit noire ! hurla la femme.

À cet instant, Derek, Anna et moi nous dévisageâmes, stupéfaits, tandis qu’à l’évocation de ces mots le Café Athéna résonna d’un tohu-bohu de plaintes inquiètes. Cody s’efforça de reprendre l’assemblée en main et lorsque le silence revint enfin, il proposa de passer au vote.

— Qui parmi vous est en faveur d’une grève totale jusqu’à ce que l’assassin de Stephanie soit arrêté ? demanda-t-il.

Une forêt de mains se leva : la quasi-totalité des bénévoles refusait de continuer à travailler. Et Cody de déclarer alors : « La grève totale est approuvée, et ce jusqu’à ce que l’assassin de Stephanie Mailer soit arrêté et notre sécurité garantie. » La séance clôturée, la foule se dispersa bruyamment hors de l’établissement, sous le soleil chaud de la fin de journée. Derek s’empressa de rattraper la femme qui avait parlé de la Nuit noire.