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— Jesse, tu n’es pas censé quitter la police ?

— Dans quatre jours seulement. Je suis encore flic pendant quatre jours. Lundi, quand je l’ai vue, Stephanie disait avoir un rendez-vous qui allait lui apporter les éléments manquant à son dossier…

— Laisse l’affaire à l’un de tes collègues, me suggéra-t-il.

— Hors de question ! Derek, cette fille m’a assuré qu’en 1994…

Il ne me laissa pas terminer ma phrase :

— On a bouclé l’enquête, Jesse ! C’est du passé ! Qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ? Pourquoi veux-tu à tout prix te replonger là-dedans ? Tu as vraiment envie de revivre tout ça ?

Je regrettai son manque de soutien.

— Alors, tu ne veux pas venir à Orphea avec moi ?

— Non, Jesse. Désolé. Je crois que tu délires complètement.

C’est donc seul que je me rendis à Orphea, vingt ans après y avoir mis les pieds pour la dernière fois. Depuis le quadruple meurtre.

Il fallait compter une heure de route depuis le centre régional de la police d’État, mais pour gagner du temps, je m’affranchis des limitations de vitesse en enclenchant la sirène et les gyrophares de mon véhicule banalisé. Je pris l’autoroute 27 jusqu’à la bifurcation vers Riverhead, puis la 25 en direction du nord-ouest. La route, dans le dernier tronçon, traversait une nature somptueuse, entre forêt luxuriante et étangs parsemés de nénuphars. J’atteignis bientôt la route 17, longiligne et déserte, qui rejoignait Orphea et sur laquelle je filai comme une flèche. Un immense panneau routier m’annonça bientôt que j’étais arrivé.

BIENVENUE À ORPHEA, NEW YORK.
Festival national de théâtre, 26 juillet — 9 août

Il était 17 heures. Je pénétrai dans la rue principale, verdoyante et colorée. Je vis défiler les restaurants, les terrasses et les boutiques. L’ambiance était paisible et vacancière. À l’approche des festivités du 4 Juillet[1], les lampadaires avaient été ornés de bannières étoilées, et des panneaux annonçaient un feu d’artifice pour le soir de la fête nationale. Le long de la marina bordée de massifs de fleurs et de buissons taillés, des promeneurs flânaient entre les cabanons proposant des tours d’observation des baleines et ceux des loueurs de vélos. Cette ville semblait sortie tout droit d’un décor de film.

Mon premier arrêt fut au poste de la police locale.

Le chef Ron Gulliver, qui dirigeait la police d’Orphea, me reçut dans son bureau. Je n’eus pas besoin de lui rappeler que nous nous étions déjà rencontrés vingt ans plus tôt : il se souvenait de moi.

— Vous n’avez pas changé, me dit-il en me secouant la main.

Je ne pouvais pas en dire autant de lui. Il avait mal vieilli et passablement grossi. Bien qu’il ne fût plus l’heure de déjeuner et pas encore celle de dîner, il était en train de manger des spaghettis dans une barquette en plastique. Et tandis que je lui expliquais les raisons de ma venue, il avala la moitié de son plat de façon tout à fait dégoûtante.

— Stephanie Mailer ? s’étonna-t-il, la bouche pleine. Nous avons déjà traité cette affaire. Il ne s’agit pas d’une disparition. Je l’ai expliqué à ses parents qui sont décidément de fichus enquiquineurs. Ils sortent par la porte et ils rentrent par la fenêtre, ceux-là !

— Ce sont peut-être simplement des parents inquiets pour leur fille, lui fis-je remarquer. Ils n’ont pas eu de nouvelles de Stephanie depuis trois jours et disent que c’est très inhabituel. Vous comprendrez que je veuille traiter cela avec la diligence nécessaire.

— Stephanie Mailer a 32 ans, elle fait ce qu’elle veut, non ? Croyez-moi, si j’avais des parents comme les siens, j’aurais moi aussi envie de m’enfuir, capitaine Rosenberg. Vous pouvez être tranquille, Stephanie s’est simplement absentée quelque temps.

— Comment pouvez-vous en avoir la certitude ?

— C’est son patron, le rédacteur en chef de l’Orphea Chronicle, qui me l’a dit. Elle lui a envoyé un message sur son portable lundi soir.

— Le soir de sa disparition, relevai-je.

— Mais puisque je vous dis qu’elle n’a pas disparu ! s’agaça le chef Gulliver.

À chacune de ses exclamations, un feu d’artifice al pomodoro sortait de sa bouche. Je reculai d’un pas pour éviter que les projections n’atterrissent sur ma chemise immaculée. Gulliver, après avoir dégluti, reprit :

— Mon adjoint a accompagné les parents chez elle. Ils ont ouvert avec leur double de la clé et inspecté : tout était en ordre. Le message reçu par son rédacteur en chef a confirmé qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Stephanie n’a de comptes à rendre à personne. Ce qu’elle fait de sa vie ne nous regarde pas. Quant à nous, nous avons fait notre boulot correctement. Alors, de grâce, ne venez pas me casser les pieds.

— Les parents sont très inquiets, insistai-je, et avec votre accord, je serais content de vérifier par moi-même que tout va bien.

— Si vous avez du temps à perdre, capitaine, ne vous gênez pas pour moi. Vous n’avez qu’à attendre que mon chef-adjoint, Jasper Montagne, revienne de sa patrouille. C’est lui qui s’est occupé de tout cela.

Quand le sergent-chef Jasper Montagne arriva enfin, je me retrouvai face à une gigantesque armoire à glace, aux muscles saillants et à l’air redoutable. Il m’expliqua qu’il avait accompagné les parents Mailer chez Stephanie. Ils étaient entrés dans son appartement : elle n’y était pas. Rien à signaler. Pas de signe de lutte, rien d’anormal. Montagne avait ensuite inspecté les rues avoisinantes à la recherche de la voiture de Stephanie, en vain. Il avait poussé le zèle jusqu’à appeler les hôpitaux et les postes de police de la région : rien. Stephanie Mailer s’était simplement absentée de chez elle.

Comme je voulais jeter un coup d’œil à l’appartement de Stephanie, il proposa de m’accompagner. Elle habitait sur Bendham Road, une petite rue calme proche de la rue principale, dans un immeuble étroit, bâti sur trois niveaux. Une quincaillerie occupait le rez-de-chaussée, un locataire louait l’appartement unique du premier étage, et Stephanie celui du deuxième.

Je sonnai longuement à la porte de son appartement. Je tambourinai, criai, mais en vain : il n’y avait visiblement personne.

— Vous voyez bien, elle n’est pas là, me dit Montagne.

Je tournai la poignée de la porte : elle était fermée à clé.

— Est-ce qu’on peut entrer ? demandai-je.

— Vous avez la clé ?

— Non.

— Moi non plus. Ce sont les parents qui ont ouvert l’autre jour.

— Donc on ne peut pas entrer ?

— Non. On ne va pas commencer à casser la porte des gens sans raison ! Si vous voulez être tout à fait rassuré, allez au journal local et parlez au rédacteur en chef, il vous montrera le message reçu de Stephanie lundi soir.

— Et le voisin du dessous ? demandai-je.

— Brad Melshaw ? Je l’ai interrogé hier, il n’a rien vu, ni rien entendu de particulier. Ça ne sert à rien d’aller sonner chez lui : il est cuisinier au Café Athéna, le restaurant branché du haut de la rue principale, et il y est en ce moment.

Je ne me laissai pas démonter pour autant : je descendis d’un étage et sonnai chez ce Brad Melshaw. En vain.

— Je vous l’avais dit, soupira Montagne en redescendant les escaliers tandis que je restais encore un instant sur le palier à espérer qu’on m’ouvrirait.

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1

Jour de la fête nationale américaine.