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— Qu’est-ce que la Nuit noire, madame ? lui demanda-t-il.

Elle le dévisagea d’un air apeuré.

— Vous n’êtes pas d’ici, monsieur ?

— Non, madame. Je suis de la police d’État.

Il lui montra son badge. La femme lui dit alors à voix basse :

— La Nuit noire est la pire chose qui puisse arriver. La personnification d’un grand malheur. Elle s’est déjà produite une fois, et elle va se reproduire.

— Je ne suis pas sûr de comprendre, madame.

— Vous n’êtes donc au courant de rien ? L’été 1994, l’été de la Nuit noire !

— Vous parlez des quatre assassinats ?

Elle acquiesça d’un geste inquiet de la tête.

— Ces assassinats, c’était la Nuit noire  ! Et cela va se reproduire cet été ! Partez loin d’ici, partez avant que le malheur ne vous rattrape et frappe cette ville. Ce festival est maudit !

Elle quitta les lieux précipitamment et disparut avec les derniers bénévoles, qui laissèrent le Café Athéna vide. Derek revint à notre table. Hormis nous, il ne restait plus à l’intérieur que le maire Brown.

— Cette femme avait l’air drôlement effrayée par cette histoire de Nuit noire, dis-je au maire.

Il haussa les épaules.

— N’y prêtez pas attention, capitaine Rosenberg, la Nuit noire n’est qu’une légende ridicule. Cette femme débloque.

Le maire Brown s’en alla à son tour. Massachusetts s’empressa de venir à notre table verser du café dans nos tasses, que nous avions à peine touchées. Je compris que c’était un prétexte pour nous parler. Il murmura :

— Le maire ne vous a pas dit la vérité. La Nuit noire est plus qu’une légende urbaine. Beaucoup ici y croient et y voient une prédiction qui s’est déjà réalisée en 1994.

— Quel genre de prédiction ? demanda Derek.

— Qu’un jour, par la faute d’une pièce, la ville sera plongée dans le chaos pendant toute une nuit : la fameuse Nuit noire.

— Est-ce ce qui s’est passé en 1994 ? m’enquis-je.

— Je me souviens que juste après l’annonce de la création du festival de théâtre par le maire Gordon, il a commencé à se produire des évènements étranges en ville.

— Quel genre d’évènements ? l’interrogea Derek.

Massachusetts ne put nous en dire plus car, à cet instant, la porte du Café Athéna s’ouvrit. C’était la propriétaire des lieux qui arrivait. Je la reconnus aussitôt : il s’agissait de Sylvia Tennenbaum, la sœur de Ted Tennenbaum. Elle devait avoir 40 ans à l’époque et donc 60 aujourd’hui, mais elle n’avait physiquement guère changé : elle était restée cette femme sophistiquée que j’avais rencontrée dans le cadre de l’enquête. Lorsqu’elle nous vit, elle ne put retenir une expression déconcertée qu’elle s’empressa de remplacer par un visage glacial :

— On m’avait dit que vous étiez revenus en ville, nous dit-elle d’une voix dure.

— Bonjour, Sylvia, lui répondis-je. Je ne savais pas que c’était vous qui aviez repris cet établissement.

— Il fallait bien que quelqu’un s’en occupe, après que vous avez tué mon frère.

— Nous n’avons pas tué votre frère, objecta Derek.

— Vous n’êtes pas les bienvenus ici, martela-t-elle pour toute réponse. Payez et partez.

— Très bien, dis-je. Nous ne sommes pas venus ici pour vous chercher des ennuis.

Je demandai l’addition à Massachusetts, qui nous l’apporta aussitôt. Au bas du ticket de caisse, il avait inscrit au stylo à bille :

Renseignez-vous sur ce qui s’est passé la nuit du 11 au 12 février 1994.

*

— Je n’avais pas fait le lien entre Sylvia et Ted Tennenbaum, nous dit Anna alors que nous ressortions du Café Athéna. Que s’est-il passé avec son frère ?

Ni Derek ni moi n’avions envie d’en parler. Il y eut un silence et Derek finit par changer de sujet :

— Commençons par tirer au clair cette histoire de Nuit noire et cette note laissée par Massachusetts.

Il y avait une personne qui pouvait certainement nous aider à ce sujet : Michael Bird. Nous nous rendîmes à la rédaction de l’Orphea Chronicle et, en nous voyant entrer dans son bureau, Michael Bird nous demanda :

— Vous venez à cause de la une du journal ?

— Non, lui répondis-je, mais puisque vous en parlez je voudrais bien savoir pourquoi vous avez fait ça ? Je vous ai parlé de la note retrouvée dans la voiture de Stephanie au cours d’une conversation amicale ! Pas pour que cela finisse sur la première page de votre journal.

— Stephanie était une femme très courageuse, une journaliste exceptionnelle ! me répondit Michael. Je refuse qu’elle soit morte en vain : tout le monde doit connaître son travail !

— Justement, Michael, le meilleur moyen de lui rendre hommage est de terminer son enquête. Pas de semer la panique en ville en éventant les pistes de l’enquête.

— Je suis désolé, Jesse, dit Michael. J’ai l’impression de n’avoir pas su protéger Stephanie. Je voudrais tellement pouvoir revenir en arrière. Et dire que j’ai cru à son foutu SMS. C’est moi qui vous disais, il y a une semaine, qu’il n’y avait pas d’inquiétude à avoir.

— Vous ne pouviez pas savoir, Michael. Ne vous torturez pas inutilement parce que, de toute façon, elle était déjà morte à ce moment-là. Il n’y avait plus rien que l’on puisse faire.

Michael s’affala sur sa chaise, atterré. J’ajoutai alors :

— Mais vous pouvez nous aider à retrouver celui qui a fait ça.

— Tout ce que vous voulez, Jesse. Je suis à votre disposition.

— Stephanie s’était intéressée à un terme dont nous ne parvenons pas à saisir le sens : la Nuit noire.

Il eut un sourire amusé.

— J’ai vu ces deux mots sur la note que vous m’avez montrée et j’ai été intrigué aussi. Du coup, j’ai fait mes recherches dans les archives du journal.

Il sortit un dossier de son tiroir et nous le tendit. À l’intérieur, une série d’articles parus entre l’automne 1993 et l’été 1994 faisaient état d’inscriptions aussi inquiétantes qu’énigmatiques. D’abord sur le mur du bureau de poste : Bientôt : La Nuit noire. Puis à travers la ville.

Une nuit de novembre 1993, un feuillet fut déposé derrière les essuie-glaces de centaines de voitures, sur lequel il était écrit : La Nuit noire arrive.

Un matin de décembre 1993, les habitants de la ville se réveillèrent avec des feuillets déposés devant leur porte : Préparez-vous, La Nuit noire arrive.

En janvier 1994, une inscription à la peinture sur la porte d’entrée de la mairie lançait un compte à rebours : Dans six mois : La Nuit noire.

En février 1994, après l’incendie volontaire d’un bâtiment désaffecté de la rue principale, les pompiers découvraient sur les murs une nouvelle inscription : LA NUIT NOIRE VA BIENTÔT DÉBUTER.

Et ainsi de suite jusqu’à début juin 1994, où ce fut au tour du Grand Théâtre de voir sa façade vandalisée : Le festival de théâtre va commencer : La Nuit noire aussi.