Il était 20 heures précises lorsque nous arrivâmes en bas de l’immeuble de Stephanie, sur Bendham Road. Nous montâmes tous les trois jusqu’à son appartement. Trudy Mailer me donna la clé pour que j’ouvre la porte, mais alors que je la tournais dans la serrure, elle résista. La porte n’était pas fermée à clé. Je ressentis une puissante montée d’adrénaline : il y avait quelqu’un à l’intérieur. Était-ce Stephanie ?
J’appuyai doucement sur la poignée et la porte s’entrebâilla. Je fis signe aux parents de rester silencieux. Je poussai doucement la porte qui s’ouvrit sans bruit. Je vis aussitôt du désordre dans le salon : quelqu’un était venu fouiller les lieux.
— Descendez, murmurai-je aux parents. Retournez à votre voiture et attendez que je vienne vous chercher.
Dennis Mailer acquiesça et entraîna sa femme avec lui. Je dégainai mon arme et fis quelques pas dans l’appartement. Tout avait été retourné. Je commençai par inspecter le salon : les étagères avaient été renversées, les coussins du canapé éventrés. Des objets divers éparpillés sur le sol attirèrent mon attention, et je ne remarquai pas la silhouette menaçante qui approchait derrière moi en silence. C’est en me retournant pour aller faire le tour des autres pièces que je me retrouvai nez à nez avec une ombre qui m’aspergea le visage avec une bombe lacrymogène. Mes yeux me brûlèrent, j’eus la respiration coupée. Je me pliai en deux, aveuglé. Je reçus un coup.
Ce fut le rideau noir.
20 heures 05 au Café Athéna.
Il paraît que l’Amour arrive toujours sans prévenir, mais il ne faisait aucun doute que l’Amour avait décidé de rester chez lui ce soir-là en infligeant ce dîner à Anna. Cela faisait une heure maintenant que Josh parlait sans discontinuer. Son monologue tenait de la prouesse. Anna, qui avait cessé de l’écouter, s’amusait à compter les je et les moi qui sortaient de sa bouche comme des petits cafards qui la rebutaient un peu plus à chaque mot. Lauren, qui ne savait plus où se mettre, en était à son cinquième verre de vin blanc, tandis qu’Anna se contentait de cocktails sans alcool.
Finalement, sans doute épuisé par ses propres paroles, Josh attrapa un verre d’eau et l’avala d’un trait, ce qui le força à se taire. Après cet instant de silence bienvenu, il se tourna vers Anna et lui demanda d’un ton compassé : « Et toi, Anna, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Lauren n’a pas voulu me le dire. » À ce moment précis, le téléphone d’Anna sonna. En voyant le numéro qui s’affichait sur l’écran, elle comprit immédiatement qu’il s’agissait d’une urgence.
— Désolée, s’excusa-t-elle, je dois prendre cet appel.
Elle se leva de table, et fit quelques pas à l’écart, avant de revenir rapidement en annonçant qu’elle devait malheureusement s’éclipser.
— Déjà ? regretta Josh visiblement déçu. On n’a même pas eu le temps de faire connaissance.
— Je connais tout de toi, c’était… passionnant.
Elle embrassa Lauren et son mari, salua Josh d’un geste de la main qui signifiait « à jamais ! » puis elle quitta rapidement la terrasse. Elle avait dû taper dans l’œil de ce pauvre Josh parce qu’il lui emboîta le pas et l’accompagna sur le trottoir.
— Tu veux que je te dépose quelque part ? lui demanda-t-il. J’ai un…
— Coupé Mercedes, l’interrompit-elle. Je sais, tu me l’as dit deux fois. C’est gentil, mais je suis garée juste là.
Elle ouvrit le coffre de sa voiture, tandis que Josh restait planté derrière elle.
— Je demanderai ton numéro à Lauren, dit-il, je suis souvent dans le coin, on pourrait boire un café.
— Très bien, répondit Anna pour qu’il s’en aille, tout en ouvrant un grand sac en toile qui encombrait son coffre.
Josh poursuivit :
— En fait, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu faisais comme métier.
Au moment où il terminait sa phrase, Anna sortit du sac un gilet pare-balles et l’enfila. Alors qu’elle ajustait les fixations autour de son corps, elle vit les yeux de Josh s’écarquiller et fixer l’écusson réfléchissant sur lequel était inscrit en lettres majuscules :
— Je suis le chef-adjoint de la police d’Orphea, lui dit-elle en sortant un étui dans lequel était rangée son arme et qu’elle accrocha à sa ceinture.
Josh la dévisagea, hébété et incrédule. Elle monta dans sa voiture banalisée et démarra en trombe, faisant resplendir dans la lumière du soir tombant les éclairs bleus et rouges de ses gyrophares, avant d’enclencher sa sirène, attirant les regards de tous les passants.
D’après la centrale, un agent de la police d’État venait d’être agressé dans un immeuble tout proche. Toutes les patrouilles disponibles ainsi que l’officier de permanence avaient été appelés pour intervenir.
Elle descendit la rue principale à toute allure : les piétons en train de traverser retournèrent se réfugier sur les trottoirs et, dans les deux sens du trafic, les voitures se rangeaient sur le côté en la voyant approcher. Elle roulait au milieu de la route, pied au plancher. Elle avait l’expérience des appels d’urgence aux heures de pointe à New York.
Lorsqu’elle arriva au bas de l’immeuble, une patrouille de police était déjà sur place. En pénétrant dans le hall, elle tomba sur l’un de ses collègues qui redescendait les escaliers. Il lui cria :
— Le suspect s’est enfui par la porte arrière de l’immeuble !
Anna traversa tout le rez-de-chaussée jusqu’à l’issue de secours, à l’arrière du bâtiment, qui donnait sur une ruelle déserte. Un étrange silence régnait : elle tendit l’oreille, à l’affût d’un son qui puisse l’aiguiller, avant de reprendre sa course et d’arriver jusqu’à un petit parc désert. À nouveau, silence total.
Elle crut entendre un bruit dans les fourrés : elle sortit son arme de son étui et se précipita à l’intérieur du parc. Rien. Soudain, il lui sembla voir une ombre courir. Elle s’élança à sa poursuite, mais elle perdit rapidement sa trace. Elle finit par s’arrêter, désorientée et hors d’haleine. Le sang martelait ses tempes. Elle entendit un bruit derrière une haie de buissons : elle s’approcha lentement, le cœur battant. Elle vit une ombre, qui avançait à pas feutrés. Elle attendit le moment propice, puis elle bondit, braquant son arme sur le suspect et lui ordonnant de ne plus bouger. C’était Montagne, qui la braquait aussi.
— Putain, Anna, t’es cinglée ? s’écria-t-il.
Elle soupira et remit son arme dans son étui tout en se pliant en deux pour reprendre son souffle.
— Montagne, qu’est-ce que tu fous ici ? lui demanda-t-elle.
— Permets-moi de te retourner la question ! Tu n’es pas de service ce soir !
En sa qualité de chef-adjoint, Montagne était techniquement son supérieur hiérarchique. Elle n’était que deuxième adjoint.
— Je suis de permanence, expliqua Anna. La centrale m’a appelée.
— Dire que j’étais sur le point de le coincer ! s’agaça Montagne.
— De le coincer ? Je suis arrivée avant toi. Il n’y avait qu’une patrouille devant l’immeuble.