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de leur enfantement, et toute leur semence.

Leur foule vint ensuite, en une seule fois,

pleurant amèrement, sur la rive fatale

où dévalent tous ceux qui ne craignent pas Dieu.

Pendant ce temps, Caron, le diable aux yeux de braise,

rassemble leur troupeau, les range avec des signes,

frappant de l'aviron ceux qui semblent trop lents.

Comme tombent, l'automne, et s'envolent au vent

les feuilles tour à tour, en sorte que la branche

finit par enrichir le sol de sa dépouille,

ces mauvais héritiers de l'engeance d'Adam

se détachent des bords, répondant à ses signes

comme l'oiseau des bois obéit à l'appeau.

Ensuite ils partent tous sur les ondes noirâtres;

et ils n'ont pas rejoint le rivage d'en face,

qu'une nouvelle file a remplacé la leur.

«Mon cher enfant, me dit courtoisement mon maître,

ceux que la mort surprend dans le courroux de Dieu

arrivent tous ici, quel que soit leur pays.

Ils courent aussitôt pour traverser le fleuve;

la justice de Dieu les y pousse si fort,

que leur même terreur se transforme en désir.

Jamais une âme juste ici n'est descendue;

donc, si Caron s'émeut de te voir arriver,

tu comprends maintenant le sens de sa surprise.»

Il venait de parler, quand l'étendue obscure

trembla soudain si fort, que le seul souvenir

de ma frayeur d'alors me baigne de sueur.

De la terre des pleurs surgit une tourmente

qui jetait des lueurs rouges comme la foudre,

si fort, que j'en perdis le contrôle des sens,

et je tombai par terre, comme un homme qui dort.

CHANT IV

Je fus soudain tiré de mon profond sommeil

par un coup de tonnerre [35], et je revins à moi

comme lorsqu'on vous vient réveiller en sursaut.

Je promenais partout un regard frais et neuf

et, debout, je tâchais de tout bien observer,

pour reconnaître mieux l'endroit où nous étions.

Je pus m'apercevoir que j'étais sur le bord

du vallon douloureux de l'abîme où ne règne

que le bruit infini des lamentations.

Il était si profond et si plein de ténèbres

que, malgré mes efforts pour regarder au fond,

je ne puis distinguer aucun de ses détails [36].

«Nous descendons au sein de la nuit éternelle,

dit alors le poète au visage de cire;

j'entrerai le premier, tu seras le second.»

Mais moi, m'apercevant soudain de sa pâleur,

je dis: «Comment entrer, si tu le crains toi-même,

qui devrais cependant me donner du courage?»

«La pitié, me dit-il, que je sens pour les gens

perdus dans cette fosse a peint sur mon visage

la couleur que tu prends pour un signe de peur.

Allons! Un grand chemin nous attend désormais!»

C'est ainsi qu'il entrait et qu'il me fit entrer

dans le cercle premier qui fait le tour du puits [37].

Là, si je puis juger par ce qu'on entendait,

personne ne pleurait, mais de nombreux soupirs

y faisaient frissonner une brise éternelle.

Leur source à tous était la douleur sans tourment

qu'éprouvait cette foule aux vagues infinies,

d'hommes entremêlés de femmes et d'enfants.

Le bon maître me dit: «Ne veux-tu pas savoir

qui sont tous ces esprits que tu vois de si près?

Or, il te faut savoir, avant d'aller plus loin,

qu'ils n'avaient pas péché. S'ils eurent du mérite,

il n'est pas suffisant: ils n'ont pas le baptême,

seule porte d'entrée à la foi qui te sauve.

La vérité chrétienne arrivant après eux,

ils ne purent aimer Dieu comme ils le devaient;

et moi-même, d'ailleurs, j'appartiens à leur troupe.

C'est pour ce seul défaut, et non pour d'autres crimes,

que nous sommes perdus; et notre seule peine

est de vivre et d'attendre et d'ignorer l'espoir.»

Je me sentis frémir de douleur, à l'entendre,

car je reconnaissais des hommes de valeur

parmi les condamnés compris dans ce grand limbe.

«Dis-moi donc, mon seigneur, dis-moi, mon maître,

commençai-je à lui dire, afin de mieux connaître alors,

la croyance qui seule supprime toute erreur,

nul n'est sorti d'ici pour aller au bonheur,

par son propre mérite ou par l'œuvre des autres?»

Et lui, qui pénétrait le sens de mes propos,

il dit: «J'étais nouveau dans l'endroit que voici,

quand j'y vis arriver un Seigneur tout-puissant [38]

et qui portait le nimbe en signe de victoire.

Il en a fait sortir l'ombre du premier père,

celle d'Abel son fils et celle de Noé,

Moïse auteur des lois obéissant à Dieu,

Abraham patriarche, avec le roi David,

Israël et son père, avec tous ses enfants

et Rachel pour laquelle il avait tant peiné,

avec d'autres encor, dont il fit des heureux;

et il te faut savoir qu'avant ceux dont je parle

aucun esprit humain n'avait pu se sauver.»

Nous cheminions toujours pendant qu'il me parlait,

avançant tous les deux dans l'épaisse forêt

que formaient les troupeaux des âmes entassées;

et depuis mon réveil nous n'avions parcouru

qu'un tout petit chemin, quand je crus entrevoir

comme un feu qui perçait la sphère des ténèbres,

et, malgré la distance où je l'apercevais,

je compris aussitôt que c'était un endroit

réservé pour des gens d'une classe meilleure.

«Toi, le plus grand honneur des sciences et des arts,

qui donc jouit là-bas d'un pareil privilège,

qui semble distinguer leur troupe au sein des autres?»

«La gloire de leur nom, répondit-il alors,

qui retentit encore au monde d'où tu viens,

intercède pour eux, et le Ciel les protège.»

À ce même moment, j'entendis une voix

dire: «Rendons hommage à l'illustre poète:

son ombre rentre enfin aux lieux qu'elle a quittés.»

À peine cette voix achevait de parler,

que je vis s'avancer vers nous quatre ombres grandes

dont l'aspect ne montrait ni tristesse ni joie.

Et mon maître crut bon de m'expliquer encore:

«Tu vois celui qui tient une épée à la main

et marche comme un prince à la tête des autres:

ce souverain poète est le célèbre Homère,

et celui qui le suit, le satirique Horace;

le suivant est Ovide, et le dernier, Lucain.

Comme ils sont, en effet, tous les quatre mes pairs

dans cette qualité que la voix vient de dire,

ils me font cet honneur, et d'ailleurs ils font bien.»

C'est ainsi que je vis le beau chœur assemblé

de ce puissant seigneur du chant le plus illustre,

qui plane comme un aigle au-dessus de ses pairs [39].

Après avoir parlé quelques instants entre eux,

ils se tournèrent tous vers moi, pour m'accueillir,

et mon maître observait ma mine en souriant.

Ils me firent alors un honneur bien plus grand,

car je fus même admis parmi leur compagnie,