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Dante Alighieri

La Divine Comédie Tome II: Le Purgatoire

Dante Alighieri

La Divine Comédie Tome II: Le Purgatoire

(1307-1313)

CHANT I

L’esquif de mon génie à présent tend la voile

et s’apprête à courir sur des ondes plus belles,

laissant derrière lui cette mer trop cruelle.

Je suis prêt à chanter le royaume second,

où l’esprit des humains vient se purifier

et se rend digne ainsi de monter jusqu’au Ciel.

Faites ressusciter ici, célestes Muses,

puisque je suis à vous, la morte poésie [1];

et que Calliope enfle encore plus la voix

et vienne accompagner mon chant de ces doux sons

dont l’effet fut senti par les dolentes Pies

lorsqu’il leur enleva tout espoir de pardon [2].

L’agréable couleur du saphir d’Orient

qui baignait de l’azur la pureté sereine,

limpide jusqu’aux bords du lointain horizon,

s’offrit une autre fois à mes regards charmés,

sitôt que je sortis de l’atmosphère morte

qui peinait à la fois et mes yeux et mon cœur.

Et l’astre souriant qui nous parle d’amour [3]

faisait déjà briller le bord de l’Orient

et pâlir les Poissons qui forment son escorte.

Et moi, j’avais tourné mon regard vers la droite,

pour mieux voir l’autre pôle, où brillaient quatre étoiles

que les premiers humains ont pu seuls contempler [4].

Le Ciel en paraissait plus heureux et plus gai;

oh! comme notre Nord est veuf de toute joie,

lui qui n’a pas le droit d’admirer leur éclat!

Puis, ayant détaché mon regard de ce point

et m’étant retourné vers notre pôle à nous,

où l’on ne voyait plus les étoiles de l’Ourse,

je vis à mes côtés un vieillard solitaire [5]

dont l’air et le maintien inspiraient le respect,

comme celui que doit un enfant à son père.

Sa longue barbe était de poils blancs parsemée,

d’une couleur pareille à celle des deux tresses

que formaient ses cheveux tombant sur sa poitrine.

Le quadruple rayon des étoiles sacrées

mettait sur son visage une telle clarté,

qu’il me semblait le voir mieux qu’avec le soleil.

«D’où venez-vous? Fit-il dans les flots de sa barbe;

comment avez-vous fui la prison éternelle,

pour venir remonter le fleuve des ténèbres?

Et qui donc vous guidait? Qui fut votre lanterne,

pour vous faire sortir de la profonde nuit

qui rend toujours obscurs les vallons de l’Enfer?

Est-ce ainsi qu’on enfreint les lois de votre abîme?

ou bien le Ciel a-t-il si fortement changé,

que vous pouvez entrer, damnés, dans mes domaines?

Mon guide, à ce discours, me prenant par la main,

par ses mots, par ses mains, par les signes qu’il fit

me le fit révérer des yeux et du genou,

et dit: «Je ne viens pas jusqu’ici, de mon chef;

mais une dame vint du Ciel, dont les prières

m’ont fait accompagner celui-ci, pour l’aider.

Mais si tu veux savoir avec plus de détail

quelle est la vérité de nos conditions,

ma volonté ne peut que répondre à la tienne.

Cet homme n’a point vu venir sa nuit dernière;

mais grâce à sa folie il la frôla de près

et par un pur miracle il put s’en ressaisir.

Comme je te l’ai dit, je fus mandé vers lui

afin de le sauver; mais je n’ai pu le faire

que par ce seul chemin que nous avons suivi.

Je viens de lui montrer toute la gent perverse;

je pense maintenant lui montrer les esprits

qui, surveillés par toi, se purgent de leurs torts.

Comment je m’y suis pris, serait trop long à dire;

suffit qu’une vertu descende du Ciel, qui m’aide

à le conduire ici, pour t’entendre et te voir.

Que sa visite donc ne te déplaise pas:

il va reconquérir la liberté si chère

que beaucoup de mortels l’aiment mieux que la vie.

Et tu le sais bien, toi, qu’Utique a vu pour elle

trouver la mort plus douce et perdre sans regret

l’habit qui brillera si fort, lors du grand jour [6].

Nous n’avons pas enfreint les décrets éternels;

celui-ci vit; Minos n’a pas de droit sur moi,

car j’appartiens au cercle où sont les chastes yeux

de Marcia [7], qui semble encor te supplier

de la tenir pour tienne, ô cœur plein de noblesse!

Sois-nous donc bienveillant, au nom de son amour,

et laisse-nous passer par tous tes sept royaumes [8];

et je lui conterai cette faveur insigne,

si tu veux que ton nom soit prononcé là-bas.»

«Marciac fut jadis à mon âme si chère,

pendant que je vivais, répondit le vieillard,

qu’elle obtenait de moi tout ce qu’elle voulait.

Mais elle ne peut plus m’émouvoir, maintenant

qu’elle reste au-delà de ce fleuve maudit

que j’ai franchi jadis, car telle est notre loi.

Cependant, si du Ciel cette dame te guide,

comme tu dis, pourquoi chercher à me flatter?

Il suffit qu’en son nom tu viennes me le dire.

Va donc; que celui-ci se mette une ceinture

faite d’un jonc ténu; lave-lui le visage,

pour le débarrasser de toutes ses souillures;

car il ne convient pas qu’il vienne à contempler

le premier serviteur venu du Paradis,

avec les yeux couverts d’un reste de brouillard.

Autour de cet îlot, sur ses bords les plus bas,

à l’endroit où les flots se brisent sur la côte,

au-dessus du limon pousse une joncheraie.

Nulle plante, ni celle à la tige endurcie,

ni celle qui produit des feuilles, n’y prend pied,

ne pouvant pas plier pour supporter les chocs.

N’allez pas revenir ensuite par ici;

le soleil qui paraît vous montrera bientôt

l’endroit où le monter vous sera plus aisé.»

Il disparut ensuite. Alors je me levai

sans prononcer un mot, en me serrant de près

au guide et en cherchant de mes yeux son regard.

«Mon fils, commença-t-il à me dire, suis-moi!

Revenons sur nos pas: c’est par là que la plaine

descend et nous conduit du côté le plus bas.»

L’aube chassait déjà les ombres du matin

qui fuyaient devant elle, en sorte que de loin

je croyais deviner le long frisson des vagues.

Nous allions tout au long de la plaine déserte,

comme celui qui cherche un bon chemin perdu

et ne croit pas marcher tant qu’il n’a pas trouvé.

À la fin, arrivés au point où la rosée

lutte avec le soleil et lui résiste mieux,

car la fraîcheur du lieu la défend des rayons,

mon seigneur, doucement, vint poser ses deux mains

ouvertes largement sur ce joli gazon;

et moi, qui devinais quelle était sa pensée,