se promirent pour dot leur salut mutuel,
la femme qui pour lui donnait l’assentiment
dans un songe entrevit les admirables fruits
qui devaient provenir de lui comme des siens
et, pour qu’il fût de nom tel qu’il fut par nature,
une inspiration lui fit donner le nom
du possessif du maître auquel il appartient [149].
Il fut dit Dominique; et je parle de lui
comme du jardinier qu’avait choisi le Christ,
pour vaquer avec lui aux soins de son jardin.
Il était messager et compagnon du Christ,
car le premier amour qu’on a pu voir en lui
fut le premier conseil qu’avait donné le Christ [150].
Sa nourrice, souvent, le trouvait étendu
en silence, éveillé, contre la terre nue,
comme s’il avait dit: «Voilà pourquoi je viens [151]!»
Que son père vraiment fut bien nommé Félix!
Que sa mère vraiment mérita d’être Jeanne,
si, bien interprété, ce nom vaut ce qu’il dit [152]!
Et non pas pour le siècle, auquel pensent tous ceux
que font peiner en vain l’Ostiense ou Thaddée [153],
mais pour le seul amour de la manne réelle,
il devint grand docteur, après un bref délai,
tel qu’il se mit bientôt à travailler la vigne
qu’un mauvais vigneron réduit vite à néant.
Puis, au siège qui fut plus bénin autrefois
aux pauvres méritants (non pas lui, mais plutôt
celui qui l’occupait, et maintenant forligne) [154],
ce n’est pas un rabais de deux ou trois sixièmes,
ce n’est pas le premier bénéfice vacant,
pas plus que decimas, quae sunt pauperum Dei,
qu’il demanda; mais bien licence pour combattre
les erreurs de ce monde, au nom de la semence
dont vingt-quatre fleurons tournent autour de toi [155].
Puis; fort de sa doctrine et de sa volonté,
il est parti servir l’office apostolique,
comme un torrent jailli d’une veine puissante,
et il s’en fut porter aux déserts hérétiques
son cours impétueux, d’autant plus vivement
qu’avec plus de vigueur ceux-ci lui résistaient.
Divers autres ruisseaux découlèrent de lui [156],
qui vinrent arroser le jardin catholique,
fortifiant ainsi ses nombreux arbrisseaux.
Si telle est, dans le char, l’une de ces deux roues
qui de la sainte Église assurent la défense,
la faisant triompher dans la guerre civile,
je crois que maintenant tu dois voir clairement
l’excellence de l’autre, au sujet de laquelle
Thomas fut si courtois avant mon arrivée.
Cependant, le sillon qu’avait tracé le haut
de sa rondeur [157] se trouve à présent délaissé,
si bien qu’au lieu de tartre on n’a que moisissure [158];
car ses héritiers, qui jadis marchaient droit
tant qu’ils l’avaient suivi, cheminent en désordre,
le premier fourvoyant celui qui vient derrière.
Et l’on verra bientôt se lever la moisson
de ce mauvais labeur; et ce jour-là l’ivraie
réclamera le droit de rentrer au grenier.
Il n’est que naturel qu’en passant feuille à feuille
notre volume, on puisse y trouver quelque page
où l’on lise: «Je suis ce que je fus toujours»,
mais non pas dans Casal ni dans Acquasparta,
qui n’augmentent le livre que de mauvais feuillets,
l’un pour mieux l’éluder, l’autre pour le raidir [159].
Je suis l’âme, pour moi, de ce Bonaventure
de Bagnoreggio, qui, dans les grands offices,
ai toujours méprisé ce que faisait la gauche [160].
Augustin est là-bas, avec l’Illuminé [161],
qui des pauvres déchaux furent deux des premiers
dont le cordon gagna l’amitié de Dieu.
Tu vois aussi près d’eux Hugues de Saint-Victor
et Pierre le Mangeur et Pierre l’Espagnol,
qui brille encor chez vous grâce à ses douze livres [162];
le prophète Nathan et le métropolite
Chrysostome, et Anselme, ainsi que ce Donat
qui daigna s’occuper des rudiments de l’art [163];
Raban est avec nous et, à côté de moi,
tu vois briller l’abbé Joachim de Calabre [164],
qui fut jadis doué d’un esprit prophétique.
Ce furent de Thomas l’ardente courtoisie
et le discret latin, qui m’ont encouragé
à louer de la sorte un si grand paladin,
entraînant avec moi toute ma compagnie.»
CHANT XIII
Que celui qui prétend voir ce que moi j’ai vu
imagine (et qu’il garde aussi ferme qu’un roc
cette image, le temps que dure mon discours)
quinze astres resplendir dans des points différents
du ciel, en y mettant une telle clarté
qu’elle transpercerait n’importe quel brouillard.
Qu’il imagine aussi ce char que notre ciel
garde dans son giron la nuit comme le jour
et qui reste visible en virant du timon.
Qu’il imagine un cor avec son pavillon
et dont le but commence à la pointe de l’axe
autour duquel se meut la première des sphères,
dessinant sur le ciel, de ses astres, deux signes
pareils à ceux que fit la fille de Minos
lorsqu’elle ressentit les affres de la mort;
et que, l’un se baignant dans les rayons de l’autre,
ils tournent tous les deux, mais de telle manière
que l’un va vers d’abord et l’autre vers tantôt [165].
Il pourra voir alors du vrai groupe d’étoiles
l’ombre ou peut-être moins, et de la double danse
qui tournait tout autour du point où je restais;
car elle surpassait tout ce que nous savons,
de même que le cours du ciel le plus rapide
surpasse, sur le sol, le cours de la Chiana [166].
Là-haut, on ne chantait ni Bacchus ni Péan,
mais de la Trinité la nature divine,
avec l’humaine en plus chez l’un seul de ces trois.
La mesure finit du chant et de la danse,
et ces saintes splendeurs se tournèrent vers nous,
et chaque soin nouveau rendait leurs feux plus vifs.
Le bienheureux silence à la fin fut rompu
par la même clarté par qui du petit pauvre
de Dieu j’avais d’abord appris la belle histoire [167].
«Quand déjà, me dit-il, d’une paille broyée
la graine est recueillie et rentrée au grenier,