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et s’il doit vous rester, expliquez-lui comment,

lorsque l’on vous rendra votre écorce visible [182],

il n’aura pas le don d’offusquer votre vue.»

Comme, pressés parfois par le vif aiguillon

d’un plaisir grandissant, ceux qui dansent en ronde

haussent d’un ton leur voix, où paraît leur liesse,

de même, à la demande empressée et pieuse,

une nouvelle joie envahit les saints cercles,

traduite par leur danse et par leurs doux accords.

Celui-là qui se plaint parce qu’on meurt sur terre

pour vivre au ciel, le fait pour avoir ignoré

le rafraîchissement de la pluie éternelle.

Cet Un et Deux et Trois qui pour toujours existe

et qui règne à jamais en Trois et Deux et Un

et contient l’univers sans être contenu,

était trois fois chanté par chacune des âmes,

et leur belle chanson suffirait pour payer

à leur plus juste prix les plus brillants mérites.

Ensuite j’entendis dans l’éclat le plus saint [183]

du cercle intérieur une voix aussi douce

que celle de l’archange interpellant Marie

répondre: «Aussi longtemps que durera la fête

du Paradis, l’amour que nous portons en nous

brillera de la sorte au sein de cette robe.

L’éclat de sa splendeur se mesure à l’ardeur

et l’ardeur à la vue; et celle-ci dépend

à son tour de la grâce impartie à chacun.

Le jour où de la chair glorieuse et sans tache

nous serons revêtus, nos personnes seront

plus belles qu’aujourd’hui, pour être enfin entières;

ce qui doit augmenter la lumière d’amour

que le plus grand des Biens nous donna par sa grâce;

et c’est par sa vertu qu’on le peut contempler.

Alors, par conséquent, s’augmentera la vue

et croîtra cette ardeur qui s’allume à son feu,

ainsi que le rayon qui prend naissance d’elle.

Mais, pareil au charbon qui produit une flamme

mais dont le blanc éclat dépasse sa clarté,

faisant qu’on le distingue aisément à travers,

de même le brillant qui nous revêt ici

se verra dépasser par l’aspect de la chair

qui demeure à présent recouverte de terre.

Sa splendeur ne pourra fatiguer nos regards,

les organes des sens devenant assez forts

pour porter ce qui doit servir à notre joie.»

Et l’un et l’autre chœur me semblèrent alors

si prompts et si contents d’ajouter leur «amen»,

qu’on sentait le désir de leurs corps trépassés;

non seulement, peut-être, pour eux, mais pour leurs mères,

pour leurs pères, pour ceux qui leur furent si chers

avant de devenir des flambeaux éternels.

Voici que tout à coup, égal quant à l’éclat,

un feu nouveau parut autour de ce premier,

pareil à la clarté qui monte à l’horizon.

Et comme l’on peut voir, à l’heure où la nuit monte,

s’allumer lentement des feux nouveaux au ciel,

revêtant un aspect à la fois faux et vrai,

je crus apercevoir des substances nouvelles

que je distinguais mal et qui formaient un cercle

au-dehors, tout autour des deux cercles premiers.

Ô vrai scintillement de l’Esprit sacro-saint!

Comme il est apparu soudain resplendissant

à mes yeux qui, vaincus, ne pouvaient le souffrir!

Mais Béatrice alors découvrit à mes yeux

un sourire si beau, qu’il faut que j’abandonne

l’espoir de ranimer un pareil souvenir.

Mon regard reprenant un peu plus de vigueur,

je pus en faire usage et je nous vis, moi seul

et ma dame, emportés vers un bonheur plus haut.

Et je sus qu’en effet nous venions de monter

en voyant le sourire incandescent de l’astre

qui semblait rougeoyer plus qu’à son ordinaire [184].

Du fond de ma poitrine, en parlant cette langue

qui n’est qu’une pour tous [185], je fis offrande à Dieu,

comme le requérait cette nouvelle grâce.

L’ardeur de l’oraison ne s’était pas éteinte

tout à fait dans mon cœur, que déjà je savais

qu’on avait accueilli mes vœux avec faveur,

car je vis des splendeurs qui formaient deux rayons,

avec un tel brillant et rougeoyant si fort

que je dis: «Hélios [186], comme tu les habilles!»

Comme la galaxie étend d’un pôle à l’autre

un fleuve de clarté qui fait douter les sages,

dans un miroitement de feux plus grands ou moindres,

ces rayons constellés, de même, composaient

aux profondeurs de Mars le signe vénérable

que fait la jonction des cadrans dans un cercle [187].

Ici, le souvenir l’emporte sur l’esprit:

sur cette croix brillait d’un tel éclat le Christ,

que je ne puis trouver un exemple assez digne;

mais qui porte sa croix et marche avec le Christ

devra bien m’excuser sur ce que je dois taire,

lorsqu’il reconnaîtra le blanc éclat du Christ.

Du bout d’un bras à l’autre et du sommet au pied

s’écoulaient des splendeurs qui scintillaient plus fort

aux points de croisement de leurs brèves rencontres:

c’est ainsi que l’on voit courir, droits ou tordus,

lestes ou paresseux, plus longs ou bien plus courts,

d’aspect toujours changeant, les grains de la poussière

jouant dans un rayon qui projette un pont d’or

au coin d’ombre que l’homme, en cherchant un abri,

dispose par son art et son intelligence.

Et comme un violon qui jouerait de concert

avec la harpe, laisse entendre un son si doux

même aux plus ignorants du fait de la musique,

de même, des clartés qui paraissaient en haut,

le long de cette croix, un air se composait,

dont j’étais transporté sans en saisir les mots.

Sans doute, je voyais que c’étaient des louanges,

car «Ressuscite!» ainsi que «Triomphe!» venait [188]

jusqu’à moi, qui pourtant écoutais sans comprendre.

Je me sentais ravir par un amour si fort,

que jusqu’à ce moment je n’ai vu nul objet

qui m’attachât le cœur par de si douces chaînes.

Peut-être ce propos paraîtra téméraire,

qui subordonne ainsi l’amour du doux regard

au spectacle duquel repose mon désir [189];

mais celui qui comprend que les vives empreintes

de toutes les beautés s’augmentent en montant,

et que depuis tantôt je ne l’avais pas vue,

pourra me pardonner ce dont, moi, je m’accuse

pour m’excuser tout seul, et voir que je dis vrai:

car je n’ai pas exclu cette sainte allégresse,

puisque plus haut on monte, et plus elle s’épure.

CHANT XV

La douce volonté par laquelle s’exprime

l’amour qui vole droit, comme la convoitise

ne saurait s’exprimer si ce n’est par le mal,